• Carriès (Jean)

    Au Petit Palais<o:p></o:p>

    Les curieuses patines

    de J. Carriès<o:p></o:p>

    Présent du 8 décembre 07<o:p></o:p>

    Avez-vous déjà essayé d’interroger la nature même de l’architecture ? C’est ce que font trois meules de foin dans le hall du Petit Palais, enfermées dans du plexiglas pour les protéger, je suppose, de l’appétit du conservateur en chef.<o:p></o:p>

    Visitez plutôt l’exposition consacrée à Jean Carriès (1855-1894), modeleur mineur et original. Il n’a rien interrogé, ni personne, mais a travaillé l’argile avec passion.<o:p></o:p>

    A la mort de leurs parents tuberculeux en 1863, les quatre enfants Carriès eurent pour veiller sur eux une auguste religieuse, Mère Callamand, Supérieure des Filles de la Charité de Lyon. Ayant remarqué les dispositions artistiques du jeune Jean, elle le plaça en apprentissage dans l’atelier de Pierre Vermare, qui taillait du néo-gothique près de la cathédrale Saint-Jean. <o:p></o:p>

    Il n’avait que treize ans, et les sculptures médiévales le marquèrent à vie, celles de Lyon comme celles de Bourgogne. Son œuvre n’est pourtant pas religieuse. Le martyre de saint Fidèle est dramatique et anecdotique. Elle relève plus, pour une bonne part, du romantisme de la gargouille, de la grimace du modillon, des personnages costumés d’époque : L’évêque, Le guerrier (Don Quichotte ?), Loyse Labé, Tête de Charles 1er. Univers proche de celui de Gaspard de la Nuit, mais autant Aloysius Bertrand fut, avec son romantisme noir, en accord avec son époque, autant Carriès, à prolonger cette veine dans la seconde moitié du XIXe, apparaît nostalgique. <o:p></o:p>

    Plus moderne, plus personnelle, est la série de têtes dite Les Désolés ou Les Désespérés : Epave au bonnet, Epave de théâtre ; Le vieux comédien dit aussi Le notaire, a un air de Paul Léautaud. On est proche de l’esprit décadent, fin de siècle, des Névroses de Maurice Rollinat (1883), dont il a réalisé un net profil. Léon Bloy, qui connaissait l’un et l’autre (un des contes du recueil Sueur de sang est dédié à Carriès), relève dans les chansons de Rollinat« l’épouvante de la mort, l’épouvante suprême de ce qui la précède, de ce qui l’accompagne et de ce qui la suit ». La mort obsède autant l’orphelin Carriès. La figure de fantaisie laisse la place au buste posthume : celui de sa sœur Agnès morte à 19 ans (La novice), celui de la Mère Callamand décédée en 1892, celui, voilé d’un suaire, du sculpteur Eugène Allard. Lui-même se savait condamné. Il mourut de pleurésie à 39 ans.<o:p></o:p>

    Moins attiré par les bustes de commande, il s’en sort pourtant remarquablement bien. Il y en a de fort réussis, celui d’une femme quelque peu hautaine, à la chevelure joliment œuvrée, un plâtre patiné à l’aspect cuir ; celui d’un jeune homme, Francis Ormond, avec une patine tons d’automne. Les commanditaires appartenaient à la riche bourgeoisie lyonnaise du carnet d’adresse de Mère Callamand qui veillait sur son poulain. Le succès de l’exposition, en 1888, chez ses mécènes les Ménard-Dorian marque un tournant : lui qui s’est toujours vu comme un imagier et non un artiste quitte les Salons et installe un atelier de poterie dans la Nièvre où il mène toutes sortes de recherches. Son activité de potier – le Gauguin céramiste est actif à la même époque – est féconde, marquée autant par les poteries japonaises que par les grès allemands des XV-XVIIe. <o:p></o:p>

    La poterie lui permit de vivre quand il se lança dans la réalisation qui allait occuper ses dernières années. La Porte monumentale était destinée à l’hôtel parisien de Mlle Winaretta Singer, la future princesse de Polignac qui commandera Renard à Stravinsky, Socrate à Erik Satie... Il ne reste qu’une maquette à échelle réduite et quelques unes des six cents plaques émaillées qui devaient composer cette porte. Dessinées par Eugène Grasset, les contre-courbes sont plus modern’ style que gothiques. Les sculptures eurent été exclusivement faces grimaçantes et animaux chimériques : ce n’aurait pas été du meilleur Carriès.<o:p></o:p>

    Les aléas de la cuisson (nuances de l’émail jamais identiques, rétractions de la terre incontrôlables) rendaient l’ajustage des plaques impossibles, obligeaient à multiplier des essais coûteux. Le commanditaire, indisposée par les grimaces obsédantes, s’impatienta. La mort de l’artiste mit fin au projet.<o:p></o:p>

    Projet trop ambitieux ? Ou technique inappropriée ? La commande convenait à un tailleur et non à un modeleur. Handicap ici, la technique propre à Carriès est pour le reste séduisante. Artisan ennemi du tirage industriel, amoureux des expérimentations, il utilise la cire sur plaque de bois, sur âme de plâtre, tire en plâtre, en bronze, en grès (illustration). Les patines le passionnent, toujours réinventées. Sa sculpture tomba rapidement dans l’oubli ; par contre, à Saint-Amand-en-Puysaie tout un groupe de potiers continua ses recherches. Parmi eux citons Paul Jeanneney, qu’on retrouvera patinant ou émaillant les œuvres de Rodin.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Matière de l’étrange – Jean Carriès 1855-1894, <o:p></o:p>

    jusqu’au 28 janvier 2008, Musée du Petit Palais<o:p></o:p>

    illustration : Tête de faune, grès émaillé © Patrick Pierrain / Petit Palais/ Roger-Viollet


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