• Afrique (Dogon)

    Au Quai Branly

    Histoires de sculptures

    Présent du 11 juin 2011

    Le pays dogon est situé dans le sud du Mali, entre le fleuve Niger et la frontière burkinabé. L’ethnographe Marcel Griaule (1898-1956), se faisant expliquer la cosmogonie dogon dans les années 1940, en conclut que les dogon connaissent depuis des siècles l’étoile Sirius B, dont l’existence n’a été prouvée qu’en 1836 par la science européenne. Certains s’appuient sur ce qui n’est qu’interprétation pour en déduire que les Dogon sont d’origine extraterrestre – leur ancêtre fondateur ne tombe-t-il pas des cieux, avec sciences et bagages, dans une arche ? (Comprenez : une soucoupe.) Plus prosaïquement, les Dogon sont arrivés dans cette région vers les XIV-XVe siècles, fuyant l’islamisation. Les Français seront-ils un jour réputés extraterrestres ?

    Les sculptures jouent un rôle important dans la culture dogon. Que n’entendrait-on si le christianisme s’était élevé là contre ! L’aniconisme islamique et ses effets sont mentionnés avec une discrétion de violette. Le vrai est que, des trois civilisations, européenne, noire africaine et arabe, les deux premières étaient mieux disposées à s’entendre, à se convenir, que chacune d’elles avec la troisième. Des civilisations qui partagent le même respect de l’image, pour lesquelles elle est un mode d’expression à part entière, peuvent passer par-dessus bien des traits culturels a priori séparateurs.

    La sculpture dogon est essentiellement mythique. Le lien entre origines et arts appartient au personnage du forgeron, « personnage énigmatique », « figure centrale », écrit Jean Laude (Les arts de l’Afrique noire). Descendant du Démiurge et détenteur du savoir-faire, le Forgeron est habilité à sculpter les ancêtres. Venu du ciel, il a apporté avec lui dans une arche les techniques, les graines primordiales, les ancêtres humains et animaux. Dans sa chute, il se brise les jambes. (Les forgerons de la mythologie européenne, à commencer par Héphaïstos, sont aussi magiciens et boiteux.)

    L’incident se lit d’une deuxième manière : à l’origine l’homme était raide, inarticulé. Sous l’effet du choc ses membres se seraient cassés, ainsi seraient apparues les articulations qui rendent l’homme apte au travail. Les figures du peuple tellem se présentent les bras levés, certaines les jambes pliées, d’autres unijambistes. Ce pourrait être une représentation du Forgeron boiteux. Elles sont aussi, ordinairement, interprétées comme des figures implorant la pluie.

    Une autre version relate l’arrivée du Forgeron dans une arche qui se brise à l’arrivée. Il se transforme alors en cheval et tire l’arche vers une mare. Des auges cérémonielles représentent cela : sur le corps de l’arche sont figurés les passagers ; elle est dotée d’une tête de cheval. Ces auges, arches originelles, sont de bons morceaux d’art. Elles sont la propriété d’un chef religieux de village, hogon.

    Le chef de tous les hogon est celui du village d’Arou. Voici un autre mythe que racontent les sculptures où l’on voit un homme juché sur un autre. Lors d’une migration, trois frères marchaient. Le plus jeune, Arou, fatiguant, son frère aîné le prit sur ses épaules. Le petit, qui voyait plus loin de par sa position, vit le pays, le nomma et se l’appropria. (Nommer les choses, est s’en rendre maître.) Par la suite il rencontra une vieille femme qui, le voyant si gentil, lui donna divers objets qui firent de lui le premier hogon. Plus qu’une histoire, c’est la légitimation d’un état de fait social et religieux.

    Les mandés disent descendre d’Arou. Ils héritent de la sculpture tellem et niongom, mais développée, ambitieuse : un artiste s’est lancé dans la représentation de deux joueurs de balafon. La tête légèrement détournée d’un des deux personnages suffit à donner de la vie à un groupe qui, sans cela, serait raide. Ils ont sculpté beaucoup de maternités ; mais elles n’ont pas la qualité des maternités n’duleri chez qui se rencontre l’art le plus élégant : l’enfant est placé sur les genoux de sa mère, de biais, ou contre elle, plus ou moins « affectueusement ». De la mère, la poitrine et les épaules forment une partie distincte du tronc, comme emboîtées sur lui ; sur cette partie s’élance le cou. Cette vision en volumes décomposés est un langage.

    Le style régional de Bombou-Toro est, avec le style n’duleri, un art où il se passe quelque chose, où l’intériorité s’exprime. Les figures de couple sont célèbres, l’homme passant le bras gauche sur l’épaule de la femme. D’autres femmes se présentent en Aphrodite pudique.

    Marcel Griaule a répertorié 68 types de masques. 35 sont exposés. Ils valent plus par leur signification que par leur valeur artistique. Certains objets, en bois, sont intéressants : des coupes complexes, ornées de cavalier ; des appuie-tête, des tabourets, des pièces de métier à tisser, des portes et serrures sculptées : on y retrouve les « implorants » aux bras levés.

    Samuel

    Dogon. Jusqu’au 24 juillet 2011, musée du quai Branly.

    illustration : Statue féminine © musée du quai Branly, photo Patrick Gries


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