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    ©7435 P7 samuel

    Au musée Guimet

    Le Livre rouge de C.G. Jung

    Pour les spécialistes de la psychologie analytique jungienne, l’événement est d’importance : l’exposition du manuscrit du Liber novus, calligraphié et enluminé par le maître, est l’hommage à lui rendu pour le cinquantenaire de son décès. C.G. Jung commença ce manuscrit à un moment charnière, difficile de sa vie, en 1914, après la rupture de sa collaboration avec Freud.

    Leurs divergences portaient d’abord sur la prépondérance ou non de la sexualité. Selon Freud elle est à l’origine de tout, elle explique même le fait religieux. Selon Jung, elle est une libido parmi d’autres, et le spirituel est une activité normale, innée, de l’âme. Autre divergence, le sens des images oniriques. De l’avis de Freud, les images du rêve dissimulent les désirs, il faut s’en méfier pour mieux les décrypter. De celui de Jung, elles dévoilent l’inconscient, il faut les accepter pour les comprendre.

    Les images tiennent une place primordiale dans l’œuvre de Jung, images individuelles, images archétypales remontées de l’inconscient collectif sous forme de symboles. Dans le Liber novus (livre nouveau), communément appelé Livre rouge, Jung a consigné, illustré et interprété les rêves, fantasmes, visions et fruits de l’imagination active à laquelle il s’abandonnait, qu’il a expérimentés, sur la période 1914-1930.

    Dès son enfance, enfance assez triste entre un père pasteur et une mère dépressive, Jung a des rêves étranges et marquants. Sa facilité à l’introspection sur le mode du vague à l’âme contribue à le replier sur lui-même. Il éprouve la sensation d’être double. Cela n’est pas sans analogie avec les enfances du sculpteur Théophile Bra et du peintre William Blake, ni avec leur âge adulte : comme eux, Jung dans ce Livre rouge s’exprimera par images curieuses, chargées de symbolisme et mêlées à l’indigeste fatras gnostique, aux arguties bouddhiques auxquelles s’est abreuvé un Occident déchristianisé, oublieux de la tradition et de l’expérience chrétiennes en matière de méditation et de mystique.

    La parution en 2009 du fac-similé et des traductions anglaises et allemandes du Livre rouge, son exposition aux Etats-Unis, en Suisse et ces mois-ci à Paris alors que paraît la traduction française, sont importantes pour une meilleure connaissance de Jung, y compris critique. Le manuscrit avait été enfermé presque cinquante ans dans un coffre-fort après son décès. Ce volumineux codex pèse sept kilos. Deux fac-similés permettent le feuilletage. Façon médiévale, Jung organise la page en colonnes, le texte est serré, accompagnées de lettrines ornées, de vignettes. Certaines illustrations sont pleine page. Des feuillets indépendants, des manuscrits montrent l’image comme moyen d’expression à part entière pour Jung.

    Il a dessiné de nombreux mandalas, ces cercles qui combinent géométrie et figuration, supports de méditation. Il dessine le premier en 1916, intitulé Systema mundi totius (Système du monde entier) en rapport avec les Septem sermones ad mortuos (Sept discours aux morts) qu’il publie alors, dont on nous explique que « c’est une cosmologie psychologique qui a pris la forme d’un mythe de création gnostique » – oh. A cette date, Jung vivait des événements parapsychiques – ah. Il accordait une grande importance aux mandalas. « Mes dessins de mandala étaient des cryptogrammes sur l’état de mon Soi, qui m’étaient livrés journellement. »

    Un personnage important est Philémon, vieillard à barbe blanche, Jimini Cricket des profondeurs, incarnation de l’inconscient de Jung, lequel commentait : « il était accompagné d’une atmosphère égypto-gnostico-hellénistique » – ouh.

    Quelques trésors du musée Guimet complètent la présentation du Liber novus. Les Visions secrètes du Ve Dalaï-lama, suite de mandalas peints à l’or, à l’argent et en couleurs sur papier noir (deuxième moitié du XVIIe siècle). Des peintures tibétaines représentant des mandalas, des personnages comme le « Maître des remèdes » (XIVe), ou de plus antiques peintures de Dunhuang (VIIIe-Xe), représentant des Boddhisattvas. L’œuvre la plus impressionnante est japonaise (XVIe), une sculpture sur bois d’un moine de la secte zen, massive. Le visage est émacié et la générosité du drapé paraît être celle de l’auguste moine lui-même.

    Cependant on a du mal à relier ces belles œuvres asiatiques aux discours jungiens. La lisibilité de celles-là est absente de ceux-ci. Jung est un homme plutôt sympathique, plus que Freud, les concepts d’inconscient collectif et d’archétypes ne manquent pas d’intérêt, mais le contenu du Livre rouge révèle un homme beaucoup moins « scientifique » qu’il paraissait. La crédibilité de la psychologie analytique en tant que thérapie et « science humaine » n’en sort pas confortée.

    Samuel

    Le Livre rouge, récits d’un voyage intérieur. Jusqu’au 7 novembre 2011, musée Guimet. Tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 18h. Entrée : 5 euros.

     

    illustration : Livre Rouge de C.G. Jung, Brahmanaspati (Seigneur des prêtres). © 2009 Fondation des œuvres de C.G.Jung, Zürich


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