• Au musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    Jaune d’or, jaune d’œuf<o:p></o:p>

    Présent du 11 avril 2009<o:p></o:p>

    Diplomate, homme politique, Bernhard von Lindenau (1779-1854) a rédigé la constitution du duché de Saxe en 1831. Membre correspondant de l’Institut de France, il a pratiqué l’observation astronomique. Il a rassemblé une collection de Primitifs italiens qu’il a léguée à sa ville d’Altenbourg, « pour l’éducation de la jeunesse et le plaisir des anciens ». Des anciens, les visiteurs du musée Jacquemart-André le sont en majorité. La jeunesse a tort d’ignorer le plaisir élevé qu’offrent les Primitifs, à portée d’œil. « Un guide de l’Italie qui voudrait instruire à la délectation ne devrait comporter qu’un seul conseil : regarde ! », écrit Rilke dans son Journal florentin. <o:p></o:p>

    Divisée en école siennoise et école florentine (celle-ci moins représentée), l’exposition est remarquable ; on est allé quérir çà et là des éléments qui complètent ceux du musée Lindenau car les marchands, ces Ménades, en dépeçant les retables, ont inventé le puzzle auquel il manque des pièces. Ainsi, outre d’Altenbourg, les œuvres viennent d’Avignon, Bâle, Berlin, Naples, Paris, Parme, Rome, Utrecht. Elles sont toutes peintes sur panneau, à tempera : du bois, du jaune d’œuf, de l’or – les trois règnes, ad majorem dei gloriam.<o:p></o:p>

    L’école de Sienne<o:p></o:p>

    Le sac de Constantinople de 1204 a provoqué un afflux d’icônes en Italie, la manière grecque a stoppé net la peinture romane. Les panneaux de Guido Da Siena (fin XIIIe, scènes de la vie du Christ) sont peints sous influence byzantine. La Flagellation et la Crucifixion sont abîmées : les bourreaux ont été rayés, défigurés par un dévot qui aurait mieux consacré son énergie en apprenant la gravure. La Crucifixion présente une originalité : le Christ monte à l’échelle à l’invitation du bourreau juché sur un bras de la croix. « Un véritable hapax iconographique ! », s’exclame une dame. La Vierge à l’Enfant de Deodato di Orlando est encore une icône, celle de Lippo Memmi est gothique, elle a plus de souplesse, une merveilleuse draperie recouvre son siège (vers 1320, ill.). Une puissance étonnante émane de son saint Jean-Baptiste trônant et bénissant ; sa chevelure a de curieux épis qui lui prêtent l’apparence d’un être surhumain ou d’un coquillage exotique.<o:p></o:p>

    Les gothiques régionaux se fondent en un gothique international. Au XVe siècle, certains Siennois modèrent ce gothique sous l’influence des Florentins. Ainsi Sano di Pietro (cycle de la vie de la Vierge : le décor tend à acquérir une troisième dimension cohérente, l’or cède la place au bleu), ainsi Pietro di Giovanni d’Ambrogio, dont on retient une jolie scène tirée de la Légende dorée de saint Nicolas. Dans une grande chambre, le nouveau-né se dresse, les mains jointes, les pieds dans la bassine, à l’étonnement de sa mère et des servantes. « Le premier jour qu’il fut né, comme on le baignait, il se dressa dans son bain. » (Le jeune Nicolas eut aussi pour particularité de ne téter que les mercredis et vendredis). L’irruption du surnaturel se fait dans l’émerveillement domestique, avec simplicité. La scène résume la poésie siennoise, une délicatesse de ton, un amour pour son sujet. La ville de Sienne n’a-t-elle pas donné près de cinq cents saints et bienheureux à l’Eglise, et une couleur à la peinture ?<o:p></o:p>

    L’école de Florence<o:p></o:p>

    « Les anciens Italiens, note S. Butler dans un de ses carnets, savaient fort bien ce qu’ils aimaient, et s’y prenaient comme des enfants pour le dire. » A condition de préciser : enfants prodiges. Le triptyque de Bernardo Daddi (XIVe, Couronnement de la Vierge, Vierge en majesté, Crucifixion) est composé avec une grande science : les six compartiments forment un ensemble lisible, des repos sont ménagés pour l’œil. Giotto n’est pas loin, mais la finesse de la main, l’acuité de l’œil appartiennent en propre à B. Daddi, mort en 1348 lors de la Grande Peste. Une Cène d’Agnolo Gaddi se situe entre manière grecque et gothique. L’artiste a mis un soin particulier et naïf à représenter les gobelets, la nourriture disséminée sur la table. Au début du XVe siècle le gothique international est de mise à Florence. Lorenzo Monaco peint une Fuite en Egypte représentative de ce courant (mais le fond d’or disparaît là aussi). Tandis que Masaccio innove et prépare la Renaissance, Fra Angelico est à la croisée des chemins, avec trois beaux panneaux, saint Jérôme, saint Bernard, saint Roch. <o:p></o:p>

