• Marcel Aymé, 1902-1967

    Marcel Aymé (1902-1967)<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    Droiture d’un écrivain

    Présent du 6 oct. 07

    Marcel Aymé est mort il y a quarante ans, le 14 octobre 1967. D’une santé fragile, à laquelle on doit ses débuts d’écrivain car il entreprit Brûlebois à l’occasion d’une convalescence, doué d’un regard toujours curieux d’observer ce qui se passe en bas de chez soi, il mena une vie tranquille. Après avoir grandi dans le Jura à Villers-Robert, il monta à Paris et s’installa à Montmartre, dont il devint une des figures. Des vacances au Cap-Ferret, un séjour au Danemark, un voyage aux Etats-Unis, voilà tout pour la géographie. <o:p></o:p>

    I.<o:p></o:p>

    De son vivant, il a bénéficié d’une réelle popularité, que ce soit pour le scabreux relatif de <?xml:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" /><st1:PersonName ProductID="La Jument">La Jument</st1:PersonName> verte ou la fraîcheur des Contes du Chat perché, mais des romans comme Maison Basse ou <st1:PersonName ProductID="La Rue">La Rue</st1:PersonName> sans nom, plus nuancés, plus noirs aussi, nous en apprennent beaucoup sur un homme pour qui la vie n’était manifestement pas d’un rose franc. Dans ses écrits, seule l’amitié, plus que la famille et beaucoup plus que l’amour, au romantisme duquel il s’oppose absolument, seule l’amitié a le pouvoir d’enrichir et d’adoucir la vie. « Nimbu disait qu’il n’y avait rien de pareil au plaisir de boire une bouteille entre amis en faisant une partie de jacquet. Louis inclinait à le croire. » (Les Jumeaux du Diable)<o:p></o:p>

    L’amitié est le sentiment qui correspond le mieux à ce qu’a toujours cherché Marcel Aymé : l’attention gratuite portée à l’autre, non à un être humain désincarné et idéal mais à un être de chair et d’os, proche, à plus forte raison s’il souffre et est rejeté de tous ; à celui que des catholiques appelleraient leur prochain. <o:p></o:p>

    Watrin, dans Uranus (chap. XXI), seul de la foule qui fait dans ses braies, brave la morale de l’Epuration et s’occupe du type molesté par les FFI, un communiste devenu vichyssois en captivité. « Le professeur Watrin, ayant franchi les rangs des soldats, se penchait sur le blessé et, avec un mouchoir, essuyait le sang qui coulait sur son visage. » Puis il l’emporte dans la salle de la gare. C’est très exactement la parabole du bon Samaritain, sauf la fin : les gendarmes, sur ordre du commissaire, le forcent à quitter les lieux, et du blessé il ne sera plus question. Pessimisme de l’auteur : le geste humain de Watrin ne pèse pas lourd face à la lâcheté de la foule et à la veulerie des « élites » (maire, docteur, édiles, curés).<o:p></o:p>

    Tout classement des êtres par catégories (sociales, raciales, professionnelles, politiques) lui apparaît comme un amoindrissement de l’homme. Un des personnages du Chemin des écoliers (1946) a cette préoccupation de ne s’intéresser qu’aux individus, de ne chercher que des hommes et des caractères, sans considérer « ces lotissements [sociaux, raciaux, etc.] plus ou moins absurdes. »<o:p></o:p>

    Cependant ces catégories existent et se prêtent à l’observation. Les distinctions sociales constituent un motif fécond. De la confrontation de deux personnes de milieux différents, l’une se pensant supérieure et l’autre se croyant égale, naît un comique de mots, d’intonations, de regards… Comique décuplé quand les bourgeois jouent aux communistes – cf. la nouvelle En arrière, ou ce texte brillant qu’est Le confort intellectuel. Vouloir monter ou descendre l’échelle sociale est vain car on n’échappe pas à son milieu qui se définit avant tout par une éducation dont il est impossible de s’affranchir. <o:p></o:p>

    Existe donc une imperméabilité des classes sociales entre elles (la nouvelle Le monument) qui explique l’inertie sociale (le roman Aller Retour), presque souhaitable car une personne sortie de son milieu ne saurait s’épanouir. Dans Gustalin, le paysan qui tente sa chance en ville en revient vite et la Parisienne qui s’installe à la campagne n’y reste pas. Le snobisme d’un prétendu retour à la terre sera moqué dans une farce en un acte, Le Minotaure.<o:p></o:p>

