• Valadon & Utrillo

    A la Pinacothèque de Paris

    Valadon & Utrillo

    Présent du 27 juin 09

    Les Lippi, père et fils, au musée du Luxembourg ; les Valadon, mère et fils, à la Pinacothèque de Paris. On n’est pas montmartrois comme on fut florentin : leurs vies, hautes en couleurs, furent aussi relativement sordides.

    Suzanne Valadon (1865-1938) posa pour Renoir, Steinlein, Puvis de Chavannes, Toulouse-Lautrec. Comme le père Lippi, elle mena une vie débridée. Son fils Maurice naît en 1883, il est reconnu en 1891 par le peintre Miguel Utrillo. Elle est la maîtresse d’Erik Satie quelques mois en 1893. Elle laisse un portrait du jeune compositeur, et lui la dessine sur une partition, à la plume, dans un style médiéval. (Erik Satie ne se remit jamais de cette liaison orageuse pendant laquelle il composa les Danses gothiques pour la tranquillité de mon âme.) Elle épouse Paul Mousis, agent de change, en 1896, et en divorce en 1909 après avoir rencontré André Utter, peintre et camarade de son fils.

    Des troubles nerveux puis la boisson lancent Maurice Utrillo (1883-1955), dès sa majorité, dans le cycle des hospitalisations, internements, cures. Utrillo survit, coincé entre une mère que l’alcoolisme filial a rendue enfin protectrice et un ami devenu son beau-père : Suzanne a épousé Utter en 1914. Vingt ans après, abandonnée par Utter, Suzanne marie Maurice à la veuve d’un banquier belge – est-ce assez rocambolesque.

    Les premiers pas artistiques de S. Valadon sont d’une dessinatrice. L’influence d’Edgar Degas, qui parraina la jeune femme, se fait sentir dans une étude de danseuses au pastel, mais aussi dans les nombreux nus « à la toilette », sans effacer le caractère propre, et fort, du talent de l’ancienne modèle.

    Les années passant, la peinture à l’huile l’occupe exclusivement. L’après-guerre est productif, mais irrégulier. Elle se perd dans les paysages, dont tous les détails l’accaparent. Ses grands nus, posés dans un décor anecdotique, manquent de hauteur. La Mulâtresse nue tenant une pomme  est inspirée de Gauguin, mais, vulgaire, s’apprête à lancer le fruit. André Utter et ses chiens (1932) est une toile fausse, médiocre, mais révélatrice : le jeune homme au visage émacié est devenu un petit cochon rose replet et satisfait. Il a abandonné la peinture depuis longtemps mais couche avec les modèles de son épouse.

    Dans deux autoportraits, eux magnifiques, S. Valadon avoue sa lassitude : elle est empâtée, fatiguée (1927, illustration), puis pose franchement, abîmée, les seins nus (1931). C’est une portraitiste, elle est elle-même en peignant les visages : son fils « à la palette » ou « au chevalet », les femmes jeunes ou mûres. De nombreuses études de fleurs, sensibles, légères, jalonnent sa carrière, ainsi que quelques natures mortes – il y a un lièvre remarquable.

    Le talent d’Utrillo est irrégulier aussi : tantôt mesquin, tantôt laborieux, tantôt excellent : la rue Norvins, la place de l’église à Montmagny, Le marchand de couleurs à Saint-Ouen, avec au fond deux immeubles isolés dans le ciel, silhouettes si typiquement parisiennes. Si le gris est la couleur qui vient à l’idée quand on parle d’Utrillo, il y a aussi des paysages de neige urbaine (Vue de Pontoise, 1913 ; Derrière la maison de Mimi Pinson, 1912, derrière cette vieille maison accroupie, on le devine, c’est Paris dans l’abîme). Parfois, c’est comme si quelqu’un avait allumé la lumière (Rue Marcadet à Montmartre, 1911).

    Utrillo peignit en extérieur mais aussi d’après photos : son horizon est intérieur. Il excelle à estomper les façades dans les lointains, à faire fuir le paysage : il a besoin de s’évader autant que Valadon a besoin de se focaliser sur un sujet cadré serré. Mais il manque à tous deux la maturité qui fait qu’un peintre ne donne sa pleine mesure que bien après l’âge d’une retraite qu’il n’a pas prise. L’alcool a entravé l’épanouissement des dons de Maurice Utrillo.

    En portant ce jugement mitigé, je crains d’encourir celui, entier, du conservateur M. Restellini qui dans le catalogue reproche à la société bourgeoise andronormée de n’avoir reconnu qu’avec réticence le talent d’une femme du peuple et celui de son fils alcoolique. Il regrette la lenteur de l’évolution de la situation féminine au XIXe, même si « la Révolution française a reconnu la femme comme individu ». (A relire da capo et ad libitum.) La HALDE n’existait pas encore ! pour défendre une veuve et un orphelin qui ont fait preuve de transgression, le mot est répété à l’envi : « Etonnante la transgression sociale et sexuelle de cette femme… » ( ?). M. Restellini en veut par ailleurs aux historiens de l’Ecole de Paris qui n’y auraient pas rangé Utrillo pour défaut de judéité – peut-on croire cela ?

    Samuel

    Valadon – Utrillo, Au tournant du siècle à Montmartre, De l’Impressionnisme à l’Ecole de Paris.

    Jusqu’au 15 septembre 2009, Pinacothèque de Paris,

    illustration : S. Valadon, Autoportrait, 1927. Collection Pétridès © Jean Fabris


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