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Claude Farrère
Les Trésors de Claude Farrère
par Xavier Soleil
Frédéric-Charles Bargone alias Claude Farrère est né à Lyon le 27 avril 1876. Fils dun colonel dinfanterie coloniale, il entre en 1894 à lÉcole Navale ; à la sortie de lécole, il est affecté à lescadre du Levant où il sera, pendant deux ans, sous les ordres du commandant Julien Viaud - autrement dit Pierre Loti - à qui il vouera, par la suite, une affection, voire un culte, sans bornes.
Pierre Loti était né à Rochefort en 1850. Il était un officier de marine et, surtout, un écrivain déjà mythique, lorsque Farrère, jeune aspirant, le retrouve en 1903 comme pacha du Vautour, principal stationnaire de France à Constantinople. Azyadé, Le Roman dun Spahi, Trois journées de guerre en Annam, qui lui valut dêtre mis en disponibilité par le gouvernement de Jules Ferry, Pêcheur dIslande, Les Derniers jours de Pékin, ont fait de lui le héros de toute une génération
1 ; cest en 1891, à quarante et un ans, quil a été élu à lAcadémie française contre émile Zola, de dix ans son aîné.Pour comprendre cette époque où le cosmopolitisme du xviii
e siècle navait pas encore entièrement disparu, il est nécessaire douvrir un atlas historique et de constater, par exemple, que, de 1792 à 1877, date du traité de Berlin, et malgré de nombreux soubresauts, la Turquie dEurope occupait une superficie sensiblement équivalente à celle de lAutriche-Hongrie.La lecture de lavant-propos de Lextraordinaire aventure dAchmet Pacha Djemaleddine pirate, amiral, grand dEspagne et marquis, avec six autres singulières histoires, livre publié par Farrère en 1921 permettrait peut-être dexpliquer lengouement de toute une partie de cette génération pour la Turquie. Bien sûr, il y avait eu Loti ! Mais que des hommes aussi différents que notre officier de marine écrivain, édouard Herriot, Anatole de Monzie, Paul de Cassagnac aient vu dans la défaite turque face à la Grèce, soutenue par lAngleterre, « un recul de la civilisation » mérite dêtre souligné.
Les raisons exposées sont très claires, mais il est difficile non pas de les comprendre, ni mê- me de les accepter, mais de les transposer hors de leur contexte historique : alors le peuple turc considérait la France «comme lunique nation qui fut toujours son alliée contre tous ses ennemis successifs, depuis le temps de François Ier jusquau temps de Napoléon III Dans tout le Proche-Orient, ajoute Farrère, les intérêts français sont liés, et mieux que liés : mêlés, enchevêtrés, confondus, avec les intérêts turcs. Chaque pas perdu par la Turquie fut toujours un pas perdu par la France. Chaque progrès des Bulgares, des Serbes ou des Grecs fut un recul pour nous Français. » Lalliance allemande, en 1914, fut, pour la Turquie, une alliance contre-nature. Nen fut-il pas de même pour la France de lalliance russe ?
2.
Claude Farrère a écrit et publié ses Souvenirs en 1953, mais avant douvrir ce charmant ouvrage, il convient de glaner quelques pages intéressantes dans le recueil quil a consacré à lauteur de Madame Chrysanthème et de Propos dExil. « Ni Corneille, ni Musset, ni Hugo, ni Flaubert, avoue-t-il, ne mont laissé daussi despotiques sensations. »
« Chacun sait, écrit-il, quautrefois édouard Lockroy, au temps quil commençait de ruiner la marine française en simaginant la rajeunir, avait mis à la retraite un certain nombre de bons marins, dont Loti. Le Conseil détat cassa cette imbécillité illégale. » (note du 20 septembre 1903). Et, quelques pages plus loin : « Depuis fort longtemps sévit sur la marine française un ministre qui sappelle Camille Pelletan. Et, certes, la marine française nen nest plus à compter ceux de ses ministres qui furent totalement incapables. Mais je nai connu personne encore qui dépassât Camille Pelletan en incapacité. » (note du 25 février 1904).
