• Soutine (Chaïm)

    A la Pinacothèque de Paris<o:p></o:p>

    Chaïm Soutine

    (1893-1943)<o:p></o:p>

    Présent du 19 janvier 08<o:p></o:p>

    « Encore aujourd’hui il ne reste de Soutine que l’image du juif émigré sur qui pèse tous les interdits d’une religion trop contraignante et dont le physique se prête à tous les clichés antisémites. [?] Il est temps qu’une exposition rende hommage à ce grand artiste en mettant fin à tous ces clichés d’un autre âge. » Phrase tirée du communiqué de presse, et qui en est un, de cliché. Quand, au bout d’une filandreuse dissertation, il est conclu que la peinture de Soutine n’est ni juive ni judaïque, on s’interroge : faut-il, en matière d’histoire de l’art, en revenir aux délires d’Elie Faure ?<o:p></o:p>

    « La légende de Soutine est une mise en scène volontaire », écrit Marc Restellini, qui, avec la collaboration de J. Munck, S. Krebs et I. Goldberg, est à l’initiative de cette importante rétrospective (quatre-vingts toiles). « Intelligence, perversion, timidité, mal de vivre ou instinct de survie ? Peut-être un peu de chaque. » Peut-être, également, l’ambiance de l’époque ? Il y a dans l’esprit du Montparnasse de ces années-là quelque chose d’indéniablement frelaté qui empêche de se sentir pleinement en confiance. Si l’Ecole de Paris a compté des artistes dont la vie a réellement pâti de leur engagement artistique, tel Modigliani, elle en a compté d’autres, comme son ami Soutine, qui ont en partie pris la pose. <o:p></o:p>

    Non que sa jeunesse pauvre près de Minsk n’ait été difficile, non que ses premières années à Paris, après des études d’art à Vilnius, où il rencontra Kikoïne et Krémègne, deux noms moindres de l’Ecole de Paris, n’aient été des années de misère souvent ; mais dès 1923 – il a trente ans – jusqu’à sa mort en 1943, il vécut dans l’aisance grâce au Dr Barnes, le collectionneur américain, et aux marchands qui assurèrent successivement son bien-être. Il passa très bien la crise de 29 qui le privait pourtant de la clientèle américaine ; ne manqua pas de protections quand, en pleine occupation, il lui fallut revenir à Paris se faire opérer.<o:p></o:p>

    Appartenir à l’Ecole de Paris définit si peu un style que Soutine est parfois classé parmi les expressionnistes. Il l’est à sa manière, c’est-à-dire à part : il n’y a chez lui aucune des ordinaires revendications révolutionnaires qui furent celles des artistes des mouvements Die Brücke, Der blaue Reiter. Nul message dans la peinture de Soutine : il peint ce qu’il a face à lui. Les genres traditionnels (natures mortes, paysages, portraits) lui ont suffi.<o:p></o:p>

    Les paysages, toujours composés de guingois, forment la manière typique, identifiable, de Soutine. Les toiles du Midi cultivent cette manière (Vue de Céret, Mistral). On dirait d’un Van Gogh qui ne serait pas suicidé en 1890 et qui peindrait encore en 1920 tandis que sa folie aurait suivi son cours… Certaines toiles semblent d’ailleurs des reprises directes de Van Gogh : Les grands arbres bleus, ou Les platanes à Céret ; coïncidence des paysages, et un peu plus ; mais chez Soutine l’horizon bascule totalement. La touche est presque toujours empâtée, manière grasse, qui semble par sa lourdeur écraser la composition, contribuer à l’effondrement de lignes déjà sapées. La touche ne contribue à la compréhension de la forme ; elle la brouillerait plutôt. Cependant à la fin de sa vie les compositions s’apaisent. La façade de la cathédrale de Chartres (1933), référence à Corot, est bien assise.<o:p></o:p>

    Les figures de Soutine des débuts sont mâtinées de Modigliani. Puis elles subissent la violence des paysages, rappellent Munch, annoncent Bacon ; enfin, suivant l’évolution constatée dans les paysages, elles s’apaisent. Du portrait de La folle (ill.) à celui de La jeune polonaise, en bleu et rose, on passe de l’effroi à la rêverie. Soutine a aimé peindre des séries de personnages des petits métiers posant dans leurs costumes : La cuisinière au tablier bleu ; des apprentis pâtissiers, des valets de chambre, des garçons d’étage ; L’enfant de chœur assis, ou debout.<o:p></o:p>

    Les natures mortes des années 1915-1920 comptent parmi ses toiles les plus réussies : aux harengs, à la lampe, à la table ronde. Elles ont presque toujours la stabilité qui fait défaut aux paysages. D’un vase s’élancent des glaïeuls rouges comme des serpents. Des allusions témoignent de ses admirations : une raie renvoie à Chardin, une pièce de bœuf à l’étal, à Rembrandt. Nature morte aux harengs, découpée en noirs, gris et ocre, annoncent les animaux qu’il peindra plus tard (faisans, lapins, lièvres) : tous la tête en bas, occupant la verticalité du tableau, qu’ils soient pendus par les pattes ou étendus sur la table mais vus par au-dessus. On songe aux truites de Courbet. C’est, sans grandiloquence, le mystère de la mort présenté sous l’apparence d’un gibier ou d’une volaille.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Soutine,

    jusqu’au 2 mars, Pinacothèque de Paris<o:p></o:p>

    illustration : La Folle, c 1919, Coll. privée © ADAGP, Paris 2007<o:p></o:p>


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