• Goya graveur

    Au Petit Palais<o:p></o:p>

    Un bain d’acide<o:p></o:p>

    Présent du 12 avril 08<o:p></o:p>

    Francisco Goya (1746 – 1828) commença sa carrière de graveur en reproduisant les tableaux de Vélasquez, honneur des collections royales. Ayant fait ses armes dans cet exercice difficile, il s’essaya à des sujets plus personnels, une fuite en Egypte, une espagnolade (un aveugle à la guitare), un garrotté – supplicié qui en annonce d’autres. Il se tourna vers des graveurs : Rembrandt l’influença, et Tiepolo (mort en 1770) qui avait publié une suite de Caprices : des chouettes parmi de vieilles pierres, la Mort qui donne audience annoncent les Caprices de Goya, réalisés à partir de 1797 et publiés en 1799.<o:p></o:p>

    Quelle galerie que ces caprices ! Et déjà quel génie du titre bref, allusif, énigmatique, moqueur, cruel ! Jeune femme prélevant les dents d’un pendu (A la chasse aux dents), galants, jeunes femmes et vieilles maquerelles (Qui se ressemble s’assemble, illustration), parfois occupées à plumer des hommes-poulets syphilitiques (Les voilà déplumés), monstres se taillant les griffes les uns les autres (Ils se pomponnent), vieille qui se farde (Jusqu’à la mort), sorcières au sabbat, âne posant devant un singe peintre… La veine des fantaisies est exploitée avec succès et dépassée. La satire exprime de façon déguisée les opinions du Goya « éclairé », sympathisant des philosophes français, dénonçant une Espagne rétrograde.<o:p></o:p>

    Quand il se remet à la gravure en 1810, la désillusion a marqué sa vie à jamais. Le peintre francophile a vu l’Espagne occupée par les armées napoléoniennes, le peuple et les religieux massacrés par les enfants de la Révolution. Répression menée par Murat à Madrid en 1808, répression à travers tout le pays en 1810, Goya, pour reprendre le titre d’une de ses gravures, a vu cela. On y rencontre des pendus, des fusillés, des garrottés, on y croise des charretées de cadavres (Enterrer et se taire). Les Désastres de la guerre rappellent Les Supplices et Les Misères de la guerre de Jacques Callot mais sont d’une crudité toute moderne. Goya travailla à ces planches entre 1810 et 1820 car après les troubles mêmes les images continuèrent à le hanter. <o:p></o:p>

    La série de la Tauromachie est comme une respiration (1815-1816). La mort est pourtant présente, celle du taureau ou celle du torero (La mort malheureuse de Pepe Hillo). Sur la fin de sa vie, Goya s’essayera à des scènes tauromachiques travaillées sur la pierre lithographique, qui permet d’autres effets, d’autres noirs, d’autres textures. Entre 1816 et 1823, il renoue avec les caprices sous le titre de Disparates, caprices à la puissance dix. Les thèmes traditionnels sont traités avec encore plus de mystères, de fantastique. <o:p></o:p>

    En 1824, âgé de 78 ans, craignant pour sa sécurité, Goya s’exile en France et y finit sa vie discrètement. Ses Caprices ne l’ont pas attendu, ils ont franchi les Pyrénées dans les malles du baron Vivant-Denon et dans celles des officiers, et les romantiques en ont fait immédiatement leur miel : le Faust de Delacroix en porte la marque. Les écrivains s’y intéressent : Baudelaire les goûtent, Mérimée les juge déplaisantes.<o:p></o:p>

    Les Disparates ne sont publiés à Madrid qu’en 1854, Les Désastres qu’en 1863 : leur influence se fait sentir sur la seconde moitié du siècle. Les symbolistes apprécient les images sombres et débridées que Goya n’a dessinées que pour déplorer ce sommeil de la raison qui engendre des monstres, mais avec tant de force, tant d’imagination, que cauchemars et grotesques ont acquis, par son burin, des lettres de noblesse : des symbolistes secondaires s’en inspirent (M. Roux, F. Bulot, F. Chifflart), Odilon Redon publie six planches en hommage à Goya. L’exhumation du corps du peintre à Bordeaux en 1888 est en elle-même un disparate : la tête manque au squelette, vraisemblablement volée par un phrénologiste.<o:p></o:p>

    Dans un registre plus dramatique, Léopold Debrosses (1821-1900), lorsqu’il veut graver les horreurs du siège de Paris, se sert des Désastres (Paris et ses avant-postes pendant le siège de 1870-1871). Inégales eaux-fortes, parmi lesquelles on retient Les fosses de Champigny, digne des fosses madrilènes. Au XXe siècle, Paul Morand s’approprie Goya : chaque chapitre du Flagellant de Séville (1951) a pour titre celui d’une gravure, l’artiste lui-même est un des personnages secondaires, et l’écriture de certains chapitres se veut totalement picturale. L’action, située en Espagne au moment de l’occupation française de 1808-1810, permet d’évoquer des événements récents et douloureux (collaboration, résistance, épuration). Identification d’une œuvre à une autre, d’un créateur à un autre – Paul Morand est exilé en Suisse lorsqu’il écrit ce roman, et lui aussi a vu cela. Cette fécondité des gravures de Goya cent cinquante ans après montre combien elles étaient plus que des œuvres de circonstance.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Goya graveur,<o:p></o:p>

    jusqu’au 8 juin, Musée du Petit Palais<o:p></o:p>

    illustration : Goya, Tal para qual, Caprices © Petit Palais / Roger Viollet<o:p></o:p>


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