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Peinture hollandaise
Autour de Vermeer
Présent du 14 novembre 09
Dans la file d’attente, une adolescente à son frère plus âgé : « – C’est bien la peine de venir voir des vieux trucs, avec tout ce monde. – Pas grave, on ira au cinéma demain. – Ah non. S’il faut je verrai tout ça en dix minutes, mais on va à la séance de 16 h 40 comme prévu. » Le Rijksmuseum étant fermé pour travaux, une centaine de tableaux du Siècle d’or hollandais a été confiée à la Pinacothèque de Paris : les « vieux trucs » susdits.
La fécondité artistique du XVIIe siècle hollandais est attribuée tantôt à l’épanouissement commercial, tantôt à la tolérance, parfois aux deux. Que la création serait chose simple ! Un peintre français, Jean Legros (mort suicidé en 1981 par suite de l’incurie des galeristes et des éditeurs), a écrit de fortes lignes sur la peinture bruyante, qui bavarde et provoque des bavards, et la peinture silencieuse qui nourrie d’intériorité la favorise. La peinture hollandaise atteint des sommets parce qu’elle prend assez naturellement le chemin du silence.
Un tableau de fleurs de Jan Davidsz de Heem manque d’unité, sent la démonstration : c’est un tableau qui bavarde. Du même peintre, une Nature morte avec des livres s’élève au premier ciel. La Nature morte avec un verre de bière de Jan Jansz van de Velde est silencieuse. Elle rassemble, décentrés, un verre mousseux, des citrons, des objets en étain, une porcelaine. Elle montre que le réel est digne de respect ; qu’avec de l’attention on passe per visibilia ad invisibilia. L’intervention mentale et spirituelle – et non intellectuelle – de l’artiste confère une valeur supplémentaire aux choses.
« Ce qui est le plus abstrait, écrivait J. Legros, est ce qui est le plus mental et si l’on me demandait de désigner ce que je considère comme étant la peinture mentale, je désignerais Vinci, Pierro Della Francesca, Vermeer, et non pas la grande part de la peinture d’aujourd’hui qualifiée d’abstraite sous le prétexte qu’il y a absence d’objets. » Les Hollandais ont aimé les objets, c'est-à-dire ce qu’ils avaient sous les yeux. Ce verre de bière dont nous parlions. Un visage comme celui de la jeune fille dessiné par Leendert van der Cooghen, au regard vert inscrit dans un modelé rigoureux. Un moulin à eau, observé par Van Ruysdael.
Peu de noms de peintres viennent sous la plume de J. Legros lorsqu’il pense à la peinture du silence. Celui de Vermeer n’y manque jamais. « Une certaine qualité de silence. – Cimabue, Vinci, Vermeer, Georges de La Tour… » Infra : « L’art du silence. – L’art divin : Ravenne – Les verrières de Chartres – Vermeer. » La Pinacothèque peut proclamer naïvement que Rembrandt est « le plus grand peintre de tous les temps », l’unique Vermeer présenté est le centre d’un monde : tous les autres tableaux ont l’air d’être autour de lui. On regarde cette Lettre d’amour de 38 cm sur 44 (illustration) et on a honte pour les autres peintres qui ont pris une toile beaucoup plus grande pour dire beaucoup moins. Jamais peinture ne fut plus silencieuse. Il semble que dans cet intérieur tout y prenne de la qualité. Les bruits doivent y devenir des sons.
Chaque tableau de Vermeer est baigné de ce silence de qualité. La beauté, disait Angèle de Foligno, nous ferme les lèvres. Quand on pense que même Scarlett Johansson, à qui fut confié le rôle de la « jeune fille à la perle » dans le film de Peter Webber (2003), n’est pas aussi parfaitement belle que la jeune fille de la peinture, on mesure le don de Vermeer.
D’autres artistes sont dans son orbite. Les fées les ont honorés de dons qui ne sont pas méprisables. Il leur manque tout de même cette once de cosa mentale qui permet à Vermeer de se situer plus haut. L’atelier du tailleur de Quiringh van Brekelenkam organise l’espace à sa manière, mais c’est encore trop une scène de genre. La Jeune fille assise en costume de paysanne de Gerard ter Borch est encore trop un portrait. Le devoir d’une mère de Pieter de Hooch n’a pas la qualité picturale, la touche amoureuse de Vermeer – car au fond la lettre d’amour n’est pas ce bout de papier que tient la jeune femme, ni ces lettres qu’elles lisent ou écrivent dans les autres toiles du Maître, c’est le tableau lui-même, voire son œuvre peint.
Il arrive qu’un artiste donne une nouvelle vision du monde, de sorte qu’après lui cette dimension supplémentaire, qui ne manquait pas tant qu’elle était ignorée, devient essentielle. Qu’il existe une vision personnelle prouve l’existence d’un monde intérieur, existence que par extension on peut attribuer à chaque être humain même si rarement elle est appelée à être révélée et si plus rarement encore elle est de qualité. A cette théorie proustienne de l’art comme preuve de l’existence de l’âme, l’exemple de Vermeer convient.
Samuel
L’Age d’or hollandais, de Rembrandt à Vermeer.
Jusqu’au 7 février 2010, Pinacothèque de Paris (VIIIe arr.).
illustration : Johannes Vermeer, La lettre d’amour, c. 1669-1670 © Rijksmuseum Amsterdam 2009
Tags : hollande, peinture, vermeer
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