• Art contemporain

    Des nuisibles signalés à Versailles et N.-D. de Paris,

    par Samuel

    Le parasitisme esthétique, cette manie de polluer un beau lieu par l’installation d’œuvres contemporaines (le Palais Royal, l’hôtel de Biron, les marchés de Trajan…), manie à laquelle nous consacrions quelques lignes dans notre dernier numéro, franchira selon le principe de l’escalier une marche de plus en septembre prochain : l’artiste Jeff Koons est invité à investir Versailles. Quinze sculptures seront installées dans la galerie des Glaces et dans les appartements royaux, une autre au centre du parterre de l’Orangerie.

    Une rencontre Jeff Koons vs Louis the Fourteenth, ce sont deux pointures qui s’affrontent.

    Jeff Koons est, avec Damien Hirst, l’artiste vivant le plus cher au monde. Hanging Heart, un cœur de trois mètres de haut (photo page suivante), s’est vendu chez Sotheby’s en 2007 vingt et un millions de dollars (21 000 000 $)… Il appartient à la veine ludique de l’art contemporain, cette forme sous laquelle celui-ci se présente de la manière la plus innocente apparemment, mais qui n’en est pas moins destructrice (sinon il n’aurait pas été présent à l’exposition « Présumés innocents »). Chien et lapin, panthère rose, légos… Les gogos trouvent cela amusant.

    Bien entendu il ne squatte pas, il ne fait que répondre à une invitation. Celle de Jean-Jacques Aillagon, dont le curriculum est éloquent :

    – président du Centre Pompidou de 1996 à 2002 ;

    – ministre de la Culture de 2002 à 2004 ;

    – conseiller de la Fondation Pinault (il a trouvé Venise pour accueillir cette collection privée, et M. Pinault est le mécène principal de l’exposition de Versailles) ;

    – membre du Conseil économique et social ;

    – président de TV5-monde ;

    – « Président de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles » depuis juin 2007.

    J.-J. Aillagon a invité J. Koons parce qu’il souhaite qu’on regarde Versailles autrement. Et si on regardait Aillagon et Koons autrement qu’ils veulent qu’on les regarde ? Jiji apparaîtrait comme un nuisible de carrière, et Jeff comme un kitchenet.

    à N.-D. de Paris, les conférences de Carême étaient cette année consacrées à l’histoire, l’art, l’économie, l’anthropologie, la philosophie. Si je vous en parle si tardivement, c’est que d’instinct je me garde bien d’assister à ce genre de mortellerie, mais je remercie le prêtre qui m’a signalé la conférence du dimanche 17 février sur l’art contemporain. Penser que la vision rouettiste était tombée en désuétude était, de ma part, d’une naïveté toute catholique.

    L’introduction par Benoît Chantre, éditeur, a la clarté des fresques de la chapelle Sixtine avant restauration : « Quand l’Autre [ouah l’autre, zyva !] vient vers nous et risque de nous ‘enthousiasmer’, il faut savoir attendre. Nous tombons sinon, face à cet Autre, dans une réciprocité qui ne peut que mal finir, dégénérer en divinité disputée. Nous cherchons à devenir cet événement, sans le laisser se dire en nous. […] à la création du monde [répond] la ‘dé-création’ de celui qui se supprime comme obstacle, afin qu’au risque de l’enthousiasme succède l’inspiration. L’événement trouve alors ses mots, ses couleurs et ses sons – ceux-là mêmes que l’artiste, ou le saint, ignoraient posséder. » Tout n’est pas clair, mais cette dernière confusion entre l’artiste et le saint, avatar carnavalesque des théories de Wackenroder, est celle de Mgr Rouet, on la retrouve aggravée dans la conférence de Jean de Loisy « spécialiste en art contemporain ».

    Si « l’art moderne a probablement inventé son extraordinaire aventure grâce à la distance qu’il prenait avec les églises » (sic), il n’en reste pas moins que des artistes du XXe siècle ont travaillé « sur une lucidité différente » ( ?) pour « s’affronter plus au néant qu’au divin ». Quelle justesse dans le soulignement de l’abîme entre la foi et l’art moderne ! – mais le conférencier, catholique, s’émerveille. Car il faut s’abandonner « avec confiance » à la « crise » que provoque le langage nouveau : « Sans cette crise, sans cette confiance, nous sommes comme l’incroyant : l’hostie est un peu de pain et non pas le corps du Christ. De même, le carré blanc de Malevitch ne sera qu’un tableau blanc. La fontaine de Marcel Duchamp ne sera qu’un urinoir… » Le parallélisme vous choque ? Hommes de peu de foi ! « Autrement dit cette confiance est la condition de la transsubstantiation de l’œuvre. » Et de citer un chant de la beat-generation : « Holy ! Everything is Holy, everybody is Holy, every man’s an angel ! »3 

    Vous connaissez comme moi ces sculptures romanes qui représentent un âne enseignant à d’autres animaux. Dire qu’elles ont parfois paru irrévérencieuses.


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