• Tissages de gloire

    Aux Gobelins<o:p></o:p>

    Louis & Alexandre<o:p></o:p>

    Présent du 4 octobre 08<o:p></o:p>

    Ils ne sont pas nombreux à avoir été « le grand ». Aussi est-il normal qu’au-delà des siècles – des millénaires –, ils aient constitué à partir de cet adjectif substantivé un club où les benjamins revendiquent l’héritage moral et militaire des aînés. Alexandre, ayant pour lui l’Antiquité et la jeunesse, un empire oriental et un trépas babylonien, constituait aux yeux de Louis XIV un alter ego plus éclatant que Charlemagne. Quel meilleur exemple qu’un conquérant qui tenait Darius en respect, lui répondant avant même de l’avoir vaincu : « Du reste, quand tu m’écriras, souviens-toi que tu écris à un roi, et, qui plus est, à ton roi. » (Quinte-Curce)<o:p></o:p>

    Voltaire d’ailleurs, autre Quinte-Curce (plus critique mais pas moins subjectif), rapproche le siècle d’Alexandre et celui de Louis comme deux des quatre siècles, pas plus, « où les arts ont été perfectionnés, et qui, servant d’époque à la grandeur de l’esprit humain, sont l’exemples de la postérité. » <o:p></o:p>

    La manufacture des Gobelins, fondée par Louis XIV et Colbert en 1662, se devait de concourir à la grandeur du règne, et par la diffusion des images de cette grandeur, et par leur qualité même. Premier directeur en date, l’incontournable Charles Le Brun à qui on doit les cartons de la monumentale Histoire d’Alexandre (1660-1673 – illustration). Les tapisseries de l’Histoire du Roi sont le fruit de sa collaboration avec Adam-Franz Van der Meulen (« peintre des conquêtes du roi » depuis 1665). Au nombre de quatorze, elles fixent des événements allant du sacre (1654) à la prise de Dôle (1668).<o:p></o:p>

    Van der Meulen réalisa également au début des années 1680, aidé de François Bonnemer, quatre peintures sur soie ayant trait au passage du Rhin (juin 1672), événement phare de la guerre de Hollande, qui avait son répondant dans le franchissement, par Alexandre, du Granique qui lui ouvrit l’Asie mineure. Le passage du Rhin fut chanté comme un haut fait, il faut probablement en rabattre un peu. Les peintures représentent les pontonniers, ou Condé à la tête de la cavalerie, elles sont inférieures au « Passage du Granique » composé par Le Brun. Différence de talent ? Pas seulement, car Le Brun n’est pas plus à l’aise que Van der Meulen lors de leur collaboration à l’Histoire du Roi. On y retrouve les mêmes soldats gauches, figés. C’est qu’autant l’histoire antique permet l’inventivité autant l’actualité est rétive à l’adaptation artistique. Prisonniers de l’exactitude des paysages (Van der Meulen a scrupuleusement pris note des lieux), des costumes militaires, de l’organisation de l’armée, les artistes ne trouvent pas le ton héroïque.<o:p></o:p>

    Même lorsque la tapisserie rend compte du sang-froid du Roi au siège de Douai au moment où un boulet tue le cheval du garde qui se tient à ses côtés, ou de son courage quand, au siège de Tournai, il descend dans les tranchées contre l’avis de Turenne, la scène n’évoque ni l’un ni l’autre. Le peu d’allant de la composition trahit le manque d’aisance à transcrire en style noble une réalité trop proche – la guerre de Dévolution.<o:p></o:p>

    Du point de vue de la glorification des royales qualités, une fois admis le parallèle implicite entre l’empereur grec et le monarque chrétien, l’Histoire d’Alexandre est plus parlante. Le passage du Granique et la bataille d’Arbèles manifestent l’esprit guerrier et l’intelligence tactique, le premier acte de la guerre contre Darius (334 av. J. C.) et la victoire finale (331 av. J. C.) que suit « Le triomphe dans Babylone » ; les armures, les éléphants, les glaives, le corps à corps au milieu duquel le chef combat en personne, surtout quand tous ces éléments sont mis en scène par Le Brun avec maestria – et malgré la décoloration de certaines laines qui accroît désormais la confusion –, en disent plus qu’un élégant monarque dans une tranchée, si digne fût-il.<o:p></o:p>

    « Poros blessé » montre la magnanimité du roi, après la bataille de l’Hydaspe (326 av. J. C.), lorsque Alexandre, vainqueur de Poros, le maintient sur son trône de souverain local en hommage au courage dont il a fait preuve au combat – magnanimité qui allait de pair avec l’intention politique puisqu’il s’assurait ainsi un vassal dans une région peu sûre. « Je sais en même temps vaincre et respecter le malheur des vaincus », fait dire ailleurs à Alexandre son historien latin (et vincere et consulere victis scio).<o:p></o:p>

    Les tapisseries sont accompagnées de superbes bureaux d’époque, de dessins préparatoires et de gravures, d’un tapis dessiné par Le Brun pour le Louvre (1678), de vases, de topiaires rappelant les jardins de Versailles. Dès maintenant et dans les mois à venir, c’est aux Gobelins qu’il faut aller pour jouir du Grand Siècle sans kooneries adventices.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Alexandre et Louis XIV, Tissages de gloire, <o:p></o:p>

    jusqu’au 1er mars 09, Manufacture des Gobelins,<o:p></o:p>

    Illustration : La famille de Darius aux pieds d’Alexandre, d’après Charles Le Brun (photo Ph. Sébert)<o:p></o:p>


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