• Architecture

    Quelques architectes remis d'équerre,

    par Kwasi Modo

    La justice a donné raison aux deux architectes de la tour Euro 2000 (Paris XIIIe) : ils en ont obtenu trente mille de dommages et intérêts pour préjudice moral. La copropriété n’avait pas, lors du ravalement de 2003, respecté la couleur d’origine. Celle-ci, « Imperator », avait été remplacée par une teinte plus claire, « Caca d’oie ». L’outrage est heureusement réparé.

    Pour le reste, les architectes ont intérêt à faire le dos rond. Alors que le débat est vif à Paris entre B. Delanoë et les élus au sujet des tours de plus de trente-sept étages que le maire veut autoriser dans la capitale, trois architectes reconnus sur la place, disons même de renommée internationale, subissent des affronts cruels.

    Jean Nouvel qui a reçu le prix Pritzker, sorte de Prix Nobel de l’architecture, a vu dans la foulée son projet pour la Tour Signal de La Défense à la fois couronné par le jury et débiné haut et fort par le maire UMP de Puteaux, Joëlle Ceccaldi-Reynaud. « Cette tour est laide et mastoc. Un monolithe qui écrase tout. [Jean Nouvel] a dit qu’il la conçoit comme « un donjon à la Défense ». Je ne suis pas ravie d’accueillir une forteresse assiégée sur le territoire de Puteaux. »1  (ill. 1, prévu pour 2015, 300 mètres de haut) Le côté inhumain de l’architecture moderne pointé du doigt par des édiles, c’est aussi nouveau que significatif d’un ras-le-bol. Mme le Maire déboulonne même les anciens, craignant que Jean Nouvel ne devienne un nouveau Le Corbusier. « Vous avez vu les réalisations de Le Corbusier ? C’est moche, ça vieillit mal ! La tour de M. Nouvel est un empilement de boîte. » Moche, l’utopie sociale de Le Corbusier ? Mme Ceccaldi-Reynaud manie la pelle comme un fossoyeur. Battante, elle menace de bloquer la construction de la tour en ne modifiant pas le Plan d’Occupation des Sols tant que Jean Nouvel n’aura pas revu sa copie. « Je vais lui suggérer de modifier l’aspect général de sa tour. Pour qu’elle soit plus agréable à l’œil. On peut sûrement l’améliorer, faire en sorte qu’elle ressemble moins à la tour Montparnasse [sic], en la rendant plus humaine, plus légère, plus transparente. Mais acceptera-t-il de changer son œuvre ? » Un cours d’esthétique élémentaire à l’usage du Maître.

    Par un effet de dominos, le projet non retenu de Jacques Ferrier qui concourait dans le peloton de tête pourrait trouver place non loin de là sur la commune limitrophe de Courbevoie. Une H majuscule de 309 mètres de haut (ill. 2). Le problème est que les élus n’en veulent pas non plus. Il faudrait détruire les deux cent cinquante logements sociaux construits à cet endroit. Les investisseurs appellent cela « humaniser le quartier ».

    Autre architecte à qui sont servies simultanément une coupe sucrée et une coupe amère : Dominique Perrault. Au moment où le Centre Pompidou lui consacre une exposition, le directeur de la BNF, Bruno Racine, lui demande de rendre le site de Tolbiac plus accueillant. Un drôle de toupet. On connaît la difficile naissance de ces tours conçus en dépit des livres et des lecteurs, les dysfonctionnements qui s’ensuivirent. Tant bien que mal dix ans plus tard la BNF tourne, mais le directeur souhaite casser l’image froide du site, qui fait fuir les riverains tandis que les quartiers alentours s’affirment vivants. Dominique Perrault peut toujours dire que « L’esplanade est belle parce qu’elle est vide », le voilà forcé de reconnaître qu’« elle ne doit pas être trop vide et surtout pas inhospitalière. » Le génie descend sur terre et consent – d’un té contraint et dédaigneux – à agrémenter les côtés de l’esplanade de vulgaires boutiques et de restaurants populaires. Exemple de servilité que son confrère Jean Nouvel doit trouver saumâtre.

    Elle s’explique assez, cette obéissance subite de Dominique Perrault, par sa crainte qu’une polémique n’attire l’attention sur l’aspect non citoyen de la BNF qui consomme autant d’électricité qu’une ville de 20 000 habitants du fait de la climatisation nécessaire à la conservation des documents stockés dans des bâtiments totalement inadaptés.3  On peut revendiquer la laideur, le manque d’humanité, la froideur, l’à moitié vide ou le pas du tout plein, mais une offense au développement durable est indéfendable à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique. Elle pourrait bien frapper d’infamie l’œuvre de Perrault, alors que toutes les tours aujourd’hui conçues se doivent de produire elle-même l’énergie nécessaire à leur fonctionnement. Aussi Perrault est-il prêt à modifier également les façades des tours ! Il conçoit qu’ « un bâtiment n’est pas quelque chose d’achevé ou de figé. La BNF peut être exemplaire d’une façon de faire évoluer l’architecture dans le respect de l’œuvre. » On lui demanderait de repeindre la BNF couleur caca d’oie, qu’il tiendrait lui-même le pinceau.


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