    II.<o:p></o:p>

    Son rejet des étiquettes explique son mépris pour les catégories de droite et de gauche, et même la dénonciation de celles-ci comme biaiseuses des réalités. Le mépris pour ces lotissements n’empêche malheureusement pas que les autres vous y assujettissent. Jusqu’en 1935, il fut considéré comme un écrivain de gauche. <o:p></o:p>

    La suspicion à son encontre naquit à l’occasion de l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie. Il signa un manifeste qui prenait la défense de l’Italie fasciste et s’opposait à une réplique occidentale contre la dite invasion, texte émanant « d’intellectuels français pour la défense de l’Occident et la paix en Europe ». C’est surtout cette paix en Europe que Marcel Aymé voulait voir préservée. La réaction ulcérée de la gauche le força à se justifier. « C’est ma conviction qu’il faut être fou de l’espèce furieuse pour vouloir s’embringuer, quelques soient les torts de l’Italie, dans une guerre de principe. […] Voilà, en gros, ce qui m’a conduit à signer un manifeste dont tous les termes ne me conviennent pas, il s’en faut, mais qui renferme l’essentiel : pas de guerre. » Ne lâchant pas l’os, André Wurmser le prendra l’année suivante à partie dans Commune, la revue de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (au nombre desquels : Gide, Gorki, Vaillant-Couturier), lui reprochant de s’être compromis avec l’extrême droite. La réponse du romancier fut, de nouveau, cinglante (je renvoie, pour plus de détails, au chapitre XII de sa biographie par Michel Lécureur).<o:p></o:p>

    Malgré sa collaboration à Je suis partout pendant l’Occupation, et malgré cet antécédent de 1935 qui l’avait rendu définitivement suspect à l’œil gauche, Marcel Aymé ne fut pas mis en cause par le CNE pendant l’Epuration. Il ne reçut qu’un « blâme sans affichage » (quel esprit scolaire) pour avoir vendu un scénario de film à <st1:PersonName ProductID="la Continental-Films">la Continental-Films</st1:PersonName>, firme allemande ! Des « amis » lui conseillèrent d’être discret et il eût pu se tenir coi, mais l’amitié de Marcel Aymé allait donner sa pleine mesure. <o:p></o:p>

    Il monta au créneau pour défendre Brasillach, qu’il connaissait d’avant-guerre. Sur le conseil de Me Isorni, il sollicita différentes personnalités pour une pétition. Picasso refusa de signer, sous prétexte que cela ne le regardait pas. Le romancier l’égratigna : « Sans doute avait-il raison. Ses toiles s’étaient admirablement vendues sous l’Occupation, et les Allemands les avaient fort recherchées. En quoi la mort d’un poète français pouvait-elle le concerner ? » <o:p></o:p>

    En 1949, il prendra la défense de Maurice Bardèche, en 1950 celle de Céline, écrivant au juge pour énoncer des arguments propres à blanchir l’écrivain, sollicitant les uns et les autres (dont Giono). Il écrira en avril 63 un hommage à Bastien-Thierry, remarquant particulièrement le courage de celui-ci qui avait lors de son procès « tranquillement accusé le seul homme de qui il aurait pu attendre la vie sauve. »<o:p></o:p>

    Rejeté par la gauche pour ses positions libres, accepté avec méfiance par une droite que son anti-cléricalisme ou sa gauloiserie chatouillaient aux entournures (l’un et l’autre ont souvent la saveur d’une rigolade bien française, la liberté de ton des Cent nouvelles Nouvelles), il finit par être classé anarchiste de droite. Encore une catégorie, mais tellement indéfinie qu’il ne dut pas s’en offusquer. <o:p></o:p>

    Son amitié avec Brasillach et Pierre Varillon (directeur des pages littéraires de L’Action française) l’avait amené à déjeuner avec Maurras et Léon Daudet. Aymé avait pu constater qu’il était reçu par les milieux d’Action française avec une largesse d’esprit qui faisait défaut ailleurs. Accepter un écrivain pour ses qualités et sa liberté de pensée sans s’offusquer du reste était une attitude qui rejoignait exactement la sienne. <o:p></o:p>

