• Evocation: Léon Valade

    Notre collaborateur G. Lindenberger mentionne dans son article (cf. page précédente) le poète Léon Valade « si affadi par le temps ». Affadi, et totalement oublié : son nom n’est connu que des spécialistes de la période. Léon Valade (1842-1884) fit partie du groupe des Hydropathes, cercle de poètes et d’artistes fondé en 1878. Les Hydropathes tenaient des réunions informelles et chahutées au cours desquelles de bons ou de mauvais poètes, connus ou non, disaient leurs propres vers, où les chanteurs chantaient leurs textes et les comédiens jouaient des monologues (ainsi appela-t-on les premiers sketchs). Ces soirées furent de grands moments du Quartier latin, avant que celles du Chat Noir et Montmartre n’en prennent le relais[1]. Léon Valade collabora à de nombreuses revues : c’était l’époque bénie où elles foisonnaient, mais ne publia qu’un seul volume : Avril, Mai, Juin (1863). Ses vers posthumes furent édités par Alphonse Lemerre en 1890, ainsi classés : poèmes vénitiens, médaillons et silhouettes dramatiques, rimes familières, triolets et gazettes rimées, poésies diverses. Une bonne partie de ces vers est désuète ou sans grand intérêt. Les poèmes sur Venise sont froids. Les rondes écrites pour « Chœur de Petits Jardiniers et de Petites Bouquetières », ou « Chœur de Petits Moissonneurs et… etc. » sentent leurs années soixante-dix définitivement. Ailleurs, çà et là, on trouve une strophe qui « parle » encore :<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Mais jamais tu ne te révèles :<o:p></o:p>

    Et dans les verres où les baisers<o:p></o:p>

    De tes lèvres s’étaient posés,<o:p></o:p>

    Je n’ai bu que des soifs nouvelles.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Ce début de « Bouquet » survit :<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Pauvres fleurs d’un bouquet de fête,<o:p></o:p>

    Votre fraîcheur, que peu d’instants<o:p></o:p>

    Flétriront, ne semble pas faite<o:p></o:p>

    Pour promettre d’aimer longtemps.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Peut-on sans ironie amère<o:p></o:p>

    Engager l’avenir lointain,<o:p></o:p>

    Quand on est la rose éphémère<o:p></o:p>

    Ou le liseron d’un matin ?<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    « Personne » mérite, non le détour, mais un court arrêt :<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Je possède une femme, et de ce bien chéri<o:p></o:p>

    N’entends faire part à personne ;<o:p></o:p>

    Que personne n’en veuille à mon front de mari,<o:p></o:p>

    Je n’en veux au front de personne.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    De deux sous, tout autant ! Dieu m’a daigné renter,<o:p></o:p>

    Et je ne les dois à personne ;<o:p></o:p>

    À personne, d’ailleurs, je n’ai rien à prêter,<o:p></o:p>

    Je n’emprunte rien à personne.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Personne ne mettra la main sur mon collet,<o:p></o:p>

    Car ma vieille rapière est bonne !<o:p></o:p>

    Personne, je le dis, ne sera mon valet,<o:p></o:p>

    Ni moi le valet de personne.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Je veux vivre joyeux et libre, et, Dieu merci !<o:p></o:p>

    Ne m’attristerai pour personne ;<o:p></o:p>

    Si personne, après tout, de moi ne prend souci,<o:p></o:p>

    Je n’aurai souci de personne.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    D’autres pièces intéressent l’histoire littéraire. « Le miroir de Sarcey » est une moquerie à l’encontre du critique béotien qui fut l’objet des sarcasmes répétés d’Alphonse Allais.<o:p></o:p>

    ………………………<o:p></o:p>

    Voyant devant lui la figure<o:p></o:p>

    Notoire d’un homme d’esprit,<o:p></o:p>

    Sarcey sourit comme un augure<o:p></o:p>

    À son reflet qui lui sourit.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Il songe, les mains sur son ventre :<o:p></o:p>

