• Mouches

    Au Muséum d’Histoire naturelle

    Le peuple vrombissant

    Présent du 21 juillet 2007

    Animal de compagnie douteuse, déclaré de vassalité démoniaque, la mouche est victime d’une répugnance assez naturelle. Mais Aristote lui-même n’a-t-il pas écrit que « tout être vivant a quelque chose d’admirable » ? Saint Augustin, en une page drolatique de son commentaire sur l’évangile de saint Jean, met en scène un Manichéen qui, n’admettant pas que l’indigne mouche ait pu être créée par Dieu, finit par penser que l’Homme, tout aussi indigne à sa manière, ne peut être qu’une créature du diable. A nous d’accepter la Création jusque dans ses cirons, lesquels, vus au microscope, se révèlent d’ailleurs une faune prodigieuse – l’imagination du Bon Dieu.

    Ces considérations, on s’en doute, ne sont pas celles du Muséum National d’Histoire naturelle : l’exposition a lieu dans la Grande Galerie de l’Evolution. Je tenais à exprimer mon créationnisme primaire avant qu’il ne devienne un délit puisque certaines officines font sournoisement progresser l’idée qu’il est un danger pour la jeunesse et qu’il faudra songer à l’interdire. La mouche est, dans une perspective évolutionniste, notre cousine. Calliphora est un beau prénom pour une cousine, ou bien Rutilia Splendida ; et ça sonne mieux que les appellations courantes de Mouche bleue (photo) et Mouche verte. D’autres ont des noms tout aussi charmants comme Lucilia Caesar, Sarcophaga carnaria, ou Glossina palpalis…

    Le muséum du Jardin des Plantes est riche d’une collection de diptères qui compte parmi les plus respectables du monde. Elle fut commencée dans les années vingt par Eugène Séguy, à qui on doit un Atlas des diptères de France, Belgique et Suisse (1951). La distinction entre insectes diptères (mouches et moustiques, pour l’essentiel) et insectes hyménoptères (abeilles et guêpes) est récente. Longtemps l’abeille s’est appelée mouche à miel, dénomination qui subsiste par exemple dans le créole mauricien (« mouss di miel »). Certaines mouches entretiennent la confusion : elles ont un abdomen à rayures jaunes et noires qui leur permet de se faire passer pour des abeilles et leur évite des tas d’ennuis dans une vie déjà courte.

    La mouche et le moustique sont responsables de deux millions de morts par an. Ils transmettent quantité de maladies bizarres et peu ragoûtantes comme l’éléphantiasis, l’onchocercose, l’ophtalmie purulente, la conjonctivite granuleuse ou la maladie du sommeil. Cette dernière était presque éradiquée en 1960, mais les Indépendances lui ont été profitables et elle ressurgit de manière épisodique, avec un rendement de 50 000 morts par an.

    En comparaison, les bienfaits de la mouche paraissent assez ridicules. L’asticothérapie, qui consiste à laisser les asticots manger les chairs nécrosées d’une plaie – Ambroise Paré en avait déjà observé les résultats positifs –, avait disparu avec le développement des antibiotiques ; la résistance à ceux-ci fait que cette thérapie étrange intéresse de nouveau les spécialistes. La vraie spécialité de la mouche est la médecine légale. Elle est un instrument infaillible : l’étude des larves qu’on trouve sur un cadavre et l’étude du stade de leur développement permet de fixer précisément l’heure de la mort. Ce n’est pas précisément un sot métier, mais la mouche n’en sort pas socialement grandie.

    Le moyen international de se débarrasser de l’agaçant diptère est le chasse-mouches, avec des variantes locales en ce qui concerne le matériau utilisé : bambou, algues, crins de cheval ou queue d’éléphant, ou plastique pour la moderne tapette. Il existe d’autres façons. Maldoror énonce gravement que « pour tuer les mouches, voici la manière la plus expéditive, quoique ça ne soit pas la meilleure : on les écrase entre les deux premiers doigts de la main. » J’ai sous les yeux un vieux Larousse médical qui recommande le lait ou la bière formolés à 15% ; il faut se sentir d’humeur expérimentale.

    Se pratique également la chasse au torchon ou à l’élastique (un gros, en caoutchouc ; technique assez salissante). Mais le meilleur moyen de ne pas être importuné par les mouches – et on s’étonne que l’exposition ne le mentionne pas, peut-être par soumission au Collectif des Femmes d’Intérieur – reste la libre installation d’araignées, un moyen écologique, bio, comme qui dirait : durable.

    Soyons prudents, car tuer une mouche sera peut-être un jour, comme le créationnisme, un délit : le délit de spécisme, discrimination entre les espèces. L’anti-spécisme est une idéologie marginale propre à quelques illuminés, mais qui pourrait bien un jour reléguer l’anti-racisme au rang d’un combat fasciste (à cause de sa non prise en compte de l’égalité des espèces). En attendant, vous pouvez voir ou revoir La Mouche, de David Cronenberg : un scientifique génétiquement modifié par accident se métamorphose peu à peu en mouche. Les effets spéciaux ont vieilli mais l’abolition de la frontière entre humain et animal fait toujours son effet.

    Samuel

    L’expo qui fait mouches, jusqu’au 3 septembre 2007,

    Muséum National d’Histoire naturelle,

    illustration : Mouche bleue (Calliphora vicina) © Ph. Blanchot


    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :