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Pelletier (Pierre-Jacques)
Au musée Carnavalet<o:p></o:p>
Les gris de Paris<o:p></o:p>
Présent du 12 janvier 08<o:p></o:p>
Parcourant les rues de la capitale, Des Esseintes était assailli par « l’aversion du ciel en boue jaune, des nuages en macadam ». Cette seule remarque aurait suffi à me rendre le héros de A rebours, et son auteur, antipathiques. Primo, il m’a toujours paru curieux de laisser son humeur se dégrader à mesure qu’épaississent les nuages : une humeur hydrosoluble, ce n’est pas très sérieux. Mais on vit l’époque du tout-soleil ; bientôt des associations réclameront le droit opposable à l’ensoleillement, des comédiens se déplaceront pour soutenir les populations des régions pluvieuses. <o:p></o:p>
Deuzio, la sensibilité d’artiste de Jean des E. et de Joris-Karl H., rétive aux gris de Paris, s’avère de carton, raffinement décadent de toc. J’écoutais il y a peu un « peintre spécialiste du symbolisme des couleurs » – l’homme était ainsi présenté – qui expliquait aux auditeurs que le gris, mélange de noir et de blanc, est une couleur neutre. Quel genre de peintre est-ce pour avoir l’idée de mélanger du noir et du blanc, idée aussi théorique qu’est faible son symbolisme à la noix ? Dans la réalité, qui est aussi celle de la palette, tous les gris sont à base de couleur, et tous sont colorés. Les ciels les plus plombés, de Paris ou d’ailleurs, sont dignes d’intérêt, plus riches que bien des ciels bleus.<o:p></o:p>
Long préambule à la trentaine d’œuvres de Pierre-Jacques Pelletier (1867-1931) exposée au musée Carnavalet, peintre et pastelliste qui a goûté et rendu toutes les nuances des gris de Paris. Installé à Montmartre, il en est souvent descendu pour travailler sur les quais, qu’ils soient d’Austerlitz, des Grands Augustins, de la Râpée, Henri IV, de la Tournelle… là où les eaux et les ciels rivalisent de reflets. Même sur la Butte il cherche l’eau : tel pastel de la rue Norvins montre un pavé mouillé qui est autant un ruisseau. <o:p></o:p>
Pastelliste supérieur, il l’est par sa touche légère, appuyée quand il faut souligner un détail qui anime et permet d’identifier les masses (immeubles, péniches…). Les compositions sont structurées, dans de rares cas les lignes se fondent totalement : Le pont d’Austerlitz vu du quai de la Râpée où eau, neige, ciel, bâtiments lointains se déclinent en gris frais et subtils, que renforcent le noir des troncs et le brun foncé d’une péniche. D’ordinaire les ponts affirment leurs lignes : un fusain aquarellé représente le Pont Marie avec la légèreté qui sied à l’un des plus beaux ponts de Paris, aux cinq arches dissemblables.<o:p></o:p>
Artiste de race (oups !), P.-J. Pelletier s’est formé auprès de Charles Beauverie (1839-1923), élève de l’Ecole Impériale des Beaux-Arts de Lyon, paysagiste qui a travaillé dans la forêt de Fontainebleau et sur les bords de l’Oise, et qui s’est trouvé un maître en la personne de Charles Daubigny (1817-1878), paysagiste qui n’est plus guère qu’un nom, lui nourri de Corot et de Courbet, au contact duquel Cézanne, Manet affinèrent leur vision de la peinture telle qu’ils la voulaient rénover. <o:p></o:p>
Pelletier est donc un petit-fils de l’Ecole de Barbizon, un neveu des Impressionnistes. Bon exemple de l’importance des filiations artistiques, de la transmission du métier (l’œil et la main) – être un maillon de la chaîne, disait à peu près Cézanne. Cela n’a jamais empêché les personnalités de se développer, et semble même nécessaire à leur développement : on constate la stérilité générale des arts, la domestication des talents depuis que chacun a cru trouver en soi-même son propre maître. <o:p></o:p>
Les temps gris, pluvieux, neigeux, ceux que craignent les héliomanes, faisaient donc sortir Pelletier de l’atelier. Voici une très belle vue du canal Saint-Martin au niveau du quai de Valmy enneigé ; une jolie lumière sur le pont des Arts et les guichets du Carrousel ; le quai des Célestins (illustration), enneigé aussi, où se devine un peu de ciel bleu. Car le ciel d’après la pluie, le premier soleil qui joue dans des traînées de nuages est une autre magie de Paris que l’artiste ne pouvait dédaigner. <o:p></o:p>
Ce goût pour les variations de luminosité apparaît dans les études d’un même lieu sous deux ambiances : l’Impasse Albert Lécuyer (Saint-Ouen) vue dans la journée puis au soleil couchant ; deux vues de Saint-Ouen par ciel gris et dans les brumes.<o:p></o:p>
P.-J. Pelletier a mené une carrière discrète, exposant très régulièrement au Salon des Artistes français et aux Indépendants. Il laisse une œuvre qui mérite notre respect. Dans ses paysages, l’homme est absent, ou n’est que silhouette. Cela pourrait donner des décors de théâtre, vides, déserts, où on a l’impression, comme disait un vieux manuel de peinture, que la peste est passée par là ; mais on y sent tellement l’intensité et la sensibilité du regard de l’artiste que ces paysages sont pleins d’humanité.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Les nuances de Paris, Pierre-Jacques Pelletier, <o:p></o:p>
jusqu’au 16 mars, Musée Carnavalet<o:p></o:p>
illustration : Quai des Célestins, pastel, coll. privée © Nicole Reinhardt<o:p></o:p>
Tags : Pelletier, peinture XXe
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Commentaires
1visiteur_NCLLundi 4 Février 2008 à 13:19Nous sommes all?voir cette exposition et nous sommes tomb?sous le charme de ces pastels. Nous avons d?uvert un past?ste qui m?te d'?e connu.Répondre
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