    « Toutes !... à toutes même sort !<o:p></o:p>

    On me dit « monsieur ! » quand on entre,<o:p></o:p>

    Et « Francisque ! » lorsqu’on sort…[2]<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Avec le poème « Allez, la musique ! », Léon Valade réagit à cette phrase d’Émile Zola : « Les poètes peuvent continuer à faire de la musique pendant que nous travaillerons… » L’écrivain bourgeois est moqué par le bohème :<o:p></o:p>

    ………………………<o:p></o:p>

    De conscience, nul n’en a<o:p></o:p>

    Plus que Zola, quand il travaille.<o:p></o:p>

    Zola fait son œuvre : Nana,[3]<o:p></o:p>

    Et va, sans que le cœur lui faille.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Il poursuit, le front dans ses mains,<o:p></o:p>

    La « grande enquête universelle »<o:p></o:p>



    Commencée avant les Romains.<o:p></o:p>

    Il poursuit , le front dans ses mains…<o:p></o:p>

    L’amas des « documents humains »<o:p></o:p>

    Charge sa table qui chancelle.<o:p></o:p>

    Il poursuit, le front dans ses mains,<o:p></o:p>

    La « grande enquête universelle ».<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Un homme est entré dans la cour.<o:p></o:p>

    Quoi ! jusque chez lui, ces poètes<o:p></o:p>

    Braveront le Balzac du jour !<o:p></o:p>

    Un homme est entré dans la cour.<o:p></o:p>

    Le portier gueule sans détour :<o:p></o:p>

    « Détalez, feignant que vous êtes ! »<o:p></o:p>

    Un homme est entré dans la cour.<o:p></o:p>

    Quoi ! jusque chez lui, ces poètes…<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Zola se lève dédaigneux<o:p></o:p>

    Et jette un sou par la fenêtre<o:p></o:p>

    Dans le chapeau du pauvre vieux.<o:p></o:p>

    …………………………<o:p></o:p>

    Ô Naturalisme, merci !<o:p></o:p>

    Chanter sera moins amer, si<o:p></o:p>

    Nos chants bercent ton labeur vaste !<o:p></o:p>

    Ô Naturalisme, merci<o:p></o:p>

    D’alléger notre sort néfaste !<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Le recueil posthume se termine par une pièce en vers, qualifiée de « féerie », où se mêlent le marquis de Carabas, Géronte (financier), Pancrace (académicien), et différents jeunes filles & jeunes gens, amants les uns des autres. Rien d’extraordinaire, sauf les considérations climatiques de Pancrace :<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Monsieur, le corps savant dont j’ai l’heur d’être membre<o:p></o:p>

    Impute la rigueur croissante des saisons<o:p></o:p>

    Au refroidissement du globe… […]<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    la baronne, soupirant, à Pancrace.<o:p></o:p>

    La science dit vrai : quand j’étais jeune fille,<o:p></o:p>

    Je n’avais jamais froid !<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    pancrace.<o:p></o:p>

                                       Oui, des calculs certains<o:p></o:p>

    Expliquent depuis peu par les volcans éteints<o:p></o:p>

    Ce marasme incurable où languit la nature,<o:p></o:p>

    En qui le feu central se meurt…<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Il y a quinze ans, on nous expliquait le refroidissement du globe, aujourd’hui on nous prouve le réchauffement de la planète : ce genre de considération, on le voit, n’est pas neuf. <o:p></o:p>

    Mais refermons les poésies de Léon Valade, en souhaitant que ses mânes ne nous en tiennent pas rigueur.<o:p></o:p>

    Smartin<o:p></o:p>



    [1] Au sujet des Hydropathes, je renvoie le lecteur à l’excellente réédition de Dix ans de bohèmeÉmile Goudeau (Champ Vallon, 2000 ; première édition : 1888), abondamment commentée et documentée, par M. Golfier et J.-D. Wagneur. Cousin de Léon Bloy, É. Goudeau fut le fondateur et le principal président des Hydropathes.<o:p></o:p>

    [2] Un autre poème commence par ce vers : « Sarcey fleurit : les temps héroïques sont clos. » (p. 174).<o:p></o:p>

    [3] Nana paraît en 1880.<o:p></o:p>



  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :