• Au musée d’Orsay<o:p></o:p>

    L’Art nouveau d’A. Charpentier<o:p></o:p>

    Présent du 9 février 08<o:p></o:p>

    Alexandre Charpentier (1856-1909) est un artiste dont les histoires de l’Art nouveau ne mentionnent parfois pas le nom. Le musée d’Orsay expose de façon permanente une salle à manger, boiseries et meubles, créée par lui ; et, pour quelques mois, des sculptures et du mobilier.<o:p></o:p>

    L’Art nouveau est une réaction aux styles néo-quelque chose et composites, bâtards, dans lesquels le XIXe a stagné. Il peut prêter à sourire : la prolifération de courbes contournées et affectées est rapidement nauséeuse. C’est qu’on en juge d’après la période des suiveurs, quand le style était devenu recette. La période créative, exigeante, de l’Art nouveau s’étend sur une quinzaine d’années et culmine à l’Exposition universelle de 1900. Cette période écoulée, les artistes créateurs se retirent pour se libérer des courbes et leur postérité sera l’architecture des années vingt et trente.<o:p></o:p>

    A. Charpentier est sculpteur de formation, de veine naturaliste. Des bustes en terre cuite, sans surprise, font craindre un art sec. Son talent se déploie dans le bas-relief, le profil médaillé, art ingrat pourtant. Il a beaucoup portraituré ses jeunes enfants sous cette forme, avec bonheur.<o:p></o:p>

    La série de médailles la plus originale est celle des acteurs, auteurs et administrateurs du Théâtre libre (dit aussi Théâtre Antoine, du nom de son fondateur). Portraits enlevés, ils dépassent le naturalisme originel du sculpteur, tout comme les programmes et affiches qu’il dessina – la postérité a retenu ceux de ses confrères Vuillard, Signac ou Lautrec. Le Théâtre libre, d’abord voué à la représentation des pièces naturalistes, fut surtout une victoire sur l’ampoulé et le cabotinage ; des auteurs fort éloignés de l’école de Médan, voire opposés, Villiers de l’Isle l’Adam par exemple, y furent joués. Reste que les gens qui œuvrèrent dans ses coulisses et sur scène furent souvent des anarchistes puis des dreyfusards, à commencer par Charpentier dont deux médailles sont explicites : un hommage à Zola, et Prolétaires de tous les pays, etc. <o:p></o:p>

    Cependant l’Art nouveau, en inventant le design, en s’élevant contre la laideur de la production industrielle à destination des masses, en créant des objets, des meubles uniques ou à tirages limités, aboutissait à un art élitiste. Seuls des gens fortunés pouvaient commander l’ameublement et la décoration d’une salle de billard, d’une salle de bains luxueuse. On est loin des acquis sociaux et autres préoccupations « généreuses ».<o:p></o:p>

    Charpentier dessina des serrures, des encriers, des balayettes à miettes. Son premier meuble est une armoire à layette, dont il existe une version en sycomore et une en poirier. Elles sont ornées de bas-reliefs qui reprennent de ses sculptures, dont Jeune mère allaitant son enfant. <o:p></o:p>

    Le meuble le plus étonnant, car il fallait en avoir l’idée, est destiné à ranger les instruments d’un quatuor à cordes. Ils sont placés dans la partie centrale vitrée, laquelle est encadrée de casiers et d’étagères. Il est accompagné de deux remarquables pupitres (illustration – parfois décrits comme lampes !) en charme et bois de tamo. L’amour de la musique explique ce meuble. Charpentier était violoncelliste, suivait les concerts de Vincent d’Indy, Eugène Ysaÿe. Une amitié intime le liait à Debussy, qui lui dédia une pièce des Images pour piano.<o:p></o:p>

    Venons-en aux ensembles, créations ambitieuses. Peu ont résisté aux évolutions du goût : en matière d’ameublement, la mode est impitoyable. Les meubles de la salle de billard, commandés par le baron Vitta pour sa villa d’Evian-les-Bains (1898), sont sobres et de couleurs claires. Le billard lui-même, le porte-queues, la table et les sièges (dont une très belle banquette) prenaient place dans un décor réalisé par Jules Chéret pour les peintures des murs et plafonds, et Félix Bracquemond (lambris, console et miroir). Cette pièce connut une grande gloire, assurément méritée.<o:p></o:p>

