• Misérables

    A la Maison Victor Hugo & à Carnavalet<o:p></o:p>

    Le monde des Misérables

    Présent du 8 novembre 08

    Les Misérables, c’est en édition Folio deux pavés de plus de neuf cents pages chacun : même coupé en tranche, le roman est la négation même du livre de poche à moins de porter une redingote à la Valjean, modèle « forçat évadé », équipée de fouilles profondes… Deux musées constituent l’attelage minimum pour tirer de l’ombre un roman souvent réduit par les adaptations à sa trame feuilletonesque.<o:p></o:p>

    Un feuilleton philosophique<o:p></o:p>

    La rédaction commence en 1845 place des Vosges. Victor Hugo y travaille jusqu’en 1848 et s’interrompt ; il le reprend exilé en 1860 et l’achève en 1862. Le lancement du roman fut préparé, orchestré, et eut lieu simultanément à Bruxelles et à Paris. Il y eut donc deux éditions aussi originales l’une que l’autre. Le succès fut au rendez-vous, les critiques aussi, venues de tout bord. La grandiloquence et l’abus de sublime offraient à foisons des citations ridicules. L’idéologie du roman prêtait le flanc aux chatouilles. Le chapitre où le pieux Mgr Myriel reçoit, de la bouche d’un conventionnel athée, recuit, agonisant, les lumières les plus hautes sur la foi chrétienne, est tarte.<o:p></o:p>

    De massifs pans philosophiques ont été ajoutés lors de l’exil. A cette date, la conviction exprimée par Hugo – ultime étape de son évolution politique – est que la Révolution de 1789 est un événement surhumain, providentiel, comme tel inéluctable ; que son achèvement connaît des ralentissements, des haltes réactionnaires mais que rien n’entrave la marche de l’Histoire vers l’ordre démocratique (car dans cette perspective la monarchie est le désordre, le pays légal qui opprime le pays réel) et vers le bonheur universel assuré par la Science.<o:p></o:p>

    La Science commence à l’Alphabet : l’une des conditions du bonheur des masses est leur instruction, les crimes sont le fruit amer de l’ignorance dont la société est responsable. Le romancier dénonce l’existence « par le fait des lois et des mœurs, [d’] une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ». La société coupable, le forçat innocent : du bon Jean Valjean au « pauvre » Mesrine ou à la « malheureuse » Marina Petrella, l’idée a fait son chemin.<o:p></o:p>

    Mais Les Misérables, pour le public, ce n’est pas tant une philosophie qu’une galerie de personnages mêlés à des aventures à rebondissements. Les traductions en toute langue puis les adaptations cinématographiques, ainsi que les versions pour enfants ont rendu universels les personnages de Cosette, Gavroche et Valjean, sans oublier les ignobles Thénardier et l’implacable Javert. <o:p></o:p>

    Les illustrations présentées par la Maison Victor  Hugo se répartissent en quatre sections : Les Misérables sont un roman de la Rédemption, de la Misère, de l’Amour et de l’Histoire. Illustrations de l’œuvre ou inspirées par elle : « La chanson de la chemise », gravure de Gustave Doré (Fantine, avant de sombrer dans la prostitution, ravaude dix-heures par jour) ; la petite Cosette, mise en scène pour une photographie par Ed. Bacot (1863), ou, avec son seau, plâtre de Fr. Pompon (illustration 1) . Mais le choix s’élargit à tout le XIXe siècle, car le roman reprend des thèmes de l’époque : les gamins bohémiens (lithographies de Gavarni), les prostituées (dessins de Constantin Guys). Des peintures de Delacroix, de Rouault, sont autant d’illustrations possibles.<o:p></o:p>

    Un roman parisien<o:p></o:p>

    A part le début du livre, où l’on visite Digne, évêché de Mgr Myriel, Montfermeil où les Thénardier tiennent auberge, Montreuil-sur-Mer, municipalité de « M. Madeleine », et hormis le récit magnifique de la bataille de Waterloo, Les Misérables sont un roman de la capitale. Paris, dont Gavroche est proprement un atome, joue son rôle de personnage à part entière. <o:p></o:p>

    Pour Victor Hugo, Paris est une ville comme aucune autre. C’est une ville initiatique : étudier à Paris, écrit-il, c’est y naître, et plus loin il proclame que Paris est « la ville natale de son esprit ». « Paris exprime le monde. Car Paris est un total, Paris est le plafond du genre humain. Toute cette prodigieuse ville est un raccourci des mœurs mortes et des mœurs vivantes. » Le mythe est là, commun à Hugo, Baudelaire, Balzac ou Sue (cf. R. Caillois, « Paris, mythe moderne »). Que Paris soit une ville volontiers insurrectionnelle renforce sa grandeur aux yeux du romancier ; on la voit à l’œuvre dans la barricade des Halles, second Waterloo. Les peuples de Paris (le monde de la pègre, des étudiants, etc.) forment avec les rues et les murs un être organique, pas plus séparables que l’animal et sa coquille. Les égouts par lesquels fuit Jean Valjean – terribles passages – sont les intestins du Léviathan.<o:p></o:p>

    Il revenait au musée Carnavalet d’accrocher aquarelles, gravures, photographies et plans qui racontent le dix-neuvième siècle de la capitale, les rues tortueuses d’avant le passage du baron vandale – comme disait Jacques Perret – et d’avant le bétonnage municipal du Marais et des Halles. <o:p></o:p>

    Voici le jardin du Luxembourg où Marius vient chaque jour apercevoir l’inconnue ; l’éléphant de la Bastille où loge Gavroche ; la Prison de la Force d’où s’échappe, une nuit d’orage, Thénardier ; d’autres documents évoquent la masure Gorbeau, boulevard de l’Hôpital, aux limites de la ville et du terrain vague ; l’hôtel de la rue Plumet, le couvent de Picpus… Ce dernier est un couvent du 5e arrondissement transposé vaguement entre Bastille et l’actuelle gare de Lyon : Victor Hugo n’hésite pas à travestir la géographie parisienne pour les commodités de la narration ou par affection pour tel ou tel lieu. <o:p></o:p>

    Affection : Les Misérables sont une histoire d’amour. Amour de l’humanité, amour de Paris, amour de Marius et Cosette, amour de la liberté – sans oublier l’amour paternel jaloux, exclusif, de Jean Valjean pour Cosette, qui n’est autre que celui d’Hugo pour Léopoldine –, sur tous les tons, le ton épique et le ton sentimental, du soupir de l’énamouré au souffle de l’ouragan, Victor Hugo joue de la lyre pour le meilleur et pour le pire.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Les Misérables, un roman inconnu ? Maison de Victor Hugo

    & Paris au temps des Misérables, Musée Carnavalet

     jusqu'au 1er février 09

    Illustration : Une image impérissable : Cosette et son seau

    (Plâtre de Fr. Pompon, 1887 © Maison de Victor Hugo / Roger-Viollet)<o:p></o:p>


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