-
Guy de Maupassant
II. Les Soirées de Médan ; <o:p></o:p>
Maupassant<o:p></o:p>
Manifeste de lécole naturaliste, Les Soirées de Médan paraît en 1880. La guerre de 1870 est lunique sujet. Des auteurs, trois ont laissé une uvre (Zola, Maupassant, Huysmans) et trois à peine un nom : Henri Céard, Léon Hennique et Paul Alexis, « élèves obéissants » du naturalisme (dixit Paul Guth). La Saignée (Céard) met en scène le général Trochu et une peu crédible maîtresse devenant patriote ; Après la bataille (Alexis), un prêtre soldat blessé et une jeune veuve qui a lu Sade. Laffaire du grand 7 (Hennique) vient confirmer lincapacité de la prétendue objectivité à rendre la réalité des faits. Toute situation tourne à la platitude. Nous parcourons les «débilitantes pâtures pessimistes».1 Lattaque du moulin de Zola, morne et laborieuse narration dune escarmouche, ne tire personne daffaire. Seuls brillent les deux écrivains qui ne sont pas et ne seront pas naturalistes stricto sensu : Huysmans avec un récit de non-guerre (la colique dun conscrit, Sac-au-dos) et Maupassant dont Boule-de-Suif fut reconnu immédiatement comme un chef-duvre.<o:p></o:p>
Les biographes ne sont pas unanimes : Maupassant, de la classe de 1870, a-t-il devancé lappel en sengageant ? Versé dans lIntendance, il a connu la déroute de Rouen, mais ensuite certains lui font vivre le siège de la capitale, dautres rester au Havre, épargné par linvasion. Quoi quil en soit, outre Boule-de-Suif, il a écrit une petite quinzaine de nouvelles sur la guerre.2 Nous retenons Saint-Antoine, parue dans le Gil Blas en avril 1883 et reprise la même année dans Les Contes de la bécasse. La grosse rigolade qui tourne au cauchemar sur fond de nuit et daboiements est typique de lécrivain. Comparer leffet obtenu par Maupassant, saisissant, à celui que tire Daudet dune situation proche sans sélever au-dessus de lanecdote (Le Prussien de Bélisaire) est instructif et sans appel.<o:p></o:p>
Saint-Antoine
On lappelait Saint-Antoine, parce quil se nommait Antoine, et aussi peut-être parce quil était bon vivant, joyeux, farceur, puissant mangeur et fort buveur, et vigoureux trousseur de servantes, bien quil eût plus de soixante ans.<o:p></o:p>
Cétait un grand paysan du pays de Caux, haut en couleur, gros de poitrine et de ventre, et perché sur de longues jambes qui semblaient trop maigres pour lampleur du corps.<o:p></o:p>
Veuf, il vivait seul avec sa bonne et ses deux valets dans sa ferme quil dirigeait en madré compère, soigneux de ses intérêts, entendu dans les affaires et dans lélevage du bétail, et dans la culture de ses terres. Ses deux fils et ses trois filles mariés avec avantage, vivaient aux environs, et venaient, une fois par mois, dîner avec le père. Sa vigueur était célèbre dans tout le pays dalentour ; on disait, en manière de proverbe : « Il est fort comme Saint-Antoine. »<o:p></o:p>
Lorsque arriva linvasion prussienne, Saint-Antoine, au cabaret, promettait de manger une armée, car il était hâbleur comme un vrai Normand, un peu couard et fanfaron. Il tapait du poing sur la table de bois, qui sautait en faisant danser les tasses et les petits verres, et il criait, la face rouge et lil sournois, dans une fausse colère de bon vivant : « Faudra que jen mange, nom de Dieu ! » Il comptait bien que les Prussiens ne viendraient pas jusquà Tanneville ; mais lorsquil apprit quils étaient à Rautôt, il ne sortit plus de sa maison, et il guettait sans cesse la route par la petite fenêtre de sa cuisine, sattendant à tout moment à voir passer des baïonnettes.<o:p></o:p>