Deux ans avant sa mort, en 1921, Pierre Loti recevait un émouvant témoignage de reconnaissance des autorités turques, et Claude Farrère, qui lassistait à cette occasion note : « La Turquie, pour Loti, cest la jeunesse dabord, cest lamour ensuite, cest la patrie, enfin la seconde patrie, sans doute, mais tellement meurtrie, et avec tant diniquité quelle est devenue la première. Ainsi les hommes justes se révoltent désespérément contre linjustice. Et Loti, juste entre les plus justes, sest révolté jusquà en mourir. Ce nest pas sa vieillesse qui le tue; il na pas soixante-douze ans; et, tant que la guerre dura, il sest battu, et la fatigue glissait sur lui comme sur les jeunes hommes. Mais, la victoire remportée, ce grand cur, qui avait cru lutter pour le droit contre la force, sest écroulé tout à coup de voir la force, ni plus ni moins que jadis, primer le droit, et Wilson, et Lloyd George, et dautres, épargnant la forte Allemagne pour fouler la faible Autriche et la faible Turquie, faire ni plus ni moins comme avait fait Bismarck. »
3.
Evoquant, dans ses Souvenirs, lécriture de La Bataille, Farrère remarque quil sagit dun roman « entièrement inventé » dont il a forgé les personnages « de toutes pièces. Je craignais même, ajoute-t-il, ayant écrit les Civilisés, lHomme qui assassina et Mademoiselle Dax, jeune fille, en copiant des êtres vivants, que la Bataille noffrit au public quun texte artificiel et froid. Car, à proprement parler, le seul personnage que javais copié daprès nature était le Japon ». Or, trente ans après la publication de ce livre, en 1938, lauteur est abordé dans une rue de Tokyo « par un Japonais fort élégant, qui me salua bien bas, avant de maborder en ces termes :
- Jai lhonneur de parler à monsieur Claude Farrère? Je suis monsieur Yorisaka, le vrai, le vivant.
Et comme je me confondais en excuses pour avoir ainsi abusé, sans le savoir, dun nom véritable, il me répondit avec vivacité :
- Aucune excuse, Monsieur ! Je viens au contraire vous remercier au nom de tous ceux qui portent mon nom, davoir choisi pour votre livre ce nom, le nôtre ; pour montrer au public dEurope ce quest un véritable gentilhomme japonais. Merci donc ! »
Et Farrère de conclure : « Je nétais donc pas oublié au Japon. Non plus que lHomme qui assassina ne fut oublié en Turquie. Dans les deux pays, la population entière me garde une reconnaissance profonde, à mon avis fort exagérée, car je navais fait que dire la vérité sur les Turcs comme sur les Nippons. Il est vrai que la Turquie et le Japon avaient subi de lEurope les plus cruelles injustices et jétais peut-être le premier, après Loti (pour la Turquie) à redresser lopinion universelle ».
Quel retour sur lui-même ou quel sentiment de modestie lui fit rédiger lenvoi manuscrit que nous avons trouvé sur le faux-titre dun exemplaire de lédition illustrée de La Bataille et dont voici le texte :
pour Pascal Marzotti, ce roman, le quatrième de ceux que jai écrits. Javais trente-deux ans. ça été un très grand succès. On dut tirer à peu près un million dexemplaires. Et pourtant, il ny a là-dedans ni sincérité, ni émotion. Il y a le Japon, et encore ! un Japon assez conventionnel. Page 170, jai écrit que les Japonais étaient asiatiques. Cest faux. Ils sont océaniens En toute sympathie.
Claude Farrère, 1945
Nul na mieux défini cette uvre qui a les dimensions dune tragédie que le maréchal Juin dans sa réponse au discours de réception à lAcadémie du successeur de Farrère, Henri Troyat : une « admirable fresque où lon ne voit que des ressorts tendus par une interrogation anxieuse sur le destin de la Patrie, et des personnages hors série qui savent se décider et se sacrifier tout en demeurant profondément humains ». Et le maréchal dajouter, continuant son analyse par un éloge appuyé : « Tout Claude Farrère est dans cette individualisation du courage généreux et désintéressé chez des êtres dexception. Et cest bien par ce côté que son uvre a séduit et enflammé en France des légions de futurs combattants avant lheure des grands holocaustes, prolongeant ainsi sur le plan de lénergie individuelle leffort entrepris par Barrès sur celui de lénergie nationale ». [...]
Lisez l'intégralité de cet article dans lovendrin n°21.
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