    La salle à manger acquise par le musée en 1977 fut installée en 1901 dans la maison d’Adrien Bénard, à Champrosay (Essonne). Adrien Bénard était banquier et fut l’un des promoteurs du Métropolitain. Il manque les vingt-quatre chaises et le lustre, mais restent la table et l’essentiel : les lambris qui habillaient toute la pièce, dans lesquels s’intègrent dressoirs et vitrines. Le végétal est très présent, dans les motifs sculptés mais aussi dans les courbes, typiques de l’Art nouveau, qui sont autant de tiges de fleurs. Ici, elles ne sont pas envahissantes et c’est heureux car l’inclusion, dans l’architecture, de courbes autres que des segments de cercle constitue certainement le point faible de l’Art nouveau : l’œil ni l’esprit n’y trouvent leur compte.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    A. Charpentier – Naturalisme et Art Nouveau,<o:p></o:p>

    jusqu’au 13 avril, Musée d’Orsay<o:p></o:p>

    illustration : Pupitre à musique, musée des Arts décoratifs © Laurent Sully Jaulmes, D.R.<o:p></o:p>


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  • Au musée de l’Homme<o:p></o:p>

    L’Eve actuelle<o:p></o:p>

    Présent du 2 février 08<o:p></o:p>

    Titouan Lamazou (né en 1955 au Maroc) est connu du grand public pour sa carrière nautique : équipier de Tabarly, vainqueur du premier Vendée Globe (1990) et de la Route du Rhum (à consommer avec modération), fondateur avec Florence Arthaud du Trophée Jules Verne.<o:p></o:p>

    C’est comme artiste qu’il se fait un nom désormais. Ayant mis fin à sa carrière de navigateur en 1993, il est revenu à sa première passion, la peinture, qu’il a plus jeune étudiée aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. L’exposition « Femmes du monde » récapitule six années de voyages à travers la planète à dessiner et photographier des femmes, jeunes filles, grands-mères, coiffeuses, religieuses (illustration), danseuses, mères de famille… <o:p></o:p>

    L’œuvre est séduisante. Grands tirages photographiques, croquis au pinceau, gouaches sur papier, etc. : Titouan Lamazou maîtrise ses moyens techniques, pour un résultat souvent plus proche de l’illustration que de la peinture, ce qui en soi n’est pas un défaut mais donne à tous ses visages un caractère répétitif, malgré la diversité des types – écho très affaibli du travail des peintres orientalistes, des artistes des salons coloniaux (1881-1962), qui voyageaient en Afrique noire, au Maghreb, en Asie ; je pense en particulier à Charles Cordier, dont on admira les bustes en 2004 au musée d’Orsay. <o:p></o:p>

    Ce rapprochement sera-t-il du goût de Lamazou ? « Les légendes très succinctes ne font aucune allusion aux pays d’origine de mes modèles. Cela est délibéré de ma part et reflète ma défiance à l’égard de la notion de nation », explique T. Lamazou, qui souhaite présenter chacune de ces femmes « en dehors de son appartenance ethnique, confessionnelle et a fortiori nationale ». Discours convenu, et paradoxal puisque l’ensemble se veut un hymne à la diversité, laquelle est manifestement liée à des appartenances ethniques, confessionnelles et, pour une part difficile à mesurer mais certaine, nationales. <o:p></o:p>

    Les mécènes enfoncent lourdement le clou. Outre l’Unesco, France 5 ou Gallimard, le Musée de l’Homme loue cette manifestation « aux antipodes du refus de l’Autre », mais ces antipodes ne seraient-ils pas le refus de Soi ? La présence d’un mécène tel que L’Oréal semble le corroborer puisqu’on connaît la position de son président Jean-Paul Agon : « aujourd’hui, lorsque nous rencontrons un candidat qui a un prénom d’origine étrangère, il a plus de chance d’être recruté que celui qui porte un prénom français de souche. »<o:p></o:p>

