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Arcimboldo
Au Musée du Luxembourg<o:p></o:p>
Arcimboldo,
ingéniosité
et maniera<o:p></o:p>
Présent du 20 octobre 2007<o:p></o:p>
« Arcimboldo ? Oh, celui-là, avec ses légumes ! » me disait récemment une amie italienne. Il est sûr que ses tableaux vus partout sont devenus indigestes. Les discours extravagants ont contribué à en dégoûter : Roland Barthes s’en est donné à cœur joie sur ce peintre, avec l’aisance qu’on lui connaît à l’analyse invérifiable. L’exposition du Luxembourg, elle, présente toiles et dessins de Giuseppe Arcimboldo (1526-1593) au milieu d’objets tirés du Kunstkammer de Vienne : des moulages sur nature (tourteau en bronze), parfois curieusement associés (une lampe à huile constituée d’un coquillage sur une patte d’aigle), un œuf d’autruche monté en coupe, etc., où se reconnaît le goût pour la merveille, maître mot du maniérisme, courant européen auquel appartient ce peintre et qui l’explique.<o:p></o:p>
Les artistes postérieurs aux grands Renaissants, lassés de trop de sublime, se laissent aller à ébahir le public dans le but de réveiller des sens épuisés. L’inattendu, le hors norme, l’énigmatique, tout doit piquer la curiosité. La littérature emploie la périphrase et l’oxymore. La peinture cultive l’allégorie, l’emblème. L’architecture se décore sans repos, use du trompe-l’œil et de la mise en abîme.<o:p></o:p>
Ovide est l’écrivain de cette période qui aime les travestissements et les métamorphoses, surprises que fait la nature, nature avec laquelle le maniérisme va jouer abondamment : grottes artificielles et jeux d’eaux perfectionnés enrichissent les jardins. Les formes de la flore et de la faune intéressent pour elles-mêmes, et c’est la naissance des planches naturalistes qui représentent l’animal sans prétexte narratif, la création des Cabinets des merveilles où sont rassemblées toutes les bizarreries et monstruosités de la nature. Ambroise Paré écrit en 1573 Des monstres et prodiges, manuel de tératologie. En 1560 Pierre Boaistuau avait publié Histoires prodigieuses les plus mémorables qui aient été observées, compilation dans le goût du temps.<o:p></o:p>
Les automates, autre façon d’imiter la nature, se répandent. L’amour du mécanisme se retrouve au théâtre : machineries et décors se développent, tout peut apparaître sur scène, s’y transformer, en disparaître. Les artistes sont de formidables artisans, de véritables ingénieurs, mais s’opère alors la distinction entre artistes et artisans : l’artiste doit se distinguer du simple ouvrier par son ingéniosité, équivalent du mot médiéval engin qui désigne à la fois l’habileté et la ruse, faculté brillante, d’un autre ordre que le talent et la créativité. L’art maniériste restera un art de fête et de cour : l’émerveillement du convive est le gage de la grandeur du souverain.<o:p></o:p>
Arcimboldo, fils d’un artiste qui travailla au dôme de la cathédrale de Milan, commença par réaliser des fresques, des cartons de vitraux et de tapisseries. D’une de ces tapisseries, La Dormition de la Vierge, plus que la scène centrale, on remarque le décor qui forme cadre, constitué de mascarons, de guirlandes et de fruits, motifs qui annoncent l’activité maniériste de l’artiste à la cour viennoise des Habsbourg de 1562 à 1587. <o:p></o:p>
Pour cette cour il peignit les sérieux portraits des filles de Ferdinand 1er. Attribués sans certitude, ils sont convenus et répétitifs. Sa production en matière de fêtes est moins connue et pour cause : elle consistait en éphémères réalisations. Il reste un album de projets de costumes, décors et accessoires, offert à Rodolphe II en 1585, et des témoignages. <o:p></o:p>
Les planches à l’aquarelle représentant un faucon et un céphalophe sont, on l’a dit, typiques du maniérisme, ainsi que la série des beaux dessins sur la sériciculture (encre et lavis bleus), projet de décoration murale, qui illustrent l’intérêt pour l’association de l’art et de la nature – l’homme et l’animal mettant en commun leur savoir-faire.<o:p></o:p>
Les portraits « déguisés » firent sa gloire à Vienne et dans le monde. Les Saisons, les Eléments, les Métiers sont basés sur la surprise de la métamorphose. Mais c’est une construction démontable : il n’y a nulle spontanéité, nulle profondeur. Roger Caillois emploie avec raison, au sujet de ces tableaux, les mots de procédé, de stratagème, de prouesse conventionnelle et mécanique. (Cohérences aventureuses, 1976) Les trois portraits réversibles sont d’un ressort analogue. La nature morte devient un visage (illustration ; retournez votre journal), et après ? Equivalent d’un palindrome où le double sens de lecture prime le sens des phrases, le tableau n’est finalement ni un portrait ni une nature morte.<o:p></o:p>
Replacées dans le contexte du maniérisme européen, les œuvres d’Arcimboldo gagnent en lisibilité et, déchéance pour un maniériste ! surprennent beaucoup moins.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Arcimboldo (1526-1593), <o:p></o:p>
jusqu’au 13 janvier 2008, Musée du Luxembourg<o:p></o:p>
illustration : G. Arcimboldo, Nature morte / L’Homme potager, Crémone, Museo Civico Ala Ponzone<o:p></o:p>
Tags : Arcimboldo, maniérisme, peinture XVIe
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