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Chine (masques)
Au musée Jacquemart-André<o:p></o:p>
Des masques exorcistes<o:p></o:p>
Présent du 23 juin 07<o:p></o:p>
Le nuo est un rituel exorciste chinois qui remonte peut-être au néolithique. Il consiste en danses et processions de divers dieux : le dieu du tonnerre, à tête de poulet ; Tudi Gong, dieu du sol et des céréales, vieillard paterne ; Quan Yu, dieu de la guerre, et toute une ribambelle. A chacun correspond un masque, souvent grimaçant, à la mâchoire ou aux yeux parfois articulés pour plus d’effets, car les dieux doivent effrayer le démon Xiao Gui, responsable des maladies et des calamités. <o:p></o:p>
En bronze à l’origine, les masques ont été ensuite réalisés en bois. Ce matériau fragile résiste mieux au temps lorsqu’il est peint, couvert de plâtre, etc. : les masques présentés au musée Jacquemart-André, issus pour la plupart de collections particulières, ont eu cette chance d’ainsi traverser quelques siècles (les plus anciens datant du XVIIe). Plus brutale que le Temps, la Révolution culturelle a détruit un bon nombre de ces masques populaires, et seuls ceux qui ont été cachés ont pu échapper au nettoyage maoïste. <o:p></o:p>
Les comparer aux masques africains ou aux œuvres d’art religieuses occidentales est outré car ils sont inférieurs sur le plan artistique. Tout au plus peut-on les rapprocher des masques des sociétés secrètes africaines qui étaient supposées rendre la justice : objets purement utilitaires, dont l’aspect épouvantable est un obstacle à la beauté. La religion chrétienne a réservé les faciès terrifiants aux images du diable, ceux qui doivent l’écarter en sont au contraire exempts. <o:p></o:p>
Le film de l’ethnologue Jacques Pimpaneau, spécialiste du nuo, qui l’étudie dans les régions où il subsiste le plus, au sud du Yang Tsé, sont plus intéressants. L’expulsion du petit démon permet de se faire une idée de l’expédition militaire céleste qu’exprime le rituel. Une danse simulant un combat a lieu, à la fin de laquelle le démon est mis à mort.<o:p></o:p>
Le nuo a subi au cours du temps des influences diverses. Le taoïsme, religion de l’abandon à la nature, s’est aisément accommodé de ces dieux du sol, du tonnerre, etc. Le bouddhisme a ajouté des personnages tels que la bodhisattva Guanyin, le moine, et a développé une forme théâtrale avec des personnages typiques comme le juge, le moine, l’étudiant et le serviteur. Sous les Ming (XIVe –XVIIe), le culte des héros s’est substitué à l’exaltation de la nature : le personnage de Mlle Xian Feng remonte à cette époque. Cette aimable demoiselle combattit les brigands et convertit son frère. Les masques de Mlle Phénix-immortel (puisque telle est la signification de son nom ; l’animal est représenté sur sa coiffure – photo) sont gracieux et paisibles. Cette nouvelle distribution de personnages amenait à raconter des histoires. A côté du nuo religieux originel existent donc le nuoxi, théâtre d’exorcisme, et un théâtre de représentations édifiantes issu du nuo.<o:p></o:p>
Voici la trame d’une pièce. Maître Giang vivait un grand amour avec sa femme Pang San Chun. Cela excita la jalousie de Qiu Gupo, la commère du village, qui calomnia la fidèle et bien-aimée épouse auprès de sa belle-mère, procédé infaillible pour provoquer la séparation de Maître Giang et sa femme, qui ne tarda pas à se produire. Cependant leur fille An An, qui était partie étudier à la capitale, revint au village après avoir réussi ses examens. Elle dénonça les agissements de Qiu Gupo et ses parents se réconcilièrent. Voilà une péripétie assez fade, surtout par rapport aux intrigues de Desperate Housewives. <o:p></o:p>
Plus amusante que tout cela, une dépêche Reuters du 11 juin : « Un tribunal chinois a condamné à des peines de prison deux responsables qui ont laissé un entrepreneur aveugle superviser la construction d’un pont qui s’est effondré alors qu’il était en chantier » – ledit entrepreneur ayant en outre modifié lui-même les plans de l’ouvrage. La HALDE a-t-elle un comptoir en Chine ? Elle devrait défendre ces responsables qui ont si bravement accepté ce maître d’œuvre « non-voyant ». Imaginez M. Schweitzer affublé d’un masque nuo, claquant de sa mâchoire en bois, partant en guerre contre le méchant démon de la discrimination – il siège rue Saint-Georges, après tout. Ça donnerait du relief à cette institution en mal de causes ; et un vague air ethnique et métissé du meilleur effet. <o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Masques de Chine, rite magique du Nuo, <o:p></o:p>
jusqu’au 26 août 2007, Musée Jacquemart-André<o:p></o:p>
illustration : Mlle Xian Feng, collection privée<o:p></o:p>
Tags : Chine, masques
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