• Hugues Rebell

    Hugues Rebell

    1867-1905

    par Xavier Soleil

    Georges Grassal de Choffat qui prit pour pseudonyme Hugues Rebell est né à Nantes le 27 octobre 1867, dans une famille bourgeoise de marins, armateurs et banquiers. Héritier, à la mort de son père, en 1887, d’une fortune importante, il s’installe à Paris et se consacre à la littérature, aux livres et aux voyages. C’est à Venise qu’il commença à écrire les poèmes de son premier livre important, Les Chants de la pluie et du soleil, ainsi que son premier roman, La Nichina, publiés respectivement en 1894 et 1896.

    Sa génération se cherchait alors en poésie, entre les derniers tenants du Symbolisme et les premiers adeptes de l’école romane que Moréas fondait en 1891 ; elle se cherchait également dans le roman avec Barrès - Un homme libre parut en 1889 et L’ Ennemi des lois en 1892 -, les derniers Maupassant, Jean Lorrain, mais surtout les premiers Bourget - Cruelle énigme, Mensonges - délicats miroirs d’une société déjà condamnée, mais aussi leçons quasi balzaciennes de morale sociale.

    Très tôt Hugues Rebell précise ses positions politiques : il est nationaliste et monarchiste. Dès 1894, il prend part aux grands débats de l’époque en publiant Union des Trois Aristocraties, - celles du nom, de l’argent et du talent -, proclamant haut et clair son vœu de « créer une hiérarchie, pour sauver le monde de la grande maladie démocratique, de cette grande fièvre populaire du commandement ».

    On pourra s’étonner qu’il ait préconisé une alliance entre trois « supériorités sociales » que rien ne semblait devoir rapprocher, mais, outre qu’une telle proposition n’était qu’un essai d’application des géniales visions d’Auguste Comte, on ne manquera pas de remarquer l’importance que, dans cette perspective, il attachait au rôle fédérateur de la monarchie. On trouve là comme un essai d’application de l’idée de décentralisation chère aux fédéralistes nationalistes de l’époque, mais aussi un début de réponse aux questions que posera plus tard Charles Maurras dans L’Avenir de l’intelligence dont le dernier chapitre semble tout entier inspiré des réflexions de Rebell.

    Ses articles du Soleil, journal royaliste, sont un modèle de clarté et d’intelligence politique dans un style à la fois classique et fougueux. Anatole France, Charles Maurras le tiennent en haute estime. En 1900, il répondra à l’Enquête sur la Monarchie une lettre qui commence ainsi :

    « Mon cher ami,

    Votre enquête sur la monarchie doit réjouir tous ceux qui voient dans le rétablissement de la royauté nationale l’unique moyen de sauver la France. Elle vient, comme la lumière, dissiper les brumes qui nous enveloppent et révéler notre réelle existence. »

    Et ceci qui, aujourd’hui, est d’une criante actualité :

    « Contrairement aux droits des pouvoirs absolus, les droits de la République commencent au seuil de chacun de nous. Elle sait bien qu’elle est trop anti-française pour gouverner sans une inquisition de tous les instants. Elle ne s’en cache même plus. »

    Tant par sa philosophie politique que par son inspiration poétique, Rebell apparaît comme un disciple de Nietzsche qu’il avait lu en Allemagne et dont, dès 1893, il publiait, dans la revue L’Ermitage, la traduction de quelque pages d’ Ainsi parlait Zarathoustra, le chapitre intitulé « De l’homme supérieur » dont voici un extrait :

    « Ayez aujourd’hui une bonne méfiance, hommes supérieurs ! hommes courageux ! hommes francs ! Et tenez secrètes vos raisons. Car cet aujourd’hui appartient à la populace. Ce que la populace n’a pas appris à croire sans raison, qui pourrait le renverser auprès d’elle par des raisons? Sur la place publique on persuade par des gestes. Mais les raisons rendent la populace méfiante. Et si la vérité a une fois remporté la victoire là-bas, demandez-vous alors avec une bonne méfiance : « Quelle grande erreur a combattu pour elle ? » Gardez-vous aussi des savants ! Ils vous haïssent, car ils sont stériles ! Ils ont des yeux froids et secs, devant eux tout oiseau est déplumé. Ceux-ci se vantent de ne pas mentir : mais l’incapacité de mentir est encore bien loin de l’amour de la vérité. Gardez-vous ! L’absence de fièvre est bien loin d’être de la connaissance ! Je ne crois pas aux esprits réfrigérés. Celui qui ne sait pas mentir, ne sait pas ce que c’est que la vérité. »

    Il n’est pas sans intérêt de souligner l’attirance de Hugues Rebell pour Frédéric Nietzsche, car Les Chants de la pluie et du soleil ont certainement trouvé chez le philosophe allemand une de leurs sources d’inspiration. Comme lui, Rebell exalte la force et la solitude des forts, la haine de la foule et des philosophies plus ou moins nébuleuses issues de la révolution, le mépris de la démocratie et de son impure cuisine. Comme son maître, il déteste le christianisme primitif et son succédané, le protestantisme. Ouvrir ce livre, écrira, quelques années plus tard Remy de Gourmont, « c’est tomber dans une mine où l’on puiserait longtemps sans l’appauvrir ». Et René Boylesve, dans l’admirable portrait qu’il lui consacra au lendemain de sa mort, notait qu’ « un grand nombre de ses Chants sont des cris de révolte contre l’universelle entreprise de nivellement, de vulgarisation et d’abaissement de la pensée ».

    Je ne m’étendrai pas sur les romans de Rebell. La Nichina, dédiée à Maurice Barrès, « en reconnaissance de ses merveilleuses pages sur la Venise de Tiepolo » fut appréciée des connaisseurs - René Boylesve, Lionel des Rieux, Rachilde, Jean Lorrain -, et bien accueillie du public. « Il ne conçut pas, écrivit plus tard René Boylesve, le projet d’artiste de composer un roman ; il donna une nouvelle forme à la conception sociale qu’il avait chantée dans les Chants de la pluie et du soleil ». Citons encore La Femme qui a connu l’Empereur (1901) et Les Nuits chaudes du Cap français. Vivants et originaux, écrits dans un style plein et fruité, ils sont d’une veine qui s’attache à décrire le côté sensuel de la passion, - voire du plaisir -, amoureux, veine dans laquelle s’illustraient déjà la plupart des romanciers de cette fin de siècle, dans le sillage de Maupassant.

    Hugues Rebell mourut le 5 mars 1905, à l’âge de 37 ans. Le Diable est à table, roman philosophique auquel il travaillait depuis vingt ans fut publié après sa mort.

    En 1926, la Librairie de France publia dans ses mensuels Cahiers d’Occident les Chants de la patrie et de l’exil, recueil poétique jumeau de ses premiers Chants, quelques pages littéraires groupées sous le titre Apothéoses tardives et enterrements prématurés, et surtout un choix important des ses chroniques du Soleil. Dans la préface qu’il donna à ce recueil, Auriant notait justement : « Haine, amour, mépris, c’est tout cela qui bouillonne dans chaque page de son œuvre : haine de la démocratie, amour de l’Art et de la Beauté, mépris de la foule et de ceux qui se déshonorent à la flatter. Rebell a mis davantage encore dans ses romans, mais peu de personnes s’en sont aperçues… » N’était-ce pas sa vie même ?


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