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Severini (Gino)
Au musée de l’Orangerie
Présent du 18 juin 2011
Gino Severini (1883-1966) a nagé – au fil de l’eau, comme certaines bêtes – dans divers courants du fleuve post-impressionniste : il a connu les gouttelettes du divisionnisme, et son affluent le divisionnisme scientifique, les chutes du futurisme, le ruisselet du réalisme idéiste, les larges rives du cubisme synthétique et du cubo-futurisme, avant de patauger dans le néo-classique à tendance néo-divisionniste. Comment aurait-il eu le temps d’être peintre ?
Initié en 1902 au divisionnisme, qui est un pointillisme à revendication scientifique, et voulant mieux connaître Seurat, il vient à Paris. C’est en tant qu’introducteur en France du futurisme qu’il perce, en 1912.
Le futurisme éclot en Italie quelques années auparavant, pondu par Marinetti. Il revendique une peinture dynamique, la modernité ayant mis en branle les machines et décuplé le mouvement mécanique. L’esthétique de la violence implacable de la bielle devient la référence.
Rien du futurisme n’échappe à Apollinaire, qui suit avec attention le développement des idées picturales de son époque : ni la jactance des manifestes qui tombent dru, comme il arrivera au temps du surréalisme, ni l’insolence qui n’en a pas qu’après l’académisme mais toutes choses : jusqu’au cubisme, que les futuristes ne reconnaissent pas mais dont ils subissent malgré tout l’influence. D’ailleurs, pour le poète, le futurisme est une imitation des fauves et des cubistes. Il note que Severini est influencé par Van Dongen (cf. Présent du 28 mai), dont certaines peintures essayent de rendre le mouvement (de danses, de manèges), ce que Severini tente de réaliser avec La Danse du pan-pan au Monico, toile à succès en 1912. Le Monico était un dancing de Pigalle et le pan-pan, peut-être, une danse dans le goût de la Mattchiche.
« En réalité, remarque Apollinaire, les peintres futuristes ont eu jusqu’ici plus d’idées philosophiques que d’idées plastiques. » Vu que « la nature ne les intéresse pas », c’est à des idées qu’ils demandent des formes. Tout l’intellectualisme du XXe siècle est là. « Parmi les propositions du manifeste des peintres futuristes, il n’y en a pas qui ait paru plus sotte que celle-ci : “Nous exigeons, pour dix ans, la suppression totale du nu en peinture.” » Quoi de moins humain que cette interdiction et que son objet ? (En matière d’oukases littéraires et artistiques, les surréalistes seront, là encore, des suiveurs.)
Danseuses, tramways : le rendu du mouvement se traduit par des effets kaléidoscopiques dans les années 1912-1915. Des titres se posent comme des équations : Danseuse + Mer + Voile = Bouquet de fleurs. Voilà qui ne sent ni la mer, ni la danseuse, mais le biscornu. D’autres titres ne cachent pas leur prétention : Expansion sphérique de la lumière centripède et centrifuge et Expansion de la lumière (centrifuge et centripède). (Ce « centripède » est un barbarisme et ne désigne en aucun cas, façon Luc Ferry, un ancien ministre français.) Quand un titre prend cette allure, on sait qu’aucune peinture ne survit.
Les futuristes aimant la modernité, ils aiment la guerre moderne, broyeuse. Marinetti suggère à Severini de s’en inspirer. (Fernand Léger aura la « révélation » d’une esthétique moderne durant la guerre, feu et acier.) Il peint au début de la Première quelques toiles intéressantes, Train blindé en action et Canons en action (illustration), typique du lettrage de l’époque, écho aux calligrammes d’Apollinaire.
En 1916, Severini devient cubiste. Ses natures mortes ont de belles harmonies, sourdes, plus à la Juan Gris qu’à la Pablo Picasso. Il avait déjà, les années précédentes, inclus des collages, des inscriptions, dans ses tableaux : ainsi du portrait de Paul Fort (« Prince des Poètes » oublié de nos jours, dont Severini avait épousé la fille en 1913). Avec le goût cubiste pour la géométrie, Severini se lance dans de savantes et stériles recherches sur les tracés harmoniques et le nombre d’Or. Il redevient figuratif, développe un sens décoratif certain. Il peint des panneaux pour la maison du marchand d’art Léonce Rosenberg, lequel ignorait qu’un jour le second mari de sa petite-nièce serait présumé innocent dans une histoire de viol new-yorkais.
Severini a-t-il été fasciste ? L’exposition ne clamant pas haut et fort, ni mezzo voce, qu’il ne l’a pas été, on peut s’interroger. Les futuristes ont eu tendance à le devenir. On se contentera de la perspicacité de Nicole Tamburini, dans La Tribune de l’Art, qui a vu, dans les gris et les bruns de tableaux des années trente, des couleurs qui « trahissent les sombres heures de la montée du fascisme ».
Plus sérieusement, signalons la publication de la correspondance Severini-Maritain, deux centaines de lettres de 1923 à 1966.
Samuel
Gino Severini, futuriste et néoclassique.
Jusqu’au 25 juillet 2011, Musée national de l’Orangerie.
illustration : Gino Severini, Canons en action (Mots en liberté et formes), 1915© Archivio Fotografico Mart © ADAGP, Paris 2011
Tags : severini, peinture xxe, futurisme
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