• Courbet

    Remarques sur la langue de Courbet

    par Amédée Schwa

    L'importante exposition Courbet au Grand Palais

      (qui se termine le 28 janvier prochain) nous a suggéré de relire sa correspondance, volumineuse puisque l’ensemble des lettres conservées représente plus de six cents pages.1  Elles vont de fin 1837, alors que Gustave, âgé de dix-huit ans, entre au collège de Besançon, à 1877 huit jours avant sa mort en Suisse.

    D’un style très vivant, les lettres de Courbet appellent des remarques d’ordre lexical essentiellement.2

    I. Mots non signalés par l’éditeur.

    a.- « … il a fallu pour ne pas rester sans feu tout l’hiver que chaque élève donne une quarantaine de sous pour faire acheter du bois, amodier des fourneaux et payer le feutier. » (p. 18, à ses parents, oct.-nov. 1837) : « amodier » signifie louer mais s’emploie ordinairement pour une terre ou une mine. Le terme de « feutier » est utilisé pour désigner le sacristain chargé des cierges dans un sanctuaire (encore en usage à Lourdes, par exemple), mais s’employait aussi pour désigner l’homme chargé du chauffage dans un établissement.

    b.-« Elle n’a qu’à dire à mon père d’aller lui chercher du papier à Besançon et un gypseur fera le reste » (p. 64, à ses parents, août 1846) : terme suisse signifiant « plâtrier, tapissier », proche du français « gypsier » : ouvrier plâtrier.

    g.- « Le pauvre malheureux Thomas a succombé sous le brutisme du jury, chose singulière, le tribunal était pour lui, et moins réac que le jury. » (p. 91, à Max Buchon, mai 1850) C’est Vallès qui, en 1848, a lancé l’abréviation « réac ». Quant à brutisme, c’est un mot créé par Saint-Simon (1825), signifiant : « conception mécanique des phénomènes utilisés notamment par Espinas pour illustrer sa thèse cartésienne des animaux-machines ». S’applique ici à la ‘bêtise automatique’ des jurés ?

    d.- « … je me prosterne à tes genoux, ma vieille gonze, mais réponds-moi aussitôt que tu le pourras car il faut que j’écrive à Francfort. » (p. 124, à Louis Français, février 1855) On a gardé le féminin gonzesse, fait sur le mot gonze servant au masculin et au féminin (de l’italien gonzo, individu stupide).

    e.- « … je ne sais s’il a peur des communalistes ? » (p. 407, à J. Castagnary, mars 1872). Doublet de « communard ». Le mot s’emploie aujourd’hui pour désigner l’idéologie ayant abouti à la Commune.

    II. Mots signalés par [?], [sic] ou en italiques.

    a.- « J’en reviens maintenant à ce platisson de Jean-Pierre Coulet. » (p. 61, à ses parents, avril 1846) : terme dépréciatif, ce Coulet étant un menteur et un emprunteur. Origine inconnue.

    b.- « C’est au contraire un triomphe qui s’accommode fort peu avec les racontottes que tu me fais. » (p. 145, à son père, juin-juillet 1858). En franc-comtois « racontote»  a le sens de petite histoire, avec la nuance, dans la phrase de Courbet, de « racontars ».

    d.- « … il serait bon d’acheter à Pommey cette longaine de terrain » (p. 153, à ses parents, septembre 1859) Pour « longueur » ?

    e.- Faisant l’inventaire de son atelier d’Ornans, Courbet mentionne toiles et meubles : « … une baignoire, une rondotte, une garniture de chambre de moire antique pompadour… » (p. 401, à sa famille, janvier 1872). Une rondotte (mot jurassien) désigne une grande bassine. En ancien français, « rondote : petit cuveau ».

    h.- « Je n’ai pas perdu mon temps, j’ai déjà gagné la cude que je fais à Maisières. » (p. 411, à ses sœurs, juillet 1872). Une « cude » est une bêtise3 . La phrase de Courbet peut se comprendre ainsi : j’ai déjà rattrapé la bêtise que j’ [ai] fait à Maisières (avoir porté des seaux d’eau pour éteindre un incendie, ce qui lui occasionna des problèmes de foie et l’empêcha de peindre).

    q.- « J’ai pour le moment plus de 50 tableaux de commandés et de toutes parts on se tire ma peinture à la potenaille. » (p. 436, à J. Castagnary, mars 1873) L’expression se comprend d’elle-même ; le terme « potenaille » désigne une carotte (« patenaille » est un terme de la Suisse romande et de la Savoie ; ancien français pastenaille, panais).

    i.- « Je me suis escoffé contre une porte à demi ouverte, la tête a frapp酠» (p. 535, à sa famille, août 1877) à rapprocher de « escoffier » : tuer.

    Hors lexique, se rencontre par trois fois (pp. 18, 20 &22) un étonnant passé composé du verbe être avec l’auxiliaire être : « Les élèves sont bien plus malins qu’à Ornans. Ils sont tous agaceurs, taquins, et ne cherchent qu’à jouer de mauvaises farces. Pour moi j’en suis été exempt… » ; « Je suis été touché de la lettre que vous m’avez écrite. » ; « Je suis été très content de ce que ma filleule m’a écrit une si belle lettre. »

    Cette construction surprenante m’a dérouté jusqu’à ce que je la trouve chez… Agrippa d’Aubigné. Dans Les Aventures du Baron de Faeneste (écrites vers 1615), œuvre médiocre dont l’intérêt réside surtout dans sa langue étrange (à base de patois gascon), on trouve (je modernise la graphie) :

    « Oh que voilà de beaux fruits : sont-ils du jardin où nous sommes été promenés ? »

    « Si Père Gontier fût été cru, la Cour fût été excommuniée. » (p. 83)

    La Grammaire de la langue française du XVIe siècle5 (p. 120) enregistre ce fait chez Nicolas de Troyes, Noël du Faye, Maurice Scève. Pour ce dernier il s’agirait d’un italianisme, pour les autres d’une tournure populaire. Elle survivait dans le Jura au XIXe, la preuve Courbet ; les trois occurrences datent de ses toutes premières lettres, lorsqu’il passe de la campagne (Ornans) à la ville (Besançon). Il s’en corrige ensuite totalement.

    Terminons par une expression imagée. Ayant eu la visite d’un intermédiaire chargé de réconciliation politique, Courbet, pour «envoyer paître», écrit : « J’ai envoyé l’ambassadeur sur le cul du four. » (p. 404, à sa sœur, mars 1872).


    1

    Correspondance de Courbet, Texte établi et présenté par Petra Ten-Doesschate Chu, Flammarion, 1996 (The University of Chicago, 1992).

    2

    Nos outils ont été les suivants : le Dictionnaire des mots rares et précieux, le Dictionnaire franc-comtois mis en ligne par l’association Cancoillotte.net, le Lexique de l’ancien français par Fr. Godefroy, le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, le site d’onomastique savoyarde et romande de Henry Sluter.

    3

    Existent aussi cudet (curieux un peu niais) et cudot (qui fait des bêtises par gloriole)

    4

    P. 58 de l’édition de Gaston de Raimes, Flammarion, 1895.

    5

    Par Georges Gougenheim, Picard, 1974, rééd. 1994.

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