    L’auteur de l’article Marcel Aymé dans Wikipédia (l’encyclopédie sur Internet) regrette qu’il ait été « si obstinément classé à droite et récupéré abusivement par les cercles conservateurs. » Non, il n’a pas été récupéré, il a été accueilli par des gens avec qui il partageait incontestablement certaines valeurs.<o:p></o:p>

    III.<o:p></o:p>

    Naturaliste, Marcel Aymé, ou fantaisiste ? Ou réaliste, surréaliste, magico-réaliste, existentialiste ? Cet écrivain à qui les cases répugnaient entre mal dans les cases de l’histoire littéraire. L’analyse de thèmes récurrents semble plus propice à éclairer l’œuvre. Nous avons parlé amitié, classes sociales ; la justice et l’innocence, questions connexes, sont des questions clés.<o:p></o:p>

    En tant que journaliste et chroniqueur avant-guerre, il avait noté les manières et les décisions d’une justice qu’il estimait de classe, donc injuste (passim, dans le recueil Du côté de chez Marianne). Il s’emporte contre les peines infligées aux voleurs, plus sévères que celles prononcées contre les parents infanticides. Lors du procès de Violette Nozières (laquelle avait assassiné son père probablement incestueux), il décrit « des juges cambrés de fausse pudeur et peureux de toucher au fond des débats, un jury congestionné par l’envie de faire plaisir à une foule carnassière ». Il renvoie dos à dos les journaux ‘bourgeois’ pour qui l’inceste « est une invention gracieuse de la mythologie » sans réalité, et les journaux ‘avancés’ pour qui il est impossible qu’un ouvrier le commette.<o:p></o:p>

    Puis il avait vu fonctionner les tribunaux de l’Epuration. Il écrit alors une pièce, La Tête des autres (1952), qu’on présente ordinairement comme une dénonciation de la peine de mort mais qui est plus que cela, une charge féroce contre la magistrature à la botte du pouvoir politique ou financier, couchée, corrompue.<o:p></o:p>

    Les contemporains ne s’y sont pas trompés : tout le monde y reconnut les tribunaux de l’Epuration et les allusions aux affaires Stavisky et Joanovici (devenu dans la pièce Alessandrovici). La pièce fit scandale. Quelques années plus tard, les tribunaux gaullistes allaient renforcer cette vision très négative de la justice française. (Jean Anouilh fit les mêmes constats, dans L’Alouette, dans Pauvre Bitos, avec une violence plus rentrée.)<o:p></o:p>

    Parallèlement à la justice qu’il décrit, prompte à condamner l’innocent, existe une autre justice, personnelle celle-là, qui sert à s’innocenter. La culpabilité, Marcel Aymé la considère avec indulgence, mais il s’intéresse de près au mensonge qui est l’outil de cette « justice ». <o:p></o:p>

    Le Bœuf clandestin est un roman léger sur le mensonge et ses mystères. M. Berthaud se dit végétarien, ce qui lui vaut l’admiration de sa femme (cela le rend, à ses yeux, mystérieux) et de sa fille aînée (qui y voit une détermination morale extraordinaire). Jusqu’au dimanche où sa fille le surprend dans la cuisine, attablé à manger un biftèque saignant qu’il s’est préparé lui-même. Le tablier et la poêle encore fumante sont deux pièces à charge. Pourquoi a-t-il menti ? Il aurait pu manger de la viande devant sa famille, après tout. Mais l’homme est un être mystérieux, à double fond, et rien ne nous permet d’y accéder ; aucune interprétation n’est sûre au-delà de celle des actes et des faits. <o:p></o:p>

    Pourrait-on y accéder, au double fond et aux tréfonds de l’homme, que cela ne vaudrait pas mieux, voilà ce que dit la pièce Les quatre vérités (1954). Un jeune savant a inventé un sérum de vérité. Après que sa femme, ses beaux-parents et lui ont eu une piqûre de Masochine, a lieu un odieux déballage sans qu’au bout du compte le savant ne réussisse à savoir si sa femme est allée chez sa tante à Montauban – ou à Cannes avec Dieu sait qui.<o:p></o:p>

    Au-delà du mensonge à l’usage d’autrui, auquel certains personnages ne sont pas loin d’attribuer une fonction de pure utilité sociale, le mensonge qu’il aime disséquer est celui qu’on se fait pour se dissimuler ses faiblesses et se croire innocent, l’hypocrisie appliquée à soi-même. Les romans et les nouvelles sont pleins de notations de mensonges intimes, qu’ils concernent des détails de la vie quotidienne, des peccadilles, des lâchetés petites ou grandes, ou des crimes. <o:p></o:p>

    Michaud a mangé une quatrième tartine – nous sommes sous l’Occupation –, une de plus que sa part, un de ses enfants s’en trouve donc privé. Il quitte le domicile « avec la conscience à vif, essayant encore de disputer si le délit avait été consommé en toute innocence. […] Bâfrer sur la part de ses enfants, rogner de son plein pouvoir leur pain déjà si chichement mesuré et laisser croire à une minute de distraction très innocente, on ne pouvait rien imaginer de plus bas. » (Le Chemin des écoliers)<o:p></o:p>

    Un criminel se persuade qu’il n’a pas d’âme, conséquemment il n’éprouve aucun remords, et peut se dire innocent ; mais, condamné à mort, « alors que les valets de guillotine se saisissaient de sa personne, Martin, sentant l’étreindre le remords de son crime, comprit que son âme ne l’avait jamais quitté et qu’il s’était forgé un conte. » (L’âme de Martin) Une autre nouvelle, Trois faits divers, présente deux assassins qui, s’étant rencontrés par hasard, se racontent leur crime. Dans leur bouche l’histoire est presque belle et leur irresponsabilité si évidente qu’ils se reconnaissent mutuellement innocents. « Ils versèrent encore des larmes sur leur bonté et sur l’ingratitude des hommes, entrecoupant leurs sanglots d’invocations à une justice obscure qui n’était ni celle de Dieu, ni celle des hommes… » Mais peu après chacun avoue sa responsabilité et sa cruauté comme malgré soi et avec un plaisir non dissimulé, comme s’ils avaient eu, eux aussi, une piqûre de Masochine.<o:p></o:p>

    ***<o:p></o:p>

    Quelques thèmes frôlés – je m’aperçois que nous n’avons parlé ni de La Vouivre, ni des Tiroirs de l’inconnu – n’épuisent pas la richesse d’une œuvre qui a provoqué peu d’études. Se prête-t-elle peu aux thèses ou est-elle redoutable ? La notice Wikipédia citée plus haut ajoute que « très peu d'intellectuels ont osé entreprendre une étude approfondie et objective de son travail de peur d'être taxés de fascisme, d'antisémitisme ou de tendances réactionnaires ». Le bel aveu ! Des éclairages restent à faire. <o:p></o:p>

    Saluons l’activité de la SAMA, Sociétés des amis de Marcel Aymé, qui publie chaque année un Cahier Marcel Aymé. Le n°25, qui vient de paraître, contient une biographie d'Arthur, frère aîné de Marcel, des extraits du cours du Pr Bouttier sur les nouvelles, des critiques de pièces de théâtre…<o:p></o:p>

    Michel Lécureur accomplit un important travail. Il a écrit un essai (La comédie humaine de Marcel Aymé, La Manufacture, 1985 – on peut n’être pas d’accord avec beaucoup des conclusions) et une biographie (1988), dont il a donné une version complétée et corrigée en 1997 : Marcel Aymé, un honnête homme (Les Belles Lettres / Archimbaud). On lui doit la publication d’inédits et l’achèvement de l’édition des œuvres complètes dans la collection de la Pléiade commencée par Yves-Alain Favre. Je reste persuadé pour ma part que lire Marcel Aymé dans la Pléiade est dommage. Avec des appels de notes et de variantes contre lesquels le regard butte sans cesse et son air collet monté, cette collection lui correspond si peu ! Il se lit dans la collection blanche de Gallimard et, avec plus de plaisir encore peut-être, en vieux Livre de Poche.<o:p></o:p>

    Samuel

    voir également notre dossier Marcel Aymé lovendrin n°20

    et Bigard est Clérambard


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