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Blake (William)
Un visionnaire anglais
Présent du 23 mai 2009
William Blake (1757-1827) est un artiste anglais atypique. Il n’est pas sans rappeler notre Théophile Bra, comme lui il a eu des révélations, des visions. Vers l’âge de treize ans, a lieu sa première expérience : un arbre entouré d’anges. Il a trente ans lorsque son frère cadet Robert, décédé, lui apparaît en songe et lui dicte une nouvelle technique d’impression à l’eau-forte. A l’inverse de Th. Bra dont la production « inspirée » a poussé à part de son œuvre sculptée, W. Blake fut à la fois le poète et l’illustrateur de ses rêveries.
Adolescent, W. Blake apprend la gravure d’interprétation. Son maître James Basire l’envoie exécuter les relevés des monuments funéraires de l’abbaye de Westminster. Il découvre l’art médiéval et le courant gothique, littéraire, qui se satisfait à bon compte de terrifiantes histoires. Horreur et violence sont présentes dans son œuvre, mais non sous la forme gothique car, après son apprentissage chez J. Basire, il étudie l’art antique à l’Académie royale et en garde un dessin essentiellement néo-classique, tout comme le sont certains de ses poèmes : The Tyger (le tigre) est pour les écoliers anglais ce qu’a été pour les écoliers français La Panthère de Leconte de Lisle. Gothique, néo-classique, romantique (l’Inspiration est la référence), Blake reflète les tendances de sa génération.
Son originalité est technique avant tout. Il s’essaye au monotype, cherchant à obtenir des « fresques portatives », à l’aide de pigments, de colle de peau, de céruse, de craie, d’encre de Chine et d’aquarelle. De très beaux résultats : Newton et son compas, Hécate entourée d’âne, de chouette, de chauve-souris (ill), sans atteindre la puissance d’un Goya. Il ne dédaigne pas l’aquarelle pour illustrer des épisodes de la Bible, pour des passages de la Divine Comédie : le cercle des traîtres, le cercle des luxurieux ; les orgueilleux et leurs lourds fardeaux, très belle composition fidèle au vers : « Nous montions par la fente d’une roche… », qui pourrait illustrer l’homme baudelairien et sa Chimère.
Ce que son frère lui a révélé en songe, qu’il nomme par la suite « eau-forte en relief » ou « impression illuminée », à bien y regarder ne tombe pas du ciel mais se nourrit d’une solide connaissance de son métier de graveur et d’une réflexion sur le lien entre texte et image, tels que tombeaux et manuscrits médiévaux les montrent unis.
La technique d’eau-forte qu’il expérimente à cette fin procède de l’inversion du rapport entre le vernis et l’acide. Il peint à la plume ou au pinceau avec un vernis sur la plaque de métal nu, écrit son poème en miroir de la même manière. La plaque est ensuite soumise à l’acide, qui ne mord pas le vernis. Textes et dessins se retrouvent alors en relief et imprimables une fois encrés. Le secret de son vernis, qui doit avoir pour qualité d’être d’abord très fluide puis très résistant ne nous est pas parvenu, il devait être composé de bitume et de térébenthine. Ses premiers essais sont des vignettes avec de courtes phrases. Puis il maîtrise assez le procédé pour imprimer des fascicules.
Maîtriser toutes les étapes, de l’écriture à l’impression en passant par l’illustration, en plus d’être esthétique, est un résultat intéressant pour Blake dont l’originalité est dangereuse pour tout éditeur qui se respecte, originalité qui lui valut d’être souvent considéré comme « un malheureux fou ».
L’Europe, prophétie ; Chants d’Innocence et d’Expérience montrant les deux états contraires de l’Ame humaine (1794) ; Le fantôme d’Abel, une révélation des visions de Jéhovah (sic, 1822 ; dédié à Lord Byron)… Ses écrits et illustrations sont déroutants, mais ils ont rencontré le soutien de quelques artistes (son contemporain néo-classique John Flaxman, le jeune John Linnell) car, répétons-le, sous une forme personnelle, ses idées étaient celles d’une époque. Ami des libres penseurs, se proclamant publiquement disciple du mystique Swedenborg, nourri de la Bible comme des artificiels cauchemars de la tendance gothique à la Radcliffe, W. Blake s’est forgé un langage mythologique assez rebutant, une rhétorique de concepts, d’allégories, qui a séduit les Préraphaélites avant qu’en France, dans les années vingt, Gide et les Surréalistes ne s’y intéressent, le traduisent et le hissent au rang de frère de Lautréamont – pourquoi pas, après tout, deux frères peuvent n’avoir rien en commun. A l’interprétation qui range Blake parmi les anges du Bizarre, on préfèrera la lecture de Pierre Boutang (William Blake, manichéen et visionnaire, 1990) ou plus encore l’essai clarifiant, vivifiant de Chesterton (William Blake, 1910) : « Blake n’avait rien d’une mauviette poétique ni d’un simple mystique lunaire. »
Samuel
William Blake, Le Génie visionnaire du romantisme anglais,
jusqu’au 28 juin 2009, Musée du Petit Palais
illustration : Hécate ou La Nuit de joie d’Énitharmon, circa 1795 © Tate, Great Britain
Tags : Blake, gravure
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