• Cryptique élémentaire

    CRYPTIQUE ELEMENTAIRE

    Sophie Neveu, l’héroïne du Da Vinci Code, est diplômée du Royal Holloway Institute : c’est une cryptographe professionnelle, présentée comme douée. On la voit pourtant peiner, en compagnie de Robert Langdon qui ne fait pas meilleure figure, sur un cryptogramme simplement codé en écriture inversée. Un certain temps leur est nécessaire pour qu’ils s’avisent qu’un miroir… Plus loin ils cherchent désespérément le mot clé, un mot de cinq lettres, qui n’est pas celui qui vient à l’esprit du lecteur fatigué. Le diplôme de Sophie n’est pas plus crédible que son arbre généalogique ; quant à Dan Brown, spécialiste ès sciences incultes, il s’en tire par un hymne à ce génial cryptographe de Léonard qui est, pour lui, « l’homme universel ». Le mythe Léonard n’avait pas besoin de ce soutien, mais le fait est que l’abondante diffusion du Da Vinci Code l’a encore renforcé. En réalité, Léonard de Vinci n’a pas été le précurseur qu’on prétend : les objets de ses recherches avaient déjà occupé l’Antiquité, les Arabes, le Moyen âge… et occupaient ses contemporains de la Renaissance.

    Un cryptographe autrement plus sérieux, tel est Blaise de Vigenère. Secrétaire de la Chambre sous Henri III, Blaise de Vigenère (1523-1596) s’occupa de traductions (Le Psautier de David en prose mesurée, ou vers libres, 1588) et d’alchimie (Traité du Feu et du Sel). Dans le Traité des Chiffres, ou secrètes manières d’écrire (Paris, 1586 ; reprint chez Guy Trédaniel, Paris, 1996) alternent développements cabalistes et descriptions de procédés de cryptographie; étrange collusion pour notre époque, mais le lien logique est tangible puisque l’alchimie se devant de découvrir ce qui est caché et de dissimuler ce qu’elle découvre, la cryptographie l’intéresse au premier chef; et l’étude de l’ésotérisme des nombres menant insensiblement à celle de leur pouvoir chiffrant. (Je renvoie à l’article « Rond Carré » où cette question était effleurée, lovendrin n°11.) Personnellement je laisse de côté les dissertations délirantes de l’alchimiste pour me pencher avec délice sur les démonstrations rigoureuses du cryptographe.

    Entre quantité de systèmes de chiffres, dont certains sont illustrés par des grilles qui sont de belles planches, en caractères rouges et noirs, d’une habileté typographique remarquable (cf. ill. ci-dessus, p.232 du Traité des Chiffres), il en faut mentionner deux. Blaise de Vigenère se reconnaît des devanciers mais réclame sa part : « de quoi nous amènerons ici quelques artifices, & par ci-après derechef de plus excellents ; partie empruntés des autres, mais améliorés de nous ; & la plus grande part provenant de notre pure invention. » (p.199) Quels sont ces systèmes ? Prenant le contre-pied du chiffrage enfantin qui noie le message dans une multiplicité de signes, l’auteur entreprend de restreindre ces signes le plus possible. Par exemple, avec des traits longs et des traits courts, ou avec des groupes de points : qui ne voit là le principe du langage morse ? (Samuel Morse mit au point le langage et l’appareil dans les années 1830.) De cette idée découle naturellement le chiffrage à base de quelques caractères seulement : Blaise de Vigenère aboutit par ce biais à une phrase codée écrite avec trois lettres a, b et c ; il propose même un chiffrage à base de o : mettez 0 à la place du o, et se dessine le langage binaire de l’informatique (réduction à 0 et à 1). On attribue ordinairement au mathématicien G. Boole (1815-1864) l’invention de ce langage binaire. Mais s’est-on préoccupé des éventuels précurseurs ? Vigenère, resté célèbre pour un encodage par substitution polyalphabétique (puissant, mais ne résistant pas à une analyse fréquentielle) mérite une relecture approfondie. Ce n’est pas la cas de Dan Brown, qu’un unique zéro suffirait à encoder.

    Amédée Schwa


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