• Ensor

    Au musée d’Orsay

    Un ange du Bizarre

    Présent, 12 déc. 09

    James Ensor est un peintre belge qui a vécu de 1860 à 1949, mais dont la carrière s’arrête dans les années 1900 lorsque, dégoûté par l’incompréhension, il abandonne la pratique de la peinture. La monographie que lui consacre le musée d’Orsay permet d’avoir une idée complète d’une œuvre originale, qui dérouta.

    Belge, Ensor est d’abord d’Ostende. Il y naît, y vit, y meurt. Seules trois années sont bruxelloises, les années d’étude à l’Académie des Beaux Arts (1877-1880). A Ostende, il mène une vie retirée. Son atelier exigu est situé dans la maison familiale. Au rez-de-chaussée, tenue par sa grand-mère puis sa mère, la boutique de curiosités : une accumulation de coquillages, d’animaux marins, de monstres. L’étrangeté des formes, des couleurs, les reflets, marquèrent le jeune Ensor, et l’inspirèrent quand il devint peintre.

    Pour s’aérer, les cieux surmarins d’Ostende, leur immensité, la lumière, qu’avec la présomption de ses vingt ans il crut être le premier à comprendre. Ensor a peint des ciels étonnants dans lesquels l’influence de Turner est mesurable : ciel orageux, explosif, de La tour de Lisseweghe (1890) ; ciel de feu ruisselant jusqu’au sol pour Le domaine d’Arnheim (1890), référence à Edgar Poe, tant aimé des années symbolistes, dont s’est inspiré Ensor pour des dessins liés à la veine gothique de l’écrivain américain (La vengeance de Hop-Frog, dessin).

    De retour de Bruxelles, il abandonne « le travail pondéré et rassis » de l’Académie, « boîte à myopes ». Il peint de grandes toiles, à la matière lourde, mate, des toiles étudiées, construites, qui ont au-delà de ces caractéristiques, une qualité : celle de restituer une ambiance. Parmi autres intérieurs, L’après-midi à Ostende (1881), écho d’Une après-dînée à Ornans de Courbet admirée au musée de Lille : deux femmes prenant le thé dans la pénombre d’un salon chargé. Ce serait presque étouffant si la paix ne prédominait. L’éclairage est indirect, quelques lumières sur un chemisier.

    La mangeuse d’huîtres (1882) appartient à la même veine solide. Ensor y montre qu’il est peintre de scène de genre autant que de nature morte : la table bourgeoisement chargée de vaisselles est prétexte à un déploiement de reflets. Le tableau fut refusé au Salon d’Anvers. De là date la rupture d’Ensor avec tout ce qui se rattache à l’académique. Il participe à la création du groupe des XX, où se rassemblent les artistes en rupture de ban, parmi lesquels Henry de Groux, Félicien Rops, Fernand Khnopff, Léon Spilliaert. (Ce dernier, autre reclus ostendais, de vingt ans le cadet d’Ensor : ils ont en commun l’étrangeté des lumières, les paysages dégagés et angoissants, la passion de l’autoportrait.)

    Avec Les masques scandalisés (1883), Ensor introduit dans son œuvre les masques qui ne la quitteront plus. Ils apportent une note d’étrangeté. C’est l’étrangeté que la critique reproche à Ensor, et celle qu’Ensor ne manque pas de trouver dans l’attitude de ses détracteurs. Les masques appartiennent au folklore ostendais, dont le carnaval est prisé. Ils sont aussi à la mode en cette fin de siècle, mais rares sont les artistes qui l’ont utilisé aussi systématiquement. Dans L’intrigue (1890), un masque ressemble comme deux gouttes d’eau à Mickaël Jackson ; Ensor aux masques (1899) est une réminiscence du Christ aux outrages de Bosch.

    Avec La Mort et les masques (1897), sont associés masques et crâne, autre élément récurrent. Squelettes se disputant un hareng saur (1891, illustration) relève d’une veine goyesque, où l’artiste joue sur son nom, à la façon du langage héraldique. On se souvient d’un crâne fumant une cigarette, par Van Gogh : bizarrerie, mais aussi délassement de rapin, le crâne faisant partie du matériel d’atelier.

    Revenons aux années 1880. Ensor travaille à de petits dessins, des gravures, puis de grands formats qu’il expose au Salon des XX à Bruxelles en 1887 : la série intitulée « Les auréoles du Christ ou les sensibilités à la lumière ». Qu’il s’agisse d’une Crucifixion, d’une Ascension ou de l’Entrée à Jérusalem, le Christ est isolé et lumineux au milieu d’une masse confuse, monstrueuse et moderne. L’Entrée à Jérusalem sera ensuite reprise en Entrée à Bruxelles. Sujets chrétiens ? On connaît le goût de l’art symboliste pour la figure du Christ comme « motif », sa signification sociale plus que religieuse ces années-là, suite aux écrits de Renan. (A rapprocher de l’œuvre de Fernand Pelez, cf. Présent du 28 nov.)

    Hélas pour Ensor, ses dessins ne furent pas compris, pas même par ses confrères des XX, plus intéressés par le Dimanche à la Grande-Jatte de Seurat, invité à l’exposition. Ensor peignit encore une dizaine d’années, se répétant de plus en plus. Sa peinture fut reconnue à partir des années 1910. C’était tardif.

    Samuel

    James Ensor.

    Jusqu’au 4 février 2010, Musée d’Orsay.

    illustration : James Ensor, Squelettes se disputant un hareng saur © MRBAB, Bruxelles © ADAGP, Paris 2009


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