Un matin, comme il mangeait la soupe avec ses serviteurs, la porte souvrit, et le maire de la commune, maître Chicot, parut suivi dun soldat coiffé dun casque noir à pointe de cuivre. Saint-Antoine se dressa dun bond ; et tout son monde le regardait, sattendant à le voir écharper le Prussien ; mais il se contenta de serrer la main du maire qui lui dit : « En vlà un pour toi, Saint-Antoine. Ils sont venus cte nuit. Fais pas de bêtises surtout, vu quils parlent de fusiller et de brûler tout si seulement il arrive la moindre chose. Te vlà prévenu. Donne-li à manger, il a lair dun bon gars. Bonsoir, je vas chez ls autres. Y en a pour tout le monde. » Et il sortit.<o:p></o:p>
Le père Antoine, devenu pâle, regarda son Prussien. Cétait un gros garçon à la chair grasse et blanche, aux yeux bleus, au poil blond, barbu jusquaux pommettes, qui semblait idiot, timide et bon enfant. Le Normand malin le pénétra tout de suite, et, rassuré, lui fit signe de sasseoir. Puis il lui demanda : « Voulez-vous de la soupe ? » Létranger ne comprit pas. Antoine alors eut un coup daudace, et, lui poussant sous le nez une assiette pleine : « Tiens, avale ça, gros cochon. »<o:p></o:p>
Le soldat répondit : « Ya » et se mit à manger goulûment pendant que le fermier triomphant sentant sa réputation reconquise, clignait de lil à ses serviteurs qui grimaçaient étrangement, ayant en même temps grandpeur et envie de rire.<o:p></o:p>
Quand le Prussien eut englouti son assiettée, Saint-Antoine lui en servit une autre quil fit disparaître également ; mais il recula devant la troisième, que le fermier voulait lui faire manger de force, en répétant : « Allons fous-toi ça dans le ventre. Tengraisseras ou tu diras pourquoi, va, mon cochon ! »<o:p></o:p>
Et le soldat, comprenant seulement quon voulait le faire manger tout son saoul, riait dun air content, en faisant signe quil était plein.<o:p></o:p>
Alors Saint-Antoine, devenu tout à fait familier, lui tapa sur le ventre en criant : « Y en a-t-il dans la bedaine à mon cochon ! » Mais soudain il se tordit, rouge à tomber dune attaque, ne pouvant plus parler. Une idée lui était venue qui le faisait étouffer de rire : « Cest ça, cest ça, saint Antoine et son cochon. Vlà mon cochon ! » Et les trois serviteurs éclatèrent à leur tour.<o:p></o:p>
Le vieux était si content quil fit apporter leau-de-vie, la bonne, le fil en dix, et quil en régala tout le monde. On trinqua avec le Prussien, qui claqua de la langue par flatterie, pour indiquer quil trouvait ça fameux. Et Saint-Antoine lui criait dans le nez : « Hein ? En vlà d la fine ! Ten bois pas comme ça chez toi, mon cochon. »<o:p></o:p>
<o:p></o:p>
Dès lors, le père Antoine ne sortit plus sans son Prussien. Il avait trouvé là son affaire, cétait sa vengeance à lui, sa vengeance de gros malin. Et tout le pays, qui crevait de peur, riait à se tordre, derrière le dos des vainqueurs, de la farce de Saint-Antoine. Vraiment, dans la plaisanterie, il navait pas son pareil. Il ny avait que lui pour inventer des choses comme ça. Cré coquin, va !<o:p></o:p>
Il sen allait chez les voisins, tous les jours après midi, bras dessus bras dessous avec son Allemand, quil présentait dun air gai en lui tapant sur lépaule : « Tenez, vlà mon cochon, rgardez-moi sil engraisse, ct animal là. »<o:p></o:p>
Et les paysans sépanouissaient. « Est-il donc rigolo, ce bougre dAntoine ! »<o:p></o:p>
« J te l vends, Césaire, trois pistoles.<o:p></o:p>
Je l prends, Antoine, et j tinvite à manger du boudin.<o:p></o:p>
Mé, c que j veux, cest d ses pieds.<o:p></o:p>
Tâte-li l ventre, tu verras quil na que d la graisse. »<o:p></o:p>
Et tout le monde clignait de lil, sans rire trop haut cependant, de peur que le Prussien devinât à la fin quon se moquait de lui. Antoine seul, senhardissant tous les jours, lui pinçait les cuisses en criant : « Rien qu du gras » ; lui tapait sur le derrière en hurlant : « Tout ça d la couenne » ; lenlevait dans ses bras de vieux colosse capable de porter une enclume en déclarant : « Il pèse six cents, et pas de déchet. »<o:p></o:p>