    Titouan Lamazou est donc solidement arrimé à quelques bittes conformes aux normes européennes, ce qui surprend de la part d’un marin, que nous autres du plancher des vaches imaginons épris de liberté.<o:p></o:p>

    Cet hommage aux filles d’Eve, quoi qu’il en soit, est la preuve d’une bonne santé et fait plaisir à voir. Mais l’artiste ayant laissé les femmes dans leur décor quotidien, tout n’est pas que joie : leurs conditions de vie ne sont pas toujours roses.<o:p></o:p>

    Parfois, ab ovo, elles ont du mal à naître. L’Inde et la Chine connaissent des avortements massifs de fœtus féminins. Le déséquilibre créé est affolant : 40 millions d’Indiens et autant de Chinois ne trouveront pas d’épouses. Cela occasionne un commerce matrimonial : achat d’épouse préalablement enlevée, polyandrie… Il est de bon ton, en Occident post-chrétien, de s’émouvoir avec discrétion à ce sujet. Avortements décidés pour des raisons économiques par des couples aisés à qui l’échographie est accessible, ils ne sont qu’une variante de l’avortement de confort tel qu’il se pratique chez nous.<o:p></o:p>

    En Afrique noire, sur une bande Est-Ouest entre le 5e et le 20 parallèle nord et dans des proportions diverses suivant les pays, l’excision menace les fillettes. Titouan Lamazou aborde la question avec des schémas. C’est violent. L’excision se décline sur différents modes, le plus radical et le plus ignoble étant l’infibulation, qui consiste à coudre partiellement les grandes et petites lèvres. Pratique d’origine animiste, l’excision trouve dans les mentalités musulmanes un surcroît de justifications.<o:p></o:p>

    La France, du fait de ses racines animistes ? ne peut ignorer le problème : on estime à 60°000 sur notre territoire le nombre de filles déjà excisées ou menacées de l’être. Les spécialistes de la question, en général des médecins travaillant en PMI, sont peu entendus. Le plan typique consiste à déscolariser les filles en fin d’école primaire, à les envoyer « au pays » où elles sont excisées et mariées, et à les faire revenir en France à 16 ans, domestiquées et traumatisées. Citoyens du monde comme il se doit, vous et moi avons beau nous persuader de la parfaite égalité des pratiques culturelles de tout poil, notre balance interne nous signale de temps à autre un déséquilibre flagrant.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Zoé-Zoé – Femmes du monde, jusqu’au 30 mars, <o:p></o:p>

    Musée de l’Homme, Place du Trocadéro.<o:p></o:p>

    illustration : Rose-Mary © Titouan Lamazou<o:p></o:p>


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  • Nouveauté

    Xavier Martin

    Régénérer l'espèce humaine,

    Utopie médicale et Lumières (1750-1850), éditions DMM

    Programmer la refonte à long terme de "collections d'hommes prises en masse" pour les conformer à "un type parfait", ou en d'autres termes "s'emparer à l'avance des races futures et tracer le régime du genre humain": de source médicale, voilà le type de voeu assez peu anodin qu'on entendait en France autour de 1800.

    Il est de fait que l'esprit des Lumières, en voulant reconstruire le social à paritr de l'individuel, et en tendant parallèlement à réduire l'homme à l'organique, suggère clairement la compétence, en politique fondamentale, du "médecin philosophe". Certains auteurs de premier rang proclament nettement et justifient ce magistère.

    Le contexte révolutionnaire, en semblant rendre tout "possible", vient stimuler les imprudences réformatrices de cette nature, et d'autant plus que les déconvenues des premières années assoient la conviction, chez les théoriciens, d'une effective urgence de repétrir radicalement la pâte humaine pour l'adapter aux bons principes.

    Pour d'évidentes raisons techniques, ce type de dessein n'a dans l'immédiat aucune suite pratique. Mais la logique intellectuelle dont il procède, qu'amplifie le scientisme du XIXe siècle, donnera des fruits assez notoires dans certains totalitarismes du siècle suivant, et n'est sans doute guère étrangère aux fondements doctrinaux de la bioéthique contemporaine.

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