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La Mort posthume d'Ernest La Jeunesse
Ernest La Jeunesse, Les Nuits, les Ennuis et les Âmes de nos plus notoires Contemporains - Quand, fouinant dans une colline de vieux volumes aux puces, je tombai sur ce titre et ce nom dauteur bizarrement calligraphiés sur une couverture verte à première vue début xxe, jachetai ce livre les yeux fermés : un ouvrage ainsi nommé se doit dêtre, sinon de qualité, du moins une curiosité.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
Cet ouvrage a été publié en 1896, chez Perrin et Cie. Étaient annoncés, du même auteur, trois ouvrages « pour paraître prochainement » et neuf autres (!) « en préparation », dont ces quelques titres : LIronie, thèse ; Fragments dhistoire littéraire ; Essais de biographie sentimentale.<o:p></o:p>
Qui était cet Ernest La Jeunesse ? Le Dictionnaire de biographie française nous indique quil sappelait en réalité Ernest Horry Cohen,[1] né en 1874, mort en 1917 ; il dresse cette liste douvrages : Les Nuits, les Ennuis (1896) ; LHolocauste (1898) ; Ouste ! texte et icôneries (1898) ; LHuis clos malgré lui (1900) ; Cinq ans chez les sauvages (1902) ; Le Boulevard (1906) ; Le Forçat honoraire (1907) ; Des soirs, des gens, des choses (1913, recueil darticles).<o:p></o:p>
Il me revint davoir croisé ce La Jeunesse dans différentes lectures. Léautaud note avoir rencontré Jean de Tinan accompagné de La Jeunesse (23 septembre 1896). Plus tard, il se souviendra de lui à ses débuts, venant au Théâtre de luvre « un veston boutonné jusquau cou sans chemise dessous » à cause de sa pauvreté (12 décembre 1922). La mention de ce théâtre nous reporte aux mêmes années 1895. Nous savons par ailleurs que La Jeunesse en illustra certains programmes.[2]<o:p></o:p>
Le texte de deux envois de Jules Renard à La Jeunesse nous a été conservé.[3]<o:p></o:p>
à Ernest Lajeunesse[4]<o:p></o:p>
auteur du chef duvre Boum ! Poum<o:p></o:p>
Jules Renard<o:p></o:p>
Juillet 1901<o:p></o:p>
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à Ernest La Jeunesse<o:p></o:p>
rare et véritable homme de lettres<o:p></o:p>
Jules Renard<o:p></o:p>
9bre 1907<o:p></o:p>
Quel est ce chef duvre Boum ! Poum ? Quelle allusion est-ce là ? Nous glanons dans une note de léditeur un titre de plus : Madame est morte (théâtre).<o:p></o:p>
Léon Bloy lappelle Ernest La Vieillesse (24 mai 1908) ou parle d « Ernest qui représente, dit-on, la Jeunesse » (20 avril 1910). Nous ne nous prononcerons pas sur ce jeu de mot. À cette époque, La Jeunesse est journaliste et Bloy lui reproche des articles favorables à Coppée et Bourget.<o:p></o:p>
Cest Apollinaire, si curieux des gens hors normes, qui a le plus parlé dErnest La Jeunesse. Dans une lettre à Picasso, il relate un dîner où il présenta La Jeunesse à Max Jacob, prétendant quils étaient cousins, doù ces médiocres vers :<o:p></o:p>
Et pour commémorer cette insigne rencontre<o:p></o:p>
La Jeunesse fit le portrait de Max Jacob<o:p></o:p>
Qui depuis dans Paris à ses amis le montre<o:p></o:p>
En se montant le job[5]<o:p></o:p>
Il y raconte également un combat singulier qui eut lieu entre La Jeunesse et Paul Fort.<o:p></o:p>
Parmi dautres impromptus de Moréas, il rapporte celui-ci :<o:p></o:p>
Bois le Cinzano de Turin,<o:p></o:p>
O La Jeunesse purpurin ![6]<o:p></o:p>
Un chapitre entier du Flâneur des deux rives est consacré à notre auteur : « Du Napo à la chambre dErnest La Jeunesse ». Le livre date de 1918, La Jeunesse était mort lannée précédente. Je laisse le lecteur relire cette précieuse évocation. En plus des titres déjà connus, Apollinaire parle de LImitation de notre maître Napoléon (qui figure « pour paraître prochainement » dans Les Nuits ). Il y est aussi question dune pièce de théâtre : La Dynastie. A-t-elle été jouée, ou même publiée ? <o:p></o:p>
Léon Deffoux, dans son livre Le Pastiche littéraire (Paris, 1932), reconnaît la grande habileté de La Jeunesse à cet exercice. Les Nuits est, selon lui, « un des bons ouvrages que dun peu loin, le pastiche ait inspirés » (p. 137). Il le définit comme un livre « mi-critique, mi-pastiche », ce qui me paraît bien vu. Il mentionne Cinq ans chez les sauvages[7], « où on trouve, entre autres bons pastiches, un grand Aiglon très réussi, mais trop sévère peut-être pour le poète de lAiglon. » (p. 172)<o:p></o:p>
En 1939, André Billy classe La Jeunesse parmi les brillants chroniqueurs des temps passés [8]<o:p></o:p>
Si nous avons passé en revue les mentions quon trouve çà et là de La Jeunesse, ce nest pas pour étaler des références littéraires (dont nous sommes prêt à reconnaître la totale vanité), mais pour montrer que cet homme qui fut connu en son temps, sétant fait une réputation par des ouvrages de qualité, tomba petit à petit dans loubli postume[9] au point de nêtre plus quun nom dans une liste vingt ans après, avant de nêtre plus cité nulle part.<o:p></o:p>
Les Nuits, les Ennuis et les Âmes de nos plus notoires contemporains est donc le premier ouvrage dun jeune auteur désargenté. Il ne saurait être question de recenser tous ces contemporains dont parle La Jeunesse, quil les cite en passant ou quil leur consacre un chapitre. Nommons, parmi ceux-ci, Anatole France, Pierre Loti, les Daudet, Émile Zola, Huysmans, Jules Renard, Paul Bourget, François Coppée, Maeterlinck <o:p></o:p>
Il pastiche Henri de Régnier, gendre de José-Maria de Heredia, dans une suite de poèmes (« Intérieur »), qui souvre sur cette strophe :<o:p></o:p>
Par un ciel souriant dun sourire dautomne,<o:p></o:p>
Le poète José-Maria maria<o:p></o:p>
Son enfant à lenfant qui, grave, séria<o:p></o:p>
Des vers dhysope et dor, de fièvre et<o:p></o:p>
[danémone.<o:p></o:p>
« Lapologie de M. Émile Zola », où le romancier parle au diable en croyant que cest un interviewer, se termine ainsi :<o:p></o:p>
« Il sarrêta avant de lancer à son malheureux visiteur dautres plaisanteries et commença à le regarder. Il remarqua dabord quil navait pas pris de notes, et il remarqua ensuite quun malaise le prenait. Et le visiteur indiqua dun geste la masse des volumes et la masse des locomotives, des cabarets, des canons, des pelles et des charrues qui y sommeillaient, puis dune voix tranquille :<o:p></o:p>
Tu ne me reconnais pas, fit-il. Cest moi qui, il y a onze lustres peut-être ou vingt siècles ai acheté ton âme au poids. »<o:p></o:p>
Voilà comment débute « Le soliloque de M. Pierre Loti » :<o:p></o:p>
« Pour avoir promené avec une grâce héroïque parmi lhorreur dun bal masqué lhorreur dun costume de Bédouin, M. Loti se jugea digne, ce soir-là, des récompenses les plus hautes.<o:p></o:p>
Pour ne sépargner aucune volupté, il se déclama, se chuchota, se sanglota les pages les plus irrésistibles de sa Jérusalem, et il saperçut que sa volupté était modeste. »<o:p></o:p>
Il serait plaisant de multiplier les exemples de lhumour et de lironie de La Jeunesse en piochant çà et là. Je préfère donner in extenso un unique chapitre. On risquerait, sinon, de ne voir en lui quun faiseur de pointes et de passer à côté de loriginalité de sa manière. On verra que son talent va bien au-delà de lépigramme. Le choix est difficile. Le chapitre sur les Daudet est fort bien fait, mais long ; je me décide pour celui consacré à Huysmans, annoté au minimum.
Amédée SCHWA
[1] Lors de la parution des Nuits , Édouard Drumont loua le talent de La Jeunesse, mais fut bien moqué lorsquon apprit que cétait luvre dun Horry Cohen.<o:p></o:p>
[2] Daprès J.-P. Goujon, dans une note au roman de Willy (écrit en réalité par Jean de Tinan), Maîtresse desthètes, rééd. 1995, édition originale en 1897.<o:p></o:p>
[3] Dans Jules Renard, Lettres retrouvées, 1884-1910, Paris, 1997, éditées par J.-F. Flamant.<o:p></o:p>
[4] Son nom a souvent été orthographié ainsi. La couverture des Nuits prête dailleurs à confusion.<o:p></o:p>
[5] Picasso/Apollinaire, Correspondance, édition de P. Caizergues et H. Seckel, Paris, 1992, lettre du 27 juin 1906. Se monter le job : sabuser, se monter la tête.<o:p></o:p>
[6] « Anecdotiques » du 16 juin 1911 (Moréas était mort en 1909).<o:p></o:p>
[7] Paris, Juven, 1900 ; suivant le Dictionnaire de biogr. fr., 1902.<o:p></o:p>
[8] La Littérature française contemporaine, Paris, p. 201.<o:p></o:p>
[9] Je me permets ici cette orthographe bizarre de « postume », lestimant correcte à la réelle étymologie du mot : postumus, superlatif de posterus.<o:p></o:p>
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Commentaires
1visiteur_UnknownVendredi 3 Août 2007 à 10:15Hello! great idea of color of this siyte!Répondre2visiteur_UnknownVendredi 21 Mars 2008 à 08:583visiteur_UnknownVendredi 21 Mars 2008 à 09:064visiteur_UnknownVendredi 21 Mars 2008 à 09:065visiteur_UnknownVendredi 21 Mars 2008 à 16:03
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