    Elève peut-être de Masaccio, influencé par Fra Angelico, voici Fra Filippo Lippi. Il ne correspond plus vraiment au type primitif. Nous le retrouverons samedi prochain (au Sénat) ; dans deux semaines nous explorerons le versant oriental de la question : les icônes du Mont-Athos (Petit Palais). Les musées parisiens s’accordent avec le temps liturgique.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    De Sienne à Florence, Les Primitifs italiens – La collection d’Altenbourg, <o:p></o:p>

    jusqu’au 21 juin 2009, Musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    illustration : Lippo Memmi, Vierge à l’enfant © Bernd Sinterhauf, Lindenau Museum, Altenburg, 2008<o:p></o:p>


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  • Au musée du Louvre<o:p></o:p>

    Le roman de la momie<o:p></o:p>

    Présent du 4 avril 2009<o:p></o:p>

    Le Louvre entrebâille les Portes du Ciel qui fermaient les chapelles privées et cachaient le dieu, et sont un aspect parmi d’autres des portes qui pour les Egyptiens de l’ancien monde séparaient les différents secteurs d’un univers ordonné. Exposition plus didactique qu’artistique, empruntant de belles œuvres à la haute époque, de moins fortes à la basse époque, quoique parmi ces dernières la fraîcheur ne soit pas absente.<o:p></o:p>

    C’est le cas de la stèle de la dame Tapéret (illustration), plaquette de bois fort modeste en comparaison des stèles de pierre, joliment peinte. Au recto, sous forme de fleurs colorées, les rayons de Ré-Horakhty, le soleil zénithal, réchauffent le visage de la défunte. Le sol, la voûte céleste, les lotus qui symbolisent le Nord et les lys le Sud (les deux Egypte) sont autant de repères. Au verso, le jour baisse, s’éteint, Dame Tapéret adresse ses prières à Atoum, le soleil couchant ; la déesse Nout forme cadre, elle qui avale le soleil le soir et lui donne naissance le matin, ce qui situe l’Ouest et l’Est. Pour la fidèle, la course du soleil est l’image de sa propre vie, et sa renaissance le gage de sa propre éternité. <o:p></o:p>

    L’immortalité a d’abord été le propre du Pharaon qui, en tant que dieu puisqu’il était un autre Ré, avait sa place post mortem à l’Est parmi les étoiles. Mais la dévotion à Osiris, dieu assassiné, démembré puis ressuscité après que son épouse Isis l’eut embaumé, cette dévotion en se répandant donna à chacun la possibilité de s’associer à son histoire et de prétendre à la vie dans l’au-delà. La « démocratisation » d’Osiris eut lieu vers -2000. <o:p></o:p>

    Où le soleil disparaît, là sont les portes de l’au-delà souterrain, le Bel Occident. Le plan des enfers peint sur le sarcophage permettait au défunt de trouver son chemin jusqu’à l’endroit où il proclamait sa droiture devant quarante-deux juges puis son âme était pesée devant Osiris. Son ka (énergie vitale) demeurait auprès d’Osiris, son ba (autre énergie), figurée sous la forme d’un oiseau à tête humaine, regagnait le corps momifié, devenu sanctuaire. La conservation du corps était indispensable, sinon l’âme du mort eut erré. Sur un coffret à viscères de l’époque ptolémaïque, on voit le ba du défunt adorer le soleil sous ses trois aspects. Autres conditions à la survie : la mémoire du nom. Il est inscrit sur la stèle, et rien que cela a pleine et entière force pour faire « vivre » le défunt ; mais l’aide de la famille et des passants est invoquée elle aussi, comme celle des anciens collègues (grande stèle de Mérou, calcaire peint, -1800). La nourriture reste un besoin fondamental : le guéridon, sur la stèle de dame Tapéret, est chargé de victuailles, les inscriptions demandent du pain, de la bière et de la viande pour l’éternité. <o:p></o:p>

    Les factures retrouvées donnent les tarifs pratiqués par l’artisanat funéraire. Les quatre vases canopes, utilisés lors de la momification pour recevoir les viscères, coûtent quinze jours de travail. Une statuette représentant le défunt, un mois ; on en voit de superbes en bois (-2200), mais aussi en pierre : Bak, chef des sculpteurs, en compagnie de son épouse Tahéry (14e siècle av J. C.). Ces représentations trouvaient place en général devant les « fausses portes », pierre symbolisant la chapelle funéraire, lieu de communication entre le mort et les siens.<o:p></o:p>

    L’objet le plus cher à déposer dans la tombe était Le Livre des Morts : six mois de travail pour le calligraphier et l’illustrer. Grâce aux nombreux exemplaires du livre