• Du Beau dans la geôle

    Du Beau dans la geôle

    Henri Loyrette, le directeur du Louvre, a inauguré le 26 janvier une exposition hors les murs : dix belles reproductions de tableaux de maîtres, bien encadrées, accrochées dans la cour de la prison de Poissy, intra muros. C’est l’aboutissement d’un projet entre le Louvre et le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) des Yvelines : dix détenus ont choisi les tableaux, écrit un commentaire.

    La centrale de Poissy, qui accueille les longues peines, se laisse imaginer aisément. Du Second Empire, du béton années soixante-dix, du disparate et de la laideur à vous boucher l’esprit à jamais. Et voici que Mantegna et le Caravage, Géricault et le Lorrain, Cuyp et d’autres, métamorphosent la geôle. « Belle clarté Chère raison », invoquait Apollinaire dans sa cellule, après le vol de la Joconde en 1911.

    Bien sûr, rire est toujours possible. Du Louvre qui déclare vouloir « lutter contre toute forme d’exclusion », de son directeur qui y voit « une nouvelle occasion de s’engager auprès des publics éloignés des pratiques culturelles ». Des poncifs.

    On pourrait aussi se gausser des propos des détenus impliqués dans l’exposition. Au sujet de L’arbre aux corbeaux de Friedrich, celui qui l’a choisi explique : « Je suis comme l’arbre sans feuilles en ce moment mais derrière il y a la lumière, l’espoir, la liberté. » Pourquoi en rire ? Ces propos ne relèvent pas du poncif. Ils relèvent du subjectif, et telle est la leçon : la culture pour tous, du flan ! Le Beau est objectif, mais la rencontre avec le Beau est avant tout une aventure individuelle. La marine de Cuyp rappelle à un détenu une sortie en mer lors d’une tempête : « Alors on n’est rien. Et ça, ça ne changera pas. En tout cas, c’est ce que j’espère. – On ne voit pas la même chose que vous. »

    Les conditions de détention dans les prisons françaises font de la vie quotidienne des prisonniers une gigantesque installation d’art contemporain, un happening sans espérance. La principale caractéristique de cet « art » est l’inhumanité d’œuvres qui revendiquent leur absence d’intériorité. Or l’art n’a de valeur que dans la mesure où il a une charge spirituelle. Celle-ci peut être explicite – la Crucifixion, par Mantegna, La Madeleine à la veilleuse de La Tour – ou implicite – le Portrait d’une femme noire de Benoist, La diseuse de bonne aventure de Caravage. Le supplément d’âme apporté par le Beau ne changera rien au système, mais réjouissons-nous pour les quelques prisonniers qui en bénéficient à cette occasion.

    Martin Schwa

    Présent du 1er février 2011

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