• Madame Elisabeth

     

    Le nouvel ouvrage du Pr Jean de Viguerie<o:p></o:p>

    Madame Elisabeth, un destin impeccable<o:p></o:p>

    Présent du 10 juillet 2010

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    Dans La Chevalière de la Mort (1891), livre consacré à Marie-Antoinette, Léon Bloy évoquait Madame Elisabeth, « qui fut une héroïne et qui mourut comme telle » ; « Jeanne d’Arc sans mission d’une royauté qui voulait périr » ; « la plus admirable figure de cette époque et d’une telle sublimité que Marie-Antoinette elle-même semble médiocre et pâle en comparaison ». A son tour Jean de Viguerie avait esquissé le portrait de « l’ange gardien du Temple », soulignant sa présence réconfortante lors de la captivité de la famille royale (Louis XVI, le roi bienfaisant, 2003). Sensiblement plus courte que la biographie consacrée à son frère, celle de Madame Elisabeth est comparable à un volet de retable, qui complète le panneau central. Le titre, Le sacrifice du soir, indique le caractère religieux du sujet. Ce n’est pas la vie d’une martyre, pas encore la vie d’une sainte, malgré les efforts faits pour introduire sa cause en béatification. C’est en tout cas la vie d’une princesse que la foi a guidée et soutenue.<o:p></o:p>

    L’éducation<o:p></o:p>

    En spécialiste de l’éducation, le professeur Jean de Viguerie examine la formation qu’a reçue la princesse. La personnalité de la gouvernante des Enfants de France, Mme de Marsan, n’est pas anodine. Elle a, de l’éducation des femmes, une conception opposée à celle de Jean-Jacques. Elle ne pense pas les femmes inaptes aux vérités abstraites. Elisabeth et sa sœur aînée Marie-Clotilde sont éduquées ensemble. « Les meilleurs spécialistes dans les différentes disciplines sont invités à dispenser leur savoir aux jeunes princesses ; ainsi, l’abbé Nollet pour la physique, le médecin et naturaliste Lemonnier pour les sciences naturelles, et Mauduit pour les mathématiques. » Français, latin, italien et histoire sont aussi au programme.<o:p></o:p>

    Madame de Marsan n’aime pas la pédagogie de Jean-Jacques, ni la philosophie des Lumières en général. Elle confie l’enseignement de la philosophie à Mme de la Ferté-Imbault, elle aussi critique à leur endroit. Cicéron, Sénèque et Plutarque donnent à Madame Elisabeth des concepts moraux et politiques. Les philosophes stoïciens suivent, avec leur conception exigeante de l’homme. Pour eux, la raison permet à l’homme d’échapper à l’emprise de l’instinct, alors que les Lumières croient en la toute-puissance des sensations sur l’intelligence. Les stoïciens forment donc une digue contre la philosophie de l’époque. Digue qui est aussi un contrefort pour la foi.<o:p></o:p>

    L’abbé Madier, ancien jésuite, a en charge l’instruction d’Elisabeth à partir de 1174, tout en étant son confesseur. « Il l’a initiée à la dévotion au Sacré-Cœur, l’a invitée à la confession et à la communion fréquentes, et lui a enseigné la pratique des trois exercices du perfectionnement spirituel, la méditation, l’oraison mentale et l’examen de conscience. Il l’a formée à une sainte vie selon la méthode pratique de l’ascétisme jésuite. »<o:p></o:p>

    La formation spirituelle de la jeune fille doit beaucoup à Saint-Cyr. Madame de Marsan n’a pas nommé au hasard sous-gouvernantes, deux anciennes élèves de ce pensionnat, la baronne de Mackau et la comtesse d’Aumale. L’établissement, tout au long du XVIIIe siècle, a donné à de nombreuses filles de la noblesse une formation solide, les marquant de son empreinte : un esprit « fait de soumission, de régularité et de sagesse. La soumission signifie accomplir son devoir d’état ; la régularité, ordonner son emploi du temps ; la sagesse, respecter son prochain et contempler son Créateur. Madame Elisabeth a été formée à ces trois disciplines. » Elle entre convenablement armée dans la vie.<o:p></o:p>

    La vie princière<o:p></o:p>

    Un remarquable portrait représente Madame Elisabeth au sortir de son éducation, vers ses quatorze ans (musée Garinet, Châlons-en-Champagne). Le peintre est resté anonyme, hélas. Il a su rendre avec un pinceau délicat la douceur et la gravité de son modèle, sa réserve et – ce que révèlent ses yeux – sa force intérieure.<o:p></o:p>

    Quatorze ans est l’âge de la majorité pour les Enfants de France. La vie princière commence, avec la constitution de sa « maison », qui est « une petite cour au milieu de la grande ». Cela reste une semi-majorité : « elle demeure dans la dépendance étroite du Roi, son frère, et doit se soumettre aux usages concernant les Filles de France. Jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, âge de la majorité légale en France, elle n’a pas le droit d’admettre des hommes dans son entourage, à l’exception de ceux de sa ‘maison’. »<o:p></o:p>

    Madame Elisabeth accompagne la cour dans ses déplacements saisonniers à Choisy, Marly, Compiègne et Fontainebleau. Elle assiste aux comédies, participe aux fêtes, aux bals. Elle passe des journées entières dans son domaine de Montreuil, cadeau de son frère. Elle suit l’emploi du temps qu’elle se fixe chaque jour, comme on lui a appris à le faire. Il comporte l’équitation, la chasse à courre, la pêche, le modelage, les travaux d’aiguille… Elle aime aussi jouer au pharaon, au billard. <o:p></o:p>

    Ces activités nombreuses, amicales et sociales, auxquelles la princesse se livre avec une joie de vivre sans mélange, ne la distraient pas de l’essentiel : sa vie « cachée ». Seule de la famille royale à assister à la messe quotidienne, elle s’est consacrée à Dieu (1779). Le Roi en est probablement averti, car aucun projet de mariage ne sera formé pour elle par la suite. Une maturité spirituelle dont témoigne sa correspondance, abondante, où elle conseille ses amies avec un discernement surprenant. <o:p></o:p>

    Madame Elisabeth est charitable. Les pauvres ne frappent pas en vain à la porte de son domaine. Elle est généreuse avec ses amies, parfois jusqu’à en devenir prodigue. Elle doit alors emprunter.<o:p></o:p>

    Les années 1783-1787, sont selon les mots de Jean de Viguerie, celles de « la plénitude du cœur ». La jeune femme, aux alentours de la vingtième année, est épanouie. Elle « aime ses amis comme elle aime sa famille : d’un cœur joyeux et d’une manière exubérante ». Parce qu’elle aime les siens, elle sait braver sa timidité pour aller voir le Roi et tenir tête à la Reine, par exemple lors de la disgrâce de Madame d’Aumale. Sa force de caractère se manifeste.<o:p></o:p>

    Elle a dix-neuf ans quand Mme Vigée-Lebrun la peint (illustration, château de Versailles). L’artiste se souviendra que son visage « exprimait la plus douce bienveillance et que sa fraîcheur était remarquable ; qu’en tout elle avait le charme d’une jolie bergère ». En la voyant en bergère, Mme Vigée-Lebrun se conforme au goût du temps et se montre inférieure à la personnalité de son modèle.<o:p></o:p>

    La captive<o:p></o:p>

    Le vingt-cinquième anniversaire de la princesse est terni par les tensions politiques. Nous sommes le 3 mai 1789. Son émancipation et la Révolution coïncident. La Révolution, Madame Elisabeth la vit aux côtés de sa famille. Elle repousse les opportunités d’émigration. « Jamais je ne serai capable de trahir ni mon devoir, ni ma religion, ni mon sentiment pour les personnes qui le méritent seules, et avec qui je voudrais vivre pour tout au monde », écrit-elle à sa plus proche amie, Angélique de Bombelles. <o:p></o:p>

    D’octobre 1789 à août 1792, ce sont les Tuileries, résidence de plus en plus surveillée. Pour les Goncourt, Madame Elisabeth est « l’homme des Tuileries ». Devant l’abattement des siens, l’apathie, elle essaye d’agir. Elle noue des contacts avec l’émigration, avec la contre-révolution. Elle a très tôt compris la nature de la Révolution, la lutte à mort engagée. Plus encore que les bouleversements politiques, l’atteinte à la religion la touche. Lors de la Constitution civile du Clergé, elle insiste auprès du roi pour qu’il la refuse. Le fait accompli, elle se tait. Même si elle écrit à deux reprises « Si j’étais roi… », elle reste à sa place.<o:p></o:p>

    Vient l’emprisonnement. On a beau connaître la vie au Temple, le récit en est toujours poignant. Rien d’extraordinaire ne se passe, que l’abattage progressif de la famille royale. On dirait d’une partie d’échec qui, au mépris des règles – Révolution oblige –, poursuivrait au-delà de l’échec et mat en prenant le roi, puis la reine, pour finir par cette tour qu’est Madame Elisabeth. Elle est, non la tour où ils sont emprisonnés, mais la tour qui défend et abrite. La tour qui n’a pas été construite sur le sable. Elle est le soutien moral et religieux de son frère, de sa belle-sœur, de son neveu, de sa nièce. Elle est pour les siens la douceur et la volonté, l’exemple de l’abandon à Dieu et de la dignité devant les hommes.<o:p></o:p>

    Cela n’empêche pas le découragement. Courant 1792, elle comprend que politiquement la Révolution a gagné. Reste Dieu. Avec largeur d’esprit, elle puise sa force dans des auteurs aussi différents que le « stoïcien chrétien » Pierre Charron, le janséniste Pierre Nicole, saint François de Sales, le Père de Gonnelieu, le Père Roriguez, tous deux jésuites. <o:p></o:p>

    Peu à peu, l’univers de la princesse se rétracte. Le roi est séparé des siens en décembre 1792, guillotiné en janvier 1793. En juillet de la même année, la Reine et le Dauphin sont emmenés à leur tour. Madame Elisabeth reste seule avec sa nièce Madame Royale. Elle continue d’appliquer les règles de vie qu’on lui a enseignées, en particulier celle de suivre un emploi du temps journalier, condition de survie psychologique en réclusion. Elle fait l’école à sa nièce. Toutes deux sont interrogées en octobre 1793 (Madame Royale n’a que quatorze ans), au sujet des accusations ignobles portées contre la Reine. <o:p></o:p>

    Elles resteront dans l’ignorance de son supplice. Au fur et à mesure, en effet, la correspondance est interdite, la conversation avec les gardiens proscrite. La gentillesse et la force de Madame Elisabeth impressionnent et séduisent les gardiens. Ils se relaient, certains refusent de prendre leur tour, par dégoût de cette abjecte surveillance. <o:p></o:p>

    Les révolutionnaires, eux, ne supportent pas « la grosse Babet », dont la dignité leur est odieuse. La sachant populaire dans le peuple, les ennemis de Robespierre la poussent vers la guillotine, afin de le discréditer. Procès, jugement, ses trente ans à peine sonnés, Madame Elisabeth est guillotinée, dernière d’une charretée aristocratiquement composée : on a soigné le spectacle (10 mai 1794).<o:p></o:p>

    ***<o:p></o:p>

    Alexandre Kucharski, de service au Temple en tant que municipal, a peint les portraits de Louis XVI, de
    Marie-Antoinette, des enfants, et l’émouvant portrait de Madame Elisabeth (1792). La captive a le visage marqué par l’emprisonnement, le regard rembruni par l’épreuve, sans qu’il ne perde son intensité velouté, ni sa tranquillité : « Que m’arrivera-t-il aujourd’hui, ô mon Dieu, je l’ignore. / Tout ce que je sais, / C’est qu’il ne m’arrivera rien que vous ne l’ayez prévu de toute éternité. / Cela me suffit, ô mon Dieu pour être tranquille. » Par ces mots commence la prière qu’elle récitait quotidiennement au Temple.<o:p></o:p>

    Le patronage de Madame Elisabeth pourrait être proposé aux jeunes filles de notre temps, comme modèle de femme épanouie. Madame Elisabeth est à la fois une jeune princesse comme le moyen âge en rêvait et en voyait vivre, vouée à Dieu, dévouée aux pauvres, et une jeune femme « moderne », sportive et cultivée. Son destin n’est pas le destin frelaté de Lady Diana, il est pur comme celui de Geneviève de Brabant. Son histoire, racontée par Jean de Viguerie, a la limpidité de la légende.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Jean de Viguerie, Le sacrifice du soir. Vie et mort de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI. Editions du Cerf, 2010, 190 pages. 19 euros.<o:p></o:p>

     

    illustrations :<o:p></o:p>

    Madame Elisabeth à l’âge de 19 ans, par Madame Vigée-Lebrun © Château de Versailles<o:p></o:p>

    Madame Elisabeth en 1792, par Alexandre Kucharski. Collection particulière<o:p></o:p>


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