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Erik Satie
NOTES SATIQUES<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
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Le Piège de Méduse, comédie lyrique dErik Satie, est un texte déroutant par lutilisation outrancière qui est faite de labsurde. On présente ordinairement ce texte comme une première dadaïste ou surréaliste, et pourquoi pas, mais prétendre que les sept pièces dansées seraient la musique du surréalisme est abusif. Ces pièces, de la veine des Sports et Divertissements, sont dune limpidité qui nappartient quà Satie et qui font un contraste saisissant avec le texte. Nous voudrions aujourdhui éclaircir certains aspects de ce livret.<o:p></o:p>
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Polycarpe, le domestique, tutoie le Baron Méduse. Celui-ci en donne lexplication à Astolfo : « Polycarpe a fondé un important syndicat, il y a quatorze ans Un jour que javais la berlue souffrant au point de ne savoir où me mettre Polycarpe moffrit dentrer dans son syndicat, chose qui me ferait le plus grand bien, assurait-il Un mois après, jétais guéri et chauve. Par reconnaissance, jai été obligé, daprès les statuts du syndicat secret, daccorder une certaine liberté, une certaine latitude au frère Polycarpe, pour lexécution de son service. Polycarpe était devenu mon frère Cest assez curieux, nest-ce pas ? Sans men douter, la berlue mavait rendu socialiste, par Polycarpe. » (scène VII)<o:p></o:p>
Il est facile dy voir une thèse politique, Satie ayant été socialiste puis communiste. Lengagement resta relatif : P.-D. Templier note qu « il aimait à se sentir dans les réunions enfumées où il savourait le ridicule de certains militants bavards »[i], et Satie remarqua vite que les communistes quil côtoyaient restaient, en art, des Philistins. Dire que la berlue rend socialiste nest pas non plus flatteur pour ce parti. Polycarpe na pas toujours le beau rôle : il est hargneux (scène V), méprisant (scène VII). Au delà dune signification politique, ce tutoiement a dabord un effet comique. Or cela a échappé jusquà maintenant aux glossateurs Feydeau avait employé cet effet dans Le Dindon, (1896). Un domestique, Gérôme, tutoie son maître, Rédillon (Acte III, scène I et suiv.). Dans les deux cas, leffet comique est accentué puisque le maître, lui, vouvoie le domestique, et un tiers, surpris, demande des explications.<o:p></o:p>
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FEYDEAU<o:p></o:p>
SATIE<o:p></o:p>
Scène 2<o:p></o:p>
Rédillon Je te demande pardon, cest un vieux domestique de la famille.
Amandine Il est plutôt familier ! [ ]<o:p></o:p>
Rédillon Quest-ce que tu veux, il ma vu naître, et pas moi.<o:p></o:p>
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Scène VII<o:p></o:p>
Méduse Il mest très dévoué On ne trouve plus de tels serviteurs. Je lai vu naître lorsquil avait vingt-cinq ans.<o:p></o:p>
Astolfo Pourquoi vous tutoie-t-il ?<o:p></o:p>
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Dans les deux cas, le vieux domestique est râleur : « il est incorrigible », dit Gérôme de Rédillon ; « il faut avoir une patience de cheval, pour vivre de toi ! » dit Polycarpe de Méduse. Polycarpe déclare : « Jai voulu faire quelque chose de toi ; mais jabdique » Gérôme : « Tu me fais de la peine. » Face à ces domestiques envahissants, il arrive un moment où, en vain, les maîtres tentent de reprendre la situation en main.<o:p></o:p>
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Scène 6<o:p></o:p>
Gérôme Eh bien ! Quest-ce que tu fais là ?<o:p></o:p>
Rédillon Est-ce que jai des comptes à vous rendre ? Allez-vous-en ! <o:p></o:p>
Gérôme Oui !<o:p></o:p>
Rédillon Et fermez la porte !<o:p></o:p>
Gérôme Pourquoi, tas froid ?<o:p></o:p>
Rédillon Parce que je vous le dis Et puis, nentrez plus sans que je vous appelle.<o:p></o:p>
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Scène VIII<o:p></o:p>
Polycarpe Tu as encore sonné ?<o:p></o:p>
Méduse Certainement Jai sonné avec ma voix. Je donne ma démission de membre du syndicat. [ ] Notre pacte est rompu ; & je tiens à vous dire que si vous nêtes pas convenable envers moi, je vous chasse, . Je vous fais fusiller.<o:p></o:p>
Polycarpe Je suis aux ordres de Monsieur le Baron.<o:p></o:p>
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La différence est entre les maîtres : Rédillon, homme à femmes, est lantithèse de Méduse, solitaire. <o:p></o:p>
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On note que, de lévidence dite par Rédillon (« il ma vu naître, et pas moi »), Satie tire une absurdité : « je lai vu naître lorsquil avait vingt-cinq ans ». Ce procédé est repris pour une autre réplique.<o:p></o:p>
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FEYDEAU<o:p></o:p>
SATIE<o:p></o:p>
III, 2<o:p></o:p>
Amandine Il est plutôt familier !<o:p></o:p>
Rédillon Eh bien ! oui, puisquil est comme de la famille ! Cest mon oncle de lait !<o:p></o:p>
Amandine Ton oncle de lait ? <o:p></o:p>
