• Bain et Miroir (I)

    Au musée de Cluny

    Le bain et le miroir (I)

    Présent du 4 juillet 09

    Une amphore du VIe siècle avant notre ère raconte les joies de quelques jeunes filles au bain. Vêtements et ustensiles de toilettes sont accrochés aux branches. On plonge, on s’ébat, on se douche. Silhouettes noires sur fond rouge, presque encore rupestres, auxquelles ne manque en arrière-plan que la plage de Balbec. Hygie a un rôle accessoire dans ces questions, la déesse du bain est sans conteste Aphrodite. Les sculpteurs aiment la représenter sortant de l’eau, s’essuyant, attachant sa sandale.

    La construction de thermes, par les Romains, dans les parties les plus reculées de l’Empire fut un puissant facteur d’imprégnation latine. En adoptant les pratiques hygiéniques et sportives de l’Urbs, les élites locales s’appropriaient les codes sociaux qui les accompagnaient. La partie de l’exposition consacrée à l’Antiquité a d’ailleurs lieu dans le frigidarium rénové des thermes de Cluny.

    Il ne manque pas de documentation sur l’hygiène chez les Anciens, grâce à la coutume de disposer dans la tombe, avec autres objets usuels, le nécessaire de toilette du défunt. L’Antiquité a connu un artisanat de luxe et une « industrie » cosmétique. Une femme assise au milieu de diverses préparations, tandis qu’un petit personnage – d’allure gothique déjà – touille ou pile : c’est peut-être un laboratoire de cosmétique que représente un bas-relief de qualité (IIe siècle, Vosges).

    Sur un autre bas-relief, trois servantes s’affairent autour de leur maîtresse pour la coiffer (IVe, Agen). La Romaine connaît les postiches, use des teintures. Il existe des modes, que dans les provinces on suit, car il est de bon ton de copier la coiffure de l’impératrice, connue par les monnaies et médaillons, par les bustes. L’élégance peut être anonyme : jeune visage très doux, coiffé d’un bandeau (marbre, IIe) ; digne profil d’une femme à la coiffure en vagues, avec chignon (métal, IIe).

    Au moyen âge

    Le lieu commun veut que l’être moyenâgeux se soit négligé par mépris du corps, ait été sale par conviction religieuse. En réalité, entre l’âge antique et l’âge médiéval, la continuité existe, que ce soit dans les formes (le miroir à manche, le miroir à couvercle, le peigne double – ill.) ou dans l’esprit : il existe un mépris pour les soins excessifs, dégradants, vains, tiré par les Pères de l’Eglise des auteurs grecs et romains. La différence essentielle réside dans l’intimité demandée au chrétien. Deux exemples bibliques l’instruisent que le bain, public ou simplement vu, mène au péché : David observant Bethsabée, splendide eau-forte en frontispice aux psaumes pénitentiels dans un livre d’Heures (1500) ; Suzanne et les vieillards, éloge de la vertu conjugale (peinture par Zanobi Strozzi, coffre de mariage, XVe). La discrétion de la pratique, l’absence de dépôts d’objets quotidiens dans les tombes chrétiennes expliquent par ailleurs que l’hygiène ait paru inexistante.

    A l’Antiquité, l’Eglise emprunte la pyxide : la boîte précieuse qui contenait un cosmétique devient la boîte où disposer une hostie. Elle est ornée d’une croix et non plus d’une scène profane. Le peigne double est employé pour certaines cérémonies épiscopales ; c’est encore le décor qui différencie usage profane et usage liturgique.

    Le double peigne est l’attribut de sainte Vérène. Il symbolise à la fois le renoncement à sa propre personne et son attachement aux pauvres qu’elle lavait et épouillait (statue en tilleul, vallée du Rhin, vers 1500). Sainte Madeleine a pour attribut un pot qui a aussi plusieurs valeurs : son ancienne vie de pécheresse parfumée, sa conversion lorsqu’elle oignit de parfum les pieds du Christ ; pieds dont elle prend encore soin sur la Piéta attribuée à Jacques Dombet (milieu XVe), qui la montre « soignant » la plaie à l’aide d’une lancette et de baume, tandis que saint Jean démêle précautionneusement les cheveux des épines pour retirer la Couronne. La délicatesse que mettent les personnages à prendre soin du Christ mort est toute de dévotion et corrige ce que la peinture a de sec.

    Les cheveux défaits de Sainte Madeleine indiquent également sa vie passée. Cependant le sculpteur à l’occasion la coiffe magnifiquement, et l’habille de même ; ce qui n’était que séduction humaine devient, par le biais de l’art, beauté de la sainteté (bois, Bruxelles, fin XVe). Les jeux de tresses complexes, les postiches, les saintes les plus comme il faut en sont ornées. La Sainte Vierge elle-même, avec plus de discrétion, est parfois joliment coiffée (Annonciation normande, pierre, fin XVe). L’art religieux reflète les modes vestimentaires et les coiffures d’une société épanouie.

    (A suivre : L’hygiène à la Renaissance, musée d’Ecouen.)

    Samuel

    Le bain et le miroir, Soins du corps et cosmétiques de l’Antiquité au Moyen Age.

    Jusqu’au 21 septembre 2009, Musée de Cluny.

    illustration : Peigne, Italie, XVe siècle © Fondation des musées de Turin


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