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Sagesse de Larbaud, par Georges Laffly
Larbaud fut l'homme le plus reconnaissant pour ce que le monde nous donne; appliqué, sensible, soucieux d'entretenir et d'embellir ce domaine viager qu'est la Terre, de redonner vie aux bourgs ou aussi bien aux livres laissés dans l'ombre. Pour lui, tout est précieux de ce que nous recevons de la nature et de la civilisation. S'il y a quelque laideur, elle est de l'homme, le plus souvent de l'homme moderne, et il est alors impitoyable. On lit au début d'Allen, voyage en Bourbonnais, son pays natal : « Moi aussi, j'aime les villes endormies. Mais quand je les vois, l'envie me vient de les réveiller. J'ai la manie de remonter les pendules, de les remettre à l'heure, de ranger les choses qui traînent, de faire reluire ce qui est terni, d'éclairer ce qu'on a obscurci, de réparer et nettoyer les vieux jouets de la civilisation relégués dans les combles. »<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>
C'est lui qui « a essayé de planter des lis entre de grosses pierres dans le terrain vague grand comme la main qui était naguère encore à la fine pointe des jardins de la Cité. » Ce n'est pas un autre élan qui l'anime quand il présente, ranime, les uvres de Jean de Lingendes ou de Dondey de Sainteny, quand il attire l'attention sur les Odes sacrées de Racan. Toute son oeuvre critique vise ainsi à faire reconnaître ce que la négligence et l'ignorance laissait à l'écart. « Et sans cesse occupé des grands noms de ma race » (Bajazet) est l'épigraphe de Domaine français. On admire à juste titre son rôle de découvreur : il traduisit Joyce, Faulkner et fit connaître Gomez de la Serna. Mais ce qu'il fit pour Scève, pour Perrot d'Ablancourt, et les années passées à traduire Samuel Butler, comptait plus à ses yeux. Le vrai public est celui qui ne s'arrête pas aux modernes, aux vitrines remplies des nouveautés de la semaine.<o:p></o:p>
Il aimait « qu'on ait l'admiration un peu facile ». On croit l'entendre lui-même quand un de ses personnages, Marie des Neiges (et, donnant ce nom, il pense à Sainte-Marie majeure, à Rome, qui est sainte Marie des Neiges) déclare : « Je voudrais voir mettre au rang des vertus, ou des dons du Saint-Esprit, l'Attention. Car à chaque instant nous rebutons ce qui aurait contribué à notre bien, et nous donnons notre assentiment aux rebuts que nous voyons faire, favorisant ainsi la sottise et la barbarie. » (Aux couleurs de Rome) Cette attention précise à la couleur du ciel, à la démarche d'une femme, à une rue, est la marque de sa prose où chaque mot, chaque tour sont choisis avec une science et un scrupule dont on est comblé. Il connaissait son métier, son outil. « Les mots français ont un aspect solide, un peu lourd, mais sérieux, de grand luxe, et avec un grand air d'Europe » dit-il dans A.O.Barnabooth. C'est une bonne définition de son style. Et il faut voir avec quelle gourmandise il évoque, au début de Devoirs de vacances, les instruments de l'étude : « Nous avions acheté du beau papier pour les mettre au net, et des plumes (une boîte entière), et une règle et une grosse gomme à effacer, douce et sympathique... » Le travail est aussi un plaisir et un jeu. Il n'a jamais dédaigné les jeux, cet amateur de soldats de plomb, si attentif à l'exactitude des uniformes et de leurs divers attributs. S'il aimait les rubans de décoration, c'était pour en faire des signets : « ...j'ai pour servir de signets à mes livres italiens ou d'histoire romaine, des rubans à ces couleurs [or et pourpre, celles de Rome] (ils sont plus beaux, plus épais, plus moirés que jamais depuis "la marche sur Rome" de 1922 et la création de la médaille commémorative de cet événement : c'est le ruban de cette médaille qui me les fournit) ». N'a-t-on pas envie d'applaudir à ce détournement érudit d'un symbole politique ? La part du jeu est grande chez Larbaud, et il savait qu'il s'agit d'une activité sérieuse. Comme souvent les enfants uniques, il avait joué seul. Il aimait à considérer sa propriété bourbonnaise comme un État, « l'État libre du Hvalbar ». Il note dans son journal en 1934 qu'il a bien administré l'État. Il a droit à une récompense. « Je me suis promu officier de 2° classe de l'Étoile du Hvalbar et dès mon retour à Paris je ferai modifier en conséquence mon insigne. »<o:p></o:p>
Cette attention aux petites comme aux grandes choses porte un nom qu'il ne faut pas hésiter à lui donner. Elle est une forme de la piété. Le souci d'entretenir et de restaurer les paysages et les villes, de rappeler à la vie des oeuvres oubliées, c'est bien une forme temporelle de la piété : manifestation de respect, de reconnaissance, d'amour. On pourrait citer chaque page de ses livres en exemple. Sa légende le dit cosmopolite. On peut accepter le terme, à condition de préciser le sens. C'est vrai qu'il n'aimait pas les frontières les frontières nationales car il était plus sensible à celles des provinces, à celle en particulier qui délimitait son Bourbonnais. Mais si le cosmopolitisme consiste à n'être attaché nulle part, et en somme à circuler sans amour autour du globe sans quitter les Hilton et les Mac Do, ce n'était pas du tout son affaire. Il était partout chez lui en Europe, de Kharkov à Lisbonne et d'Edimbourg à Tarente, et bien sûr à Moulins et à Paris, mais il était le contraire d'un homme de nulle part. Et quand il date un poème de la Californie, il s'agit d'un quartier de Cannes. Il a connu le Peyrou, à Montpellier, son temple et sa statue de Louis XIV, pas le Pérou. C'est Barnabooth qui est de Campamento (Amérique du Sud), lui est de Valbois, et il tient à ses ducs.<o:p></o:p>
Piété naturelle aussi, le besoin de reconnaître et de célébrer les grâces reçues. Il dit, comme Saint-John Perse : « Oh, j'ai lieu de louer! » En mai 1917, il vit à San Vicente, près d'Alicante. Il vient de recevoir un poème nouveau, la Jeune Parque; enthousiaste, il écrit: « Je suis toujours envoûté par le poème de Valéry et, aussitôt réveillé, je me mets à le réciter à voix haute. Il m'apporte le bonheur, la paix de l'esprit et même la force physique. » Ce n'est pas façon de parler, on peut le croire quand à quelque temps de là, il note qu'il est dans une de ces périodes où il n'a « de lien avec la vie matérielle que par la souffrance physique ». La note se termine d'ailleurs ainsi : « Mais quoi qu'il en soit, je me sens très heureux; et la souffrance physique rend mon bonheur parfait. » (il sait le bon usage des maladies, pour parler comme Pascal). [...]
<o:p>Lisez l'intégralité du texte de Georges Laffly dans lovendrin n°6.</o:p>
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