Et il avait pris lhabitude de faire offrir à manger à son cochon partout où il entrait avec lui. Cétait là le grand plaisir, le grand divertissement de tous les jours : « Donnez-li de c que vous voudrez, il avale tout. » Et on offrait à lhomme du pain et du beurre, des pommes de terre, du fricot froid, de landouille qui faisait dire : « De la vôtre, et du choix. »<o:p></o:p>
Le soldat, stupide et doux, mangeait par politesse, enchanté de ces attentions, se rendait malade pour ne pas refuser ; et il engraissait vraiment, serré maintenant dans son uniforme, ce qui ravissait Saint-Antoine et lui faisait répéter : « Tu sais, mon cochon, faudra te faire faire une autre cage. »<o:p></o:p>
Ils étaient devenus, dailleurs, les meilleurs amis du monde ; et quand le vieux allait à ses affaires dans les environs, le Prussien laccompagnait de lui-même pour le seul plaisir dêtre avec lui.<o:p></o:p>
Le temps était rigoureux ; il gelait dur ; le terrible hiver de 1870 semblait jeter ensemble tous les fléaux sur la France.<o:p></o:p>
Le père Antoine, qui préparait les choses de loin et profitait des occasions, prévoyant quil manquerait de fumier pour les travaux du printemps, acheta celui dun voisin qui se trouvait dans la gêne ; et il fut convenu quil irait chaque soir avec son tombereau chercher une charge dengrais.<o:p></o:p>
Chaque jour donc il se mettait en route à lapproche de la nuit et se rendait à la ferme des Haules, distante dune demi-lieue, toujours accompagné de son cochon. Et chaque jour cétait une fête de nourrir lanimal. Tout le pays accourait là comme on va, le dimanche, à la grandmesse.<o:p></o:p>
Le soldat, cependant, commençait à se méfier ; et quand on riait trop fort il roulait des yeux inquiets qui, parfois, sallumaient dune flamme de colère.<o:p></o:p>
Or, un soir, quand il eut mangé à sa contenance, il refusa davaler un morceau de plus ; et il essaya de se lever pour sen aller. Mais Saint-Antoine larrêta dun tour de poignet, et lui posant ses deux mains puissantes sur les épaules il le rassit si durement que la chaise sécrasa sous lhomme.<o:p></o:p>
Une gaieté de tempête éclata ; et Antoine, radieux, ramassant son cochon, fit semblant de le panser pour le guérir ; puis il déclara : « Puisque tu n veux pas manger, tu vas boire, nom de Dieu ! » Et on alla chercher de leau-de-vie au cabaret.<o:p></o:p>
Le soldat roulait des yeux méchants : mais il but néanmoins ; il but tant quon voulut ; et Saint-Antoine lui tenait la tête, à la grande joie des assistants. <o:p></o:p>
Le Normand, rouge comme une tomate, le regard en feu, emplissait les verres, trinquait en gueulant : « à la tienne ! » Et le Prussien, sans prononcer un mot, entonnait coup sur coup des lampées de cognac.<o:p></o:p>
Cétait une lutte, une bataille, une revanche ! à qui boirait le plus, nom dun nom ! Ils nen pouvaient ni lun ni lautre quand le litre fut séché. Mais aucun des deux nétait vaincu. Ils sen allaient manche à manche, voilà tout. Faudrait recommencer le lendemain !<o:p></o:p>
Ils sortirent en titubant et se mirent en route, à côté du tombereau de fumier que traînaient lentement les deux chevaux.<o:p></o:p>
La neige commençait à tomber, et la nuit sans lune séclairait tristement de cette blancheur morte des plaines. Le froid saisit les deux hommes, augmentant leur ivresse, et Saint-Antoine, mécontent de navoir pas triomphé, samusait à pousser lépaule de son cochon pour le faire culbuter dans le fossé. Lautre évitait les attaques par des retraites ; et, chaque fois, il prononçait quelques mots allemands sur un ton irrité qui faisait rire aux éclats le paysan. à la fin, le Prussien se fâcha ; et juste au moment où Antoine lui lançait une nouvelle bourrade, il répondit par un coup de poing terrible qui fit chanceler le colosse.<o:p></o:p>
