• Rodin et Matisse

    Au musée Rodin

    Rodin ou Matisse

    Présent du 7 novembre 2009

    En 1899, Matisse a trente ans, il peint depuis une petite dizaine d’années et s’essaye à la sculpture en s’inspirant d’un jaguar de Barye. Il fréquente l’atelier de Cormon, l’académie Camillo où corrige Carrière, la Grande Chaumière où corrige Bourdelle. Il achète au marchand Vollard une toile de Cézanne, une de Gauguin ; un dessin de Van Gogh ; le buste de Rochefort par Rodin. Que des bons maîtres, Barye inclus. Cette année-là, Rodin fait sa première exposition individuelle. Il a cinquante-huit ans.

    L’année suivante Matisse se présente chez Rodin, dont la gloire se lève, pour lui montrer ses dessins. L’avis du maître est plutôt frais. Est-ce l’artiste arrivé qui juge le débutant ? Cela ne ressemble pas à Rodin, qu’on sait accueillant et bienveillant. Cela n’empêche pas la franchise. Il lui conseille de pousser plus ses dessins, de les pignocher, mot de l’argot des peintres. Il ne l’incite pas à un rendu plus académique mais à ne pas se satisfaire d’une forme approximative. Face à face, les dessins de l’un et l’autre sont aussi révélateurs que deux écritures pour un graphologue qui ne se laisse pas prendre à une ressemblance générale mais distingue dans l’une une tension, dans l’autre une mollesse. Rodin est toujours bon, Matisse est rarement juste. Seuls ses dessins plus travaillés approchent le volume (Nu renversé au grand feuillage, 1936), l’estompe au fusain pallie la faiblesse du trait.

    Au fond Rodin a lu dans les dessins de Matisse ce que son œuvre ultérieure confirme, une impossibilité foncière à saisir la forme. Echaudé, Matisse ne s’y refrottera pas. Cependant comme tout sculpteur à cette période Matisse subit l’emprise de Rodin. Le Serf, auquel il travaille de 1901 à 1903, œuvre la plus ambitieuse et la plus aboutie de Matisse, doit beaucoup à L’homme qui marche, à certains Balzac, et, à l’origine, à l’un des bourgeois de Calais (Jean d’Aire nu). Mais les bras du plâtre ayant été cassés, l’artiste l’ampute radicalement suivant l’exemple de Rodin.

    A côté de ce Serf, indéniablement réussi, de bronzes heureux comme les premiers bustes de Jeannette (1911), comme le Grand nu assis des années 1920, les nombreuses sculptures de Matisse, soit une trentaine de bronzes, sont faibles et ne se relèvent guère de leur confrontation avec celles de Rodin. La moindre des œuvres de Rodin, écrivait Daniel-Rops en 1941, « est chargée d’intention ». C’est vrai pour les dessins et, ajoutait-il, « combien plus vrai encore pour l’œuvre sculptée où la moindre surface, le plus petit modelé obéit à toutes sortes d’intentions, mystérieuse et complexe dans sa simplicité comme est la forme même de notre être. » Chaque nu de Rodin est une idée, alimentée par la vue des formes humaines – pour reprendre les termes de l’artiste. Le modèle est digéré. Rien de tel chez Matisse, dont les nus sentent toujours le modèle. Matisse croit passer du corps à l’idée en maltraitant la forme. C’est en cela qu’il est « moderne », c'est-à-dire – au mieux – du XXe siècle. Sous prétexte de « simplifier » la forme, il l’appauvrit, la vide de sa substance. La démonstration est claire avec les quatre grands reliefs du nu vu de dos. Le relief originel date de 1909. Il en retouche des tirages en 1913, 1916 et 1930. Il aboutit à un relief en bronze qui est si triste du point de vue de la forme qu’on voudrait le couler en béton.

    La grande toile de La Danse (3,9 x 2,6 m) est un des chefs-d’œuvre de Matisse (1909-1910). Ce thème lui était cher, il le traita à nouveau pour le Docteur Barnes, puis composa encore diverses « Danses de Paris » en version ocre, en version bleue. Il exécuta les décors et les costumes d’Etrange Farandole (Les Ballets russes, 1938). Ce thème n’a pas été moins cher à Rodin, dont on croit tout connaître, mais dont le musée, ou plus exactement ses réserves regorgent de trésors comme ces œuvrettes qui tiennent chacune dans une boîte à chaussures et éblouissent : sept statuettes de danseuses (illustration). Les musiques et les danses exotiques révélées par les Expositions universelles ont touché les artistes. Erik Satie compose la 5e Gnossienne après y avoir entendu les musiques roumaines et hongroises, tandis que Debussy est touché par les accents balinais. Rodin, par ailleurs ami d’Isadora Duncan, étudie les danseuses javanaises en 1889, cambodgiennes en 1906. En 1912, les Ballets russes remuent Paris, il s’intéresse à Nijinsky, dont il modèle un mouvement plutôt sportif. Mais les statuettes féminines ne sont pas les dionysiaques personnages du Sacre du Printemps : d’apolliniennes figures. Il faut une drôle de pénétration artistique pour capturer ainsi le mouvement sans gesticulation, uniquement par la tension de la forme. Ici plus qu’ailleurs le fossé entre les deux sculpteurs est profond.

    Samuel

    Matisse & Rodin. Jusqu’au 28 février 2009, Musée Rodin.

    illustration : Rodin, Mouvement de danse, 1911 © Musée Rodin / C. Baraja


    Voir également

     

    Tags Tags : , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :