• Pierre Perret

    Les amitiés douteuses de Pierre Perret

    Même s’il n’a pas obtenu le gros lot qu’il demandait, 215 000 euros, Pierre Perret a eu de la chance, le vendredi 13 dernier : une plainte en diffamation lui a rapporté 10 000 euros.

    Le chanteur avait porté plainte après lecture, dans le Nouvel Obs en janvier 2009, d’un article de Sophie Delassein : « Perret et le pot aux roses ». La journaliste y niait la réalité des rencontres de Paul Léautaud et de Pierre Perret, que celui-ci situe dans les années 1954-1955 et qu’il a racontées dans Adieu, M. Léautaud (1972). Des souvenirs de Perret, G. Lindenberger écrivait : « Au fil des pages le lecteur est invité à admirer naïvement quel être d’exception est ce Pierre Perret, seul visiteur admis par Léautaud, seul être humain à ne pas l’avoir déçu. (…) Le but du livre fut atteint : il conféra au chanteur un brevet de penseur hardi » (1).

    Sophie Delassein ne faisait que rouvrir un dossier sur lequel l’opinion de la République des Lettres a peu varié : l’amitié profonde entre les deux hommes n’a jamais convaincu personne. Autant l’amitié de Montaigne et La Boétie sonne juste, autant celle-là manque de vraisemblance. Entre l’écrivain anticonformiste, à l’esprit libre – « C’est après 1945 qu’il devient réellement subversif, sans trop le savoir » (Georges Laffly) – et le chanteur dont la carrière a été une suite de chansons tout ce qu’il y a de plus correctes politiquement, les points communs manquent.

    Mieux, Perret lui-même a fortement contribué à semer le doute sur leur amitié. Lorsqu’en 1998 le Mercure de France lui demande de préfacer un choix de pages du Journal, il écrit avoir peu connu Léautaud. Anodin dans les années 1950-1970, « l’antisémitisme » de Léautaud était devenu un crime impardonnable dans les années 1990. Du coup, Perret ressentait « un certain agacement, voire une amère déception » à l’égard de l’écrivain décédé en 1956.

    Alors, soit l’amitié avait été réelle et le chanteur la reniait, soit elle avait été inventée de toutes pièces – et il la reniait également. « Renier par intérêt une amitié qu’on a inventée par intérêt, n’est-ce pas le comble de l’opportunisme », s’interrogeait G. Lindenberger.

    Pierre Perret a gagné, il n’est plus permis de mettre en doute l’amitié dont il a lui-même écrit la palinodie ? Pas exactement. Le jugement porte sur l’impossibilité, pour Sophie Delassein, de prouver que Perret n’a jamais rencontré Léautaud. En effet. Il est reproché à la journaliste d’avoir manqué de prudence dans les termes employés. Pour le reste, les attendus du jugement sont cruels pour le chanteur. La 17e chambre relève les « invraisemblances » de ses souvenirs, où divers indices « nourrissent incontestablement l’impression générale que la partie civile [Pierre Perret] ait pu, à quelque occasion, flatter ses propres souvenirs, ou plus simplement se tromper en divers points ». Que les rencontres aient été fréquentes et amicales, la justice elle-même en doute.

    Sophie Delassein accusait par ailleurs Pierre Perret d’avoir « pillé » des textes de Brassens, de Garcia Llorca. Cela également a été jugé diffamatoire.

     

    MARTIN SCHWA

    (1) « Le faux ami, ou le reniement de Pierre », Lovendrin n° 10, mars-avril 2006.

    Article extrait de Présent
    du Mardi 17 mai 2011

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