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L'Occidental est carnivore
L’Occidental est carnivore
Des scientifiques néerlandais s’enthousiasment pour la gastronomie à base de vers et d’insectes. Ils prédisent que ces « viandes » seront, dans un avenir prochain, les ingrédients préférés des cuisinières. Une question de goût ? Pas vraiment, d’idéologie plutôt.
Les vers et les insectes, riches en protéines et pauvres en lipides, constituent une alternative au bœuf, au mouton, au poulet, une alternative meilleure pour la santé et plus respectueuse de l’environnement. Avec dix kilos de végétaux, on produit six à huit kilos d’insectes, contre un kilo de viande seulement. Des insectes qui rejettent peu de gaz à effet de serre et de lisier.
Lors d’une conférence sur le sujet, organisée à l’université de Wageningen, le buffet proposait une ganache au chocolat et aux larves, des rouleaux de printemps aux sauterelles, des quiches aux vers de farine. Les recettes sont infinies, et l’on imagine sans peine le raffinement d’une tartelette aux coccinelles, la texture d’un grouillis de blattes servi avec son écrasé de punaises, la douceur d’une marinade d’acariens sur un lit de hannetons. Les restaurateurs audacieux oseront les menus à thème : dîner de célibataires à base d’helminthes, déjeuner de dépressifs avec cafards en plat principal.
Les insectes sont régulièrement consommés au Mexique, en Afrique et en Chine, alors pourquoi pas en Europe ? Les Européens ont un « blocage », explique un producteur de vers ; « les gens croient que c’est sale », explique Marcel Dicke, chef du département d’entomologie de l’université de Wageningen. Il ne s’agit donc pas tant de cuisiner que de changer la mentalité occidentale. La culpabilité de l’homme blanc réside aussi dans son alimentation, pour satisfaire ses appétits il n’hésite pas à polluer la planète, à assassiner ses frères mammifères. L’expression « cuisine bourgeoise » n’est-elle pas, en soi, une véritable provocation pour un altermondialiste ?
La consommation de vers et d’insectes pose cependant des problèmes éthiques aux partisans de l’antispécisme (mouvement de libération animale qui revendique l’égalité du ciron et du philosophe) ; des questions pratiques dans la perspective d’une Europe islamisée : comment abattre sur le mode halal, ne serait-ce qu’un kilo de vers blancs ?
Parmi les romans de Marcel Aymé, il en est un, sans prétention et récréatif, qui s’intitule Le Bœuf clandestin. L’histoire d’un honnête père de famille qui assume son végétarisme mais qui, en l’absence des siens, se ceint d’un tablier pour se préparer un bon biftèque. Devrons-nous entrer un jour dans la clandestinité pour déguster un pavé saignant, sauce au poivre ?
Martin Schwa
Présent, n° 7269
du Vendredi 21 janvier 2011
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