Rédillon Autrement dit, cest sa mère qui a nourri papa. Nous sommes parents par le lait.<o:p></o:p>
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Scène II<o:p></o:p>
Astolfo Nest-elle pas votre fille ?<o:p></o:p>
Méduse Frisette est ma fille de lait. Oh ! cest toute une histoire. Je ne vous la raconterai pas : vous ny comprendriez rien Moi non plus, du reste.<o:p></o:p>
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Cela est effectivement incompréhensible et donne limpression (qui nexiste pas chez Feydeau, où la tournure employée est amusante parce quinattendue, sans plus) que Frisette nest pas la fille de Méduse. Dune épouse, dune Baronne Méduse, il nest dailleurs jamais question. Méduse naurait pas de famille, ce qui en fait encore plus un isolé.<o:p></o:p>
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La concordance entre le texte de Feydeau et celui de Satie me semble patente. Un troisième rapprochement est à faire. Dans un article intitulé « Parfait entourage », Satie dit posséder, grâce à la modestie de sa fortune, « un magnifique faux Rembrandt », un « Téniers simulé ». On rapprochera cela des paroles de Pontagnac, toujours dans le Dindon, qui déclare avoir « un Corot fils et un Rousseau cousin ! [ ] ça coûte beaucoup moins cher. » (I, 11) Ornella Volta note que dans cet article de Satie « sans encore dire son nom, le Baron Méduse vient déjà rêvasser [ ] de la vie bourgeoise »[ii]. Les dates concordent : cet article paraît lété 1912, à un moment où vraisemblablement la pièce est en gestation (elle sera achevée fin mars 1913).<o:p></o:p>
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Souvenons-nous que le syndicat secret fondé par Polycarpe la été, suivant le Baron, il y a quatorze ans. Ce nombre est assez précis pour quon en tienne compte. Si on enlève ces quatorze ans à 1912-1913, on remonte aux années 1898-1899. Cest justement en 1898 que Satie écrivit, en collaboration avec Jules Dépaquit, une première version du Piège de Méduse (en cinq actes, fort différente de la version que nous connaissons)[iii]. Date qui nous rapproche de celle de la création du Dindon, 1896.<o:p></o:p>
Troublant. Dans Les Nuits, les Ennuis et les Âmes de nos plus notoires contemporains, Ernest La Jeunesse, un auteur dont il faudra reparler, fait dire à Émile Zola : « Je suis donc né à vingt-cinq ans peut-être ou à trente » (p. 102), ce qui nous reporte aux propos de Méduse de la scène VII. Or ce livre date de 1896.<o:p></o:p>
Une lettre à son frère Conrad, du 1er juillet 1899, se termine par ses mots : « ton petit frère de lait chaud ». Le jeu de mot est anodin, mais le thème est là.<o:p></o:p>
1898 est aussi lannée où il sinstalle à Arcueil, dans un logement sordide. Quel lien avec Le Piège ? Ma foi, pourquoi ne pas se fonder sur lexergue même de la pièce ? « Le rôle du Baron Méduse est une façon de portrait Cest même mon portrait un portrait en pied. Erik Satie ». Le thème de la solitude ouvre la pièce. « Suis-je seul ? Bien seul ? Il regarde sous tous les meubles & va sasseoir au bureau. Jaime la solitude, la tranquillité. » Ces interrogations peuvent sentendre à double sens : est-il possible que je sois si seul ? Suis-je bien, étant seul ? Regardant sous les meubles, le Baron Méduse naimerait-il pas y trouver quelquun qui lui tienne compagnie ? <o:p></o:p>
À cette solitude du Baron Méduse déjà constatée, et qui correspond tellement à Satie, à cette solitude soppose le mariage dAstolfo et Frisette, ainsi que celui du domestique Polycarpe qui lannonce à son maître : « je te laisse dans ton coin sombre, bourbeux. Du reste, je vais me marier Tu resteras tout seul. À ta place, jaurais honte & je me tuerais à coups de bâton dans les jambes. » (scène VII) Le coin sombre et bourbeux décrirait assez bien la chambre de Satie à Arcueil. « Tu resteras tout seul » : ton de la malédiction[iv]. « Se tuer à coups de bâton dans les jambes » : pirouette habituelle de Satie quand il est près de se livrer trop intimement. Reportons-nous encore à lexergue : « Cest ici une pièce de fantaisie sans réalité. Une boutade. Ny voyez pas autre chose. » Derrière les boutades de Satie se cachent toujours des confidences à lire entre les lignes. Cet exergue est une invite à y regarder de plus près. Le Piège de Méduse ne serait-il pas une comédie de la solitude ? Une comédie aigre-douce ? Ce nest plus dabsurde quil sagit alors, mais dune réalité cruelle que connaissait bien Erik Satie.<o:p></o:p>
Amédée SCHWA<o:p></o:p>
[i] Erik Satie, Paris, 1932, p. 67 (rééd. Les Introuvables, 1975).
[ii] Erik Satie, Ecrits, Paris, 1977, p. 240.
[iii] Voyez Erik Satie, Correspondance presque complète, Réunie et présentée par Ornella Volta, Fayard/Imec, Paris, 2000, p.83.
[iv] Sur la vie sentimentale de Satie et la question du mariage, nous renvoyons à Samuel Martin, « Trois Pauvres : Léon Bloy, Erik Satie, Vincent Van Gogh », in Les Provinciales, n°54-55, juin 2000.
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