• Art roman

    Le Christ couché<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    de la Trinité d’Angers<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Les livres nous montrent toujours le même chapiteau, les cartes postales toujours la même statue. La connaissance d’un édifice doit se compléter par des visites in situ, raisonnées, attentives, rêveuses. On finit un beau jour par voir et comprendre ce qui avait échappé aux autres et à soi-même. Souvent hélas on se heurte aux portes closes de nos lieux incultes ; et, si la porte est ouverte, on est confronté à une harpie qui a pris possession de ces halles désertes. C’est ce qui m’est arrivé l’autre jour à la Trinité, à Angers, dans la Doutre, où, tandis que je photographiais tant bien que mal les chapiteaux de la crypte, surgit de nulle part une de ces maritornes qui détiennent les clés des églises avec plus de jalousie que Saint Pierre lui-même. Je me crus une seconde dans les mines de la Moria, assailli par une Orque. Elle prétendait m’interdire de photographier quoi que ce soit. Je lui rétorquai que j’étais catholique et angevin, ce qui m’autorisait à vaquer en ce lieu et à photographier des pierres dont elle ne vendait aucune reproduction ; que je  ne partirai pas avec, sous le bras, un de ces chapiteaux coincés entre un fût et une retombée de voûte.  Bref il y eut des éclats de voix que je regrette en partie, mais justifiés par cette exclusion flagrante, à laquelle, sans doute, un Vatican III remédiera. La dispute terminée, je poursuivis mes travaux à l’extérieur. Je m’intéressais à une curieuse figure repérée lors d’une précédente visite.<o:p></o:p>

    Ce Christ couché – ainsi l’appellerai-je, sans oublier qu’il est aussi bénissant, ni qu’il tient le Livre, mais ces gestes le caractérisent moins qu’une posture si peu commune – se laisse malaisément distinguer au premier coup d’œil. Il est situé au portail ouest qui, c’est visible, a été l’objet de remaniements.<o:p></o:p>

    La Trinité (église paroissiale de l’abbaye du Ronceray), qui date de la seconde moitié du douzième siècle, a en effet été très restaurée dans les années 1870, particulièrement son ornementation. Il présente deux parties. L’arcade de la porte est presque en anse de panier ; le dessin n’est pas sans rappeler la voûte de la nef de l’abbatiale du Ronceray. Les claveaux ne sont pas extradossés, l’arc est mouluré d’un boudin à l’angle de l’intrados, sa clef est saillante et pendante. C’est à cette clé que l’on voit que les archivoltes sont décalées par rapport à cet arc : leurs clés ne sont pas alignées. Ces archivoltes dessinent un arc de cercle, d’où, entre l’arc et la limite inférieure de la voussure, une portion de mur en forme de croissant de lune.

    Les voussures sont au nombre de quatre. Chaque claveau est ornée d’un motif d’inspiration végétale, mais tous n’ont pas la même dimension : c’est alors le motif qui s’adapte au claveau, lit de Procuste. J’y vois une preuve d’ancienneté. Ces variations n’ont rien de flagrant (contrairement à une voussure de Montceaux- l’Étoile en Saône et Loire), car elles restent minimes.<o:p></o:p>

    La première voussure n’est pas ornée sur sa face, mais sur son angle en quart de rond, avec des palmettes que bordent des dents de scie.<o:p></o:p>

    La deuxième s’orne de feuillages.<o:p></o:p>

    La troisième présente une saillie arrondie très prononcée, qui se projette en avant, rejetant d’autant en arrière et la voussure précédente, et son propre décor de feuillages.<o:p></o:p>

    Un fin bandeau la sépare de la voussure extérieure. Cette dernière, au niveau des sommiers, tourne à angle droit, formant imposte. À cet endroit, on voit un oiseau au nord (un aigle, dont la tête est cassée, mais l’arrachement indique assez qu’elle était tournée vers l’intérieur), un ange tenant un phylactère au sud. La voussure est ornée d’un motif végétal et… de ce Christ couché à la clé[1]. Les trois figures (Christ, ange, aigle) sont du même ciseau. Le Christ et l’ange ont la même souplesse ; l’aigle me semble plus vigoureux. Pour chacune, le sculpteur a utilisé le trépan pour orner les vêtements ou les ailes. <o:p></o:p>

    Nous sommes devant une pose originale où le Christ a les gestes qu’il a en majesté trônante – mais couché. Manque-t-il pour autant de majesté ? Non, et félicitons l’artiste de Lui avoir prêté cette pose sans en faire un pique-niqueur ou un Romain banquetant. La figure est traitée comme les bons gisants, dont les drapés ont une tenue qui ne répond pas à la pesanteur mais à la dynamique de la forme plastique. Le corps s’inscrit dans le mouvement de la portion de cercle de l’archivolte, qu’il ferme en tant que clé. <o:p></o:p>

    Celle-ci mesure le double des contre-clés. Centré dans cette clé, le Christ allongé occupe précisément la dimension d’un voussoir. À sa droite et à sa gauche, emplissant les deux quarts restants de la clé, un motif de feuillage continue le motif de la voussure, raccordant ainsi la clé et la figure du Christ à l’ensemble. La transition se fait en souplesse. Les masses même ne s’opposent pas : elles ont sensiblement la même présence. C’est tout l’art médiéval que d’inscrire avec rigueur et succès la sculpture dans l’architecture.<o:p></o:p>

    Qu’il soit aussi fondu dans l’ensemble amène à se demander si c’est discrétion ou maladresse. Comment supposer de la maladresse à l’artiste qui a taillé ce charmant morceau ? La pose est gracieuse, les proportions agréables et le ciseau a été bien mené. L’idée d’intention s’impose.

    L’artiste s’est donné l’air de sculpter un portail tout en motifs mais y a mi-caché, avec science, un Christ, n’hésitant pas à Lui prêter une pose inaccoutumée. Christ couché, certes, mais aussi Christ discret : telle est l’originalité de cette clé oblongue, que je tenais à signaler à l’attention du fidèle curieux et aux artistes de passage.

    Samuel




    [1] Que le Christ soit à cette place n’est pas étonnant. Voyez la définition de la clé d’archivolte : « parfois les archivoltes des portails d’églises sont terminées à leur sommet par une clef sur laquelle est sculptée une figure devant occuper la place d’honneur, comme le buste du Christ ou celui de Dieu le Père. » (Glossaire Zodiaque). C’est la pose et la relative invisibilité du Christ dans l’ensemble du portail qui sont notables.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :