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Manuscrits carolingiens
Magnificence carolingienne
Présent du 19 mai 2007
Les différentes Renaissances signalent l’impossibilité de séparer christianisme et antiquité. Elles ne se valent pas toutes, et la Renaissance carolingienne, plus lointaine et moins vantée que « la » Renaissance, lui est supérieure en ce que la référence à l’Antiquité n’a pas été synonyme d’envahissement païen mais d’épanouissement chrétien.
Charlemagne et ses successeurs unifièrent l’empire de façon politique mais aussi par une réforme liturgique (adoption de la liturgie romaine pour tous) et par la création d’une écriture commune, la caroline, élaborée par les moines de Corbie. Ils furent aidés par de grandes figures spirituelles et intellectuelles aussi différentes qu’Alcuin et Théodulfe. Le premier, moine anglais, devint abbé de Saint-Martin de Tours, révisa les textes bibliques corrompus et mit sur pied un programme d’enseignement allant des « savoirs de base » aux hautes études sacrées et profanes. Le second, né en Espagne, créa dans son diocèse d’Orléans des écoles qui répondaient au programme d’Alcuin : du primaire à la formation des cadres de l’Empire. Mettez en regard de ces politiques hardies les résultats de la réforme Vatican II et ceux des réformes de l’Education nationale…
La floraison des traités grammaticaux, historiques, astronomiques témoigne de l’activité intellectuelle de l’époque, tout comme les manuscrits corrigés et diffusés de Sénèque, César, Térence… S’agissant de ce dernier, les latinistes qui ont étudié dans Les lettres latines de Morisset–Thévenot auront une seconde de nostalgie en en reconnaissant les illustrations dans un manuscrit du Xe siècle qui reproduit fidèlement un modèle antique.
La reviviscence de l’antique est visible à l’ornementation (rinceaux, palmettes), à l’emploi de personnages tels que des allégories de l’Océan et de la Terre nourricière (un enfant à chaque mamelle) qui s’ajoutent au Christ et à deux séraphins pour illustrer le Sanctus deus sabbaoth d’un sacramentaire, ou à ces tritons marins ornant le fronton qui couronne une table synoptique des Evangiles. Cependant l’antique n’est qu’une des composantes de l’art carolingien. Les arts « barbares », l’art des Îles britanniques et l’art mérovingien, comptent tout autant. Le Psautier de Corbie est décoré de motifs insulaires et orientaux dans des verts magnifiques. La Bible de Théodulfe témoigne, par son décor géométrique hispanisant, de l’origine wisigothique de l’évêque d’Orléans et de sa position, sinon aniconique, du moins méfiante vis-à-vis des images. « Barbare » d’aspect, l’Evangile de Chartres, lui, ne rejette pas l’image humaine. La double page où figurent la danse de Salomé et la décapitation de saint Jean-Baptiste est une merveille de fruste naïveté : des personnages rudimentaires vigoureusement dessinés à la plume et colorés dans trois tons (brun, jaune, orangé). Salomé, les bras levés, le corps oblique et la jupe en mouvement, est une très jolie figure.
La représentation de l’homme, sans crainte théologique, est l’apport majeur de l’art carolingien, une victoire de Charlemagne lui-même qui s’appuya sur le second concile de Nicée (787) et sur le concile de Francfort (794) pour repousser les tentations iconoclastes, en général celles de chrétiens ayant été au contact des Arabes (Théodulfe en Espagne ; de même pour les empereurs byzantins ; il est significatif que St Jean Damascène, d’origine arabe, ait combattu par ses écrits à la fois l’islam et l’iconoclasme, – pour lui, deux hérésies).
C’est ainsi que la figure humaine, encore timide dans l’art britannique et mérovingien, s’impose peu à peu en pleine page, repoussant l’ornemental à la périphérie. L’évangile de François II, issu d’un atelier rémois antiquisant, présente une Crucifixion remarquable de finesse, dessins et coloris, encadrée d’entrelacs (illustration). On doit aux Rémois d’autres merveilles, comme l’Evangile de Huraut : une belle initiale ornée de nombreuses courbes dont certaines peuvent être qualifiées sans exagération de modern’ style, dans une harmonie principale de mauve et de vert Véronèse où jouent du jaune, du rose et du rouge. Cette délicatesse du trait et de l’harmonie se retrouve dans l’Evangile Saint–Médard de Soissons où, en pleine page, des animaux prennent place dans un décor architectural.
La Renaissance carolingienne – économique, esthétique, intellectuelle – fut arrêtée en plein essor par les pillages normands et les invasions sarrasines. Cependant des fondations étaient jetées, sur lesquelles s’élèvera l’époque romane. On comprend alors le respect, voire la dévotion (Charlemagne sera canonisé par un antipape au XIIe siècle), que le Moyen Age témoignera à l’Empereur :
Là sied le roi qui douce France tient
Blanche a la barbe et tout fleuri le chef… (Chanson de Roland)
Samuel
Trésors carolingiens, Livres manuscrits de Charlemagne à Charles le Chauve,
jusqu’au 24 juin, Bibliothèque Nationale Richelieu
illustration : Évangiles dits de François II, fin IXe © BnF, département des Manuscrits
Tags : manuscrits carolingiens
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