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Rococo débridé
Au musée Cernuschi
Rococo débridé<o:p></o:p>
Présent du 5 mai 2007
Les termes chinoiserie et singerie ont pris un tour dépréciatif qu’ils n’avaient pas à l’origine, quand ils désignaient des statuettes, des bibelots ou des peintures à motifs asiatiques. Chinoiseries et singeries étaient souvent mêlées, l’exotisme animalier s’associant naturellement à l’exotisme humain. Le mot magot, d’ailleurs, qui désignait auparavant un singe, fut appliqué à une statuette grotesque. Le musée Cernuschi s’intéresse à cette production étonnante de l’Europe du XVIIIe où règne un Orient imaginaire, Chine, Japon, Inde et Turquie confondus. <o:p></o:p>
L’arrivée du thème chinois dans notre art décoratif s’explique par les échanges commerciaux et par la littérature jésuite missionnaire qui, pour convaincre les Européens de la possibilité de convertir les populations lointaines (Orient et Amérique), s’employait depuis le XVIIe à les montrer sous leur meilleur jour jusqu’à en exagérer la bonté : cela partait d’une bonne intention et fut un des ferments de l’idée du bon sauvage, avec les conséquences idéologiques néfastes que l’on sait. <o:p></o:p>
Sur le plan décoratif, les effets furent positifs : les motifs chinois renouvelèrent le fonds classique épuisé tout en renouant avec la tradition des grotesques de la Renaissance. Les intérieurs s’ornèrent de peintures sur murs ou sur bois ; soumis à la mode, ces ensembles n’ont pas résisté aux modifications du goût et il ne subsiste qu’une dizaine de ces merveilles (signalons la Grande Singerie du château de Chantilly, le Cabinet des Singes de l’hôtel de Rohan). Les Chinoiseries du château de La Muette, peintes par Watteau, ne nous sont plus connues que par les gravures qui en furent réalisées, en particulier par Boucher ; c’est ainsi qu’on connaît ces compositions qui ont nom La déesse Thvo Chvu dans l’île d’Hainane, Lao Gine en vieillard chinois ou L’adoration de la déesse Ki-Maô-Saô. Manquent les couleurs qui participent tant à la poésie de Watteau…<o:p></o:p>
La vaisselle a mieux résisté au temps (photo). Les artisans européens travaillèrent d’abord la faïence de façon à la faire ressembler à la porcelaine, procédé qui resta mystérieux jusqu’à ce que les Allemands percent son secret. Les amateurs se délecteront des assiettes, plats, théières, boîtes, écritoires et bougeoirs décorés de personnages, de singes, de scènes de vie bucoliques, de feuillages, comme des diverses statuettes : dans le cas de Chinoise versant du chocolat avec deux enfants, le « tout-exotique » l’emporte une fois de plus sur la vraisemblance.<o:p></o:p>
La laque, comme la porcelaine, était une technique aussi nouvelle que séduisante. Intriguant, elle fut imitée par un léger relief taillé dans le bois pour faire sortir les personnages en épaisseur et par un travail des vernis. Les quatre Eléments, panneaux peints de cette manière, ornaient l’hôtel de Richelieu. Leur ton général n’est sans doute pas tel qu’il était à l’origine : on dirait d’un vert oxyde de chrome qui aurait noirci. Etonnante version orientalisante d’un motif ô combien classique, dont les hôtels de notre Marais (Sully, Rohan) sont souvent ornés en façade ! Technique bien occidentale, la tapisserie suivit le courant et adapta ses sujets. La Suite chinoise de Beauvais enchaîne Le ramassage des ananas, Le retour de la chasse, et La collation, dans des tons rouge et or. Celle d’Aubusson, plus verte, est consacrée à la cérémonie du thé. Deux petites toiles de Boucher, La danse chinoise et Le jardin chinois (1742), sont des projets de tapisseries. Elles ravissent, moins la première, confuse dans son inachèvement, que la deuxième : les frondaisons exotiques bleutées, sur lesquelles se détache un arbre au feuillage rose, servent de décor à un groupe de personnages aux poses délicates, servies par des harmonies tout aussi raffinées : costumes blancs ou rouge rosé. On regrette que les chinoiseries de Boucher ne soient pas plus représentées – par sa renommée il contribua à en répandre la mode –, et, à défaut des peintures murales, les tableaux d’une manière générale. La vaisselle, dans cette exposition, est envahissante.<o:p></o:p>
Cependant le peintre Jean-Baptiste Pillement (1728-1808) est représenté par deux grandes huiles décoratives formant pendants, où certains des motifs qu’il avait rassemblés dans A new Book of Chinese Ornaments publiés à Londres en 1755 sont réutilisés. Le groupe de musiciens et la scène de culte présentent la même composition : un arbre effilé s’élève de chaque côté de la scène principale cantonnée dans le tiers inférieur, tandis qu’un médaillon en arrière-plan couronne la scène. Le fond est dans des nuances de crème jaune de Naples, bleu céruléen, avec des transitions de verts et de gris. Ces grandes toiles témoignent de l’habileté de l’artiste et, d’une manière plus générale, de la grâce des chinoiseries.<o:p></o:p>
Samuel<o:p></o:p>
Pagodes et dragons, exotisme et fantaisie dans l’Europe rococo,
jusqu’au 24 juin, Musée Cernuschi (8e)
illustration : Bannette, musée de Saumur © Chr. Petiteau-Montevidéo<o:p></o:p>
Tags : chinoiseries
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