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Messager (Annette)
Au Centre Pompidou<o:p></o:p>
Une artiste officielle<o:p></o:p>
Présent du 11 août 2007<o:p></o:p>
Entrer dans une exposition d’art moderne est aussi déplaisant qu’assister à une messe Paul VI ou déjeuner au McDonald, mais permet, de temps à autre, de se rappeler que nos goûts et nos engagements ont une réelle valeur et un sens, même si la routine les oblitère parfois. Je ne voudrais pas cependant marquer de l’irrespect envers une artiste aussi peu petite bière qu’Annette Messager, « figure majeure de la scène internationale contemporaine » qui « a représenté la France à la Biennale de Venise de 2005 où elle a obtenu le Lion d’Or ». <o:p></o:p>
Avec Louise Bourgeois, qui représente l’aspect pervers de l’Art contemporain (on connaît d’elle de l’art « sacré » ouvertement blasphématoire), avec Sophie Calle, qui représente, elle, son aspect débilo-ludique (sa fausse cabine téléphonique du pont Garigliano, par exemple, ou son projet pour le métro de Toulouse[1]), elle est l’une des trois grandes créatrices françaises, ne laisserait-elle à la postérité que le ticket conçu pour l’anniversaire du Centre Pompidou cette année, Laissez-passer/laissez pisser – je m’en excuse ; mais je crois qu’à ce stade il est d’un intérêt intellectuel de dire sans périphrase de quoi il retourne. Son œuvre combine les deux aspects, le ludique servant la perversité du propos.<o:p></o:p>
Vous êtes – nous sommes – en présence de ce qui se fait de plus officiel en matière d’art. Il y a cent cinquante ans, Annette Messager eût été Prix de Rome, eût peint pompier, et son œuvre encombrante noircirait aujourd’hui dans les chapelles latérales d’une église néo-gothique, ou dans un musée de province oublié par les subventions. L’heure n’étant pas encore venue de cet ajustement, le Centre Pompidou lui consacre une rétrospective : des fragments de corps humain en skaï rembourré (La balade de Pinocchio à Beaubourg), des rangées de moineaux vêtus d’une petite laine (Le repos des pensionnaires), des oiseaux naturalisés dont la tête est remplacée par celle d’une peluche ou d’une poupée, le tout plus ou moins suspendu, balancé par la brise ou mû par des filins. Quelques allusions à la sexualité ne déparent pas l’ensemble.<o:p></o:p>
Le caractère officiel de son œuvre est repérable à la sémantique incontournable (quand l’art est déficient, le verbal le soutient) : « principe de transgression », « attraction et répulsion », « dérogation à la règle et déni des convenances ». Ces termes se retrouvent dans toute présentation, tout catalogue de tout plasticien à la mode. Ils ont valeur de règle à laquelle il ne sera pas dérogé[2]. <o:p></o:p>
Sa démarche est si peu radicale qu’elle a recours au préfixe : ses œuvres s’intitulent Gonflés –Dégonflés, ou Dépendance –Indépendance, ou Articulés –Désarticulés (illustration)… Cela sent le truc. Son œuvre suscite chez les critiques des logorrhées analogues à celles des clercs dans les périodes de basse inspiration : « Le ‘je’ et le ‘jeu’ dans leur occurrence et leur récurrence, innervent l’œuvre d’Annette Messager. Le ‘je’, qui se décline en ‘Mes’, en ‘Mon’, en ‘Ma’, en autoportraits avoués ou non, en diverses incarnations, est celui d’une entité à définir et qui, pour ce faire, n’en finit pas de chercher refuge dans les formes. »<o:p></o:p>
Plus simplement, tout tourne autour du corps. Le jeu de mots vulgaire cité supra est censé « souligné le lien entre le bâtiment et les fonctions corporelles, le flux et les fluides. Il condense dans un registre minuscule des préoccupations fondamentales dans le travail de l’artiste, centré sur la question du corps. » Les morceaux de bras, de jambes, les yeux, les seins « donnent à ces membres un statut d’ex-voto » ; les fragments d’organes renvoient « le spectateur à la somme dérisoire de ses constituants ». Etc. <o:p></o:p>
Par cette obsession de la chair et du corps blessé, l’art d’Annette Messager a une autre dimension officielle, épiscopale cette fois. Il appartient au mouvement spirituel de Mgr Rouet, dont l’essentiel a été exprimé dans L’Eglise et l’art d’avant-garde (La Chair et Dieu), paru en 2002. Ceux qui ont lu cet ouvrage ont mesuré d’une part la niaiserie d’un lyrisme qui souvent pouvait être pris dans un sens graveleux, d’autre part la confusion d’une intelligence qui partait de la chair et y retournait aussi vite, tout en se réclamant de l’Incarnation. <o:p></o:p>
Le peuple en redemande, si j’en juge aux commentaires laissés dans le livre d’or : fabuleux, enchanteur, etc. Une dame, qui vient pour la troisième fois, demande qu’il y ait davantage de gardiens car, signale-t-elle, elle a vu des gens toucher aux œuvres d’Annette Messager – profanation ! La réflexion de cette femme, que je ne voudrais pas avoir comme voisine, montre à sa manière combien l’art contemporain est intouchable, ce que confirme le procès fait à Présent par M. Henry-Claude Cousseau. On sait que les plasticiens ne parlent plus d’œuvres mais d’installations ; ils sont eux-mêmes des gens très installés.<o:p></o:p>
Samuel
Annette Messager, Les Messagers, <o:p></o:p>
jusqu’au 17 septembre 2007, Centre Pompidou<o:p></o:p>
illustration : articulés-désarticulés, 2002, Coll. MNAM © André Morin/Adagp<o:p></o:p>
[1] Il consiste en un système de messages personnels rédigés par les usagers sur Internet et lisibles sur des écrans dans la station. C’est son œuvre.<o:p></o:p>
[2] Je reviens à l’œuvre toulousaine de Sophie Calle : il est précisé que les messages à caractères racistes seront censurés. Comme quoi la transgression trouve rapidement ses limites.<o:p></o:p>
Tags : Messager, art contemporain
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