Alors, enflammé deau-de-vie, le vieux saisit lhomme à bras le corps, le secoua quelques secondes comme il eût fait dun petit enfant, et il le lança à toute volée de lautre côté du chemin. Puis, content de cette exécution, il croisa les bras pour rire de nouveau.<o:p></o:p>
Mais le soldat se releva vivement, nu-tête, son casque ayant roulé, et dégainant son sabre, il se précipita sur le père Antoine.<o:p></o:p>
Quand il vit cela, le paysan saisit son fouet par le milieu, son grand fouet de houx, droit, fort et souple comme un nerf de buf.<o:p></o:p>
Le Prussien arriva, le front baissé, larme en avant, sûr de tuer. Mais le vieux, attrapant à pleine main la lame dont la pointe allait lui crever le ventre, lécarta, et il frappa dun coup sec sur la tempe, avec la poignée du fouet, son ennemi qui sabattit à ses pieds.<o:p></o:p>
Puis il regarda, effaré, stupide détonnement, le corps dabord secoué de spasmes, puis immobile sur le ventre. Il se pencha, le retourna, le considéra quelque temps. Lhomme avait les yeux clos ; et un filet de sang coulait dune fente au coin du front. Malgré la nuit, le père Antoine distinguait la tache brune de ce sang sur la neige.<o:p></o:p>
Il restait là, perdant la tête, tandis que son tombereau sen allait toujours, au pas tranquille des chevaux.<o:p></o:p>
Quallait-il faire ? Il serait fusillé ! On brûlerait sa ferme, on ruinerait le pays ! Que faire ? Comment cacher le corps, cacher la mort, tromper les Prussiens ? Il entendit des voix au loin, dans le grand silence des neiges. Alors, il saffola, et, ramassant le casque, il recoiffa sa victime ; puis, lempoignant par les reins, il lenleva, courut, rattrapa son attelage et lança le corps sur le fumier. Une fois chez lui, il aviserait.<o:p></o:p>
Il allait à petits pas, se creusant la cervelle, ne trouvant rien. Il se voyait, il se sentait perdu. Il rentra dans sa cour. Une lumière brillait à une lucarne, sa servante ne dormait pas encore ; alors il fit vivement reculer sa voiture jusquau bord du trou à lengrais. Il songeait quen renversant la charge, le corps posé dessus tomberait dessous dans la fosse ; et il fit basculer le tombereau.<o:p></o:p>
Comme il lavait prévu, lhomme fut enseveli sous le fumier. Antoine aplanit le tas avec sa fourche, puis la planta dans la terre à côté. Il appela son valet, ordonna de mettre les chevaux à lécurie ; et il rentra dans sa chambre.<o:p></o:p>
Il se coucha, réfléchissant toujours à ce quil allait faire, mais aucune idée ne lilluminait, son épouvante allait croissant dans limmobilité du lit. On le fusillerait ! il suait de peur ; ses dents claquaient ; il se releva grelottant, ne pouvant plus tenir dans ses draps.<o:p></o:p>
Alors il descendit à la cuisine, prit la bouteille de fine dans le buffet, et remonta. Il but deux grands verres de suite jetant une ivresse nouvelle par-dessus lancienne, sans calmer langoisse de son âme. Il avait fait là un joli coup, nom de Dieu dimbécile !<o:p></o:p>
Il marchait maintenant de long en large, cherchant des ruses, des explications et des malices ; et, de temps en temps, il se rinçait la bouche avec une gorgée de fil en dix pour se mettre du cur au ventre.<o:p></o:p>
Et il ne trouvait rien. Mais rien.<o:p></o:p>
Vers minuit, son chien de garde, une sorte de demi-loup quil appelait « Dévorant », se mit à hurler à la mort. Le père Antoine frémit jusque dans les moelles ; et, chaque fois que la bête reprenait son gémissement lugubre et long, un frisson de peur courait sur la peau du vieux.<o:p></o:p>
Il sétait abattu sur une chaise, les jambes cassées, hébété, nen pouvant plus, attendant avec anxiété que « Dévorant » recommençât sa plainte, et secoué par tous les sursauts dont la terreur fait vibrer nos nerfs.<o:p></o:p>
Lhorloge den bas sonna cinq heures. Le chien ne se taisait pas. Le paysan devenait fou. Il se leva pour aller déchaîner la bête, pour ne plus lentendre. Il descendit, ouvrit la porte, savança dans la nuit.<o:p></o:p>
La neige tombait toujours. Tout était blanc. Les bâtiments de la ferme faisaient de grandes taches noires. Lhomme sapprocha de la niche. Le chien tirait sur sa chaîne. Il le lâcha. Alors « Dévorant » fit un bond, puis sarrêta net, le poil hérissé, les pattes tendues, les crocs au vent, le nez tourné vers le fumier.<o:p></o:p>
Saint-Antoine, tremblant de la tête au pieds, balbutia : « Qué qu tas donc, sale rosse ? » et il avança de quelques pas, fouillant de lil lombre indécise, lombre terne de la cour.<o:p></o:p>
Alors il vit une forme, une forme dhomme assis sur son fumier !<o:p></o:p>
Il regardait cela, perclus dhorreur et haletant. Mais, soudain, il aperçut auprès de lui le manche de sa fourche piquée dans la terre ; il larracha du sol ; et, dans un de ces transports de peur qui rendent téméraires les plus lâches, il se rua en avant, pour voir.<o:p></o:p>
Cétait lui, son Prussien, sorti fangeux de sa couche dordure qui lavait réchauffé, ranimé. Il sétait assis machinalement, et il restait là, sous la neige qui le poudrait, souillé de saleté et de sang, encore hébété par livresse, étourdi par le coup, épuisé par sa blessure.<o:p></o:p>
Il aperçut Antoine, et, trop abruti pour rien comprendre, il fit un mouvement afin de se lever. Mais le vieux, dès quil leut reconnu, écuma ainsi quune bête enragée.<o:p></o:p>
Il bredouillait : « Ah ! cochon ! cochon ! tes pas mort ! Tu vas me dénoncer, à ctheure Attends attends ! »<o:p></o:p>
Et sélançant sur lAllemand, il jeta en avant de toute la vigueur de ses deux bras sa fourche levée comme une lance, et il lui enfonça jusquau manche les quatre pointes de fer dans la poitrine.<o:p></o:p>
Le soldat se renversa sur le dos en poussant un long soupir de mort, tandis que le vieux paysan, retirant son arme des plaies, la replongeait coup sur coup dans le ventre, dans lestomac, dans la gorge, frappant comme un forcené, trouant de la tête aux pieds le corps palpitant dont le sang fuyait par gros bouillons.<o:p></o:p>
Puis il sarrêta, essoufflé de la violence de sa besogne, aspirant lair à grandes gorgées, apaisé par le meurtre accompli.<o:p></o:p>
Alors, comme les coqs chantaient dans les poulaillers et comme le jour allait poindre, il se mit à luvre pour ensevelir lhomme.<o:p></o:p>
Il creusa un trou dans le fumier, trouva la terre, fouilla plus bas encore, travaillant dune façon désordonnée, dans un emportement de force avec des mouvements furieux des bras et de tout le corps.<o:p></o:p>
Lorsque la tranchée fut assez creuse, il roula le cadavre dedans, avec la fourche, rejeta la terre dessus, la piétina longtemps, remit en place le fumier, et il sourit en voyant la neige épaisse qui complétait sa besogne, et couvrait les traces de son voile blanc.<o:p></o:p>
Puis il repiqua sa fourche sur le tas dordure et rentra chez lui. Sa bouteille encore à moitié pleine deau-de-vie était restée sur la table. Il la vida dune haleine, se jeta sur son lit, et sendormit profondément.<o:p></o:p>
Il se réveilla dégrisé, lesprit calme et dispos, capable de juger le cas et de prévoir lévénement.<o:p></o:p>
Au bout dune heure il courait le pays en demandant partout des nouvelles de son soldat. Il alla trouver les officiers, pour savoir, disait-il, pourquoi on lui avait repris son homme.<o:p></o:p>
Comme on connaissait leur liaison, on ne le soupçonna pas ; et il dirigea même les recherches en affirmant que le Prussien allait chaque soir courir le cotillon.<o:p></o:p>
Un vieux gendarme en retraite, qui tenait une auberge dans le village voisin et qui avait une jolie fille, fut arrêté et fusillé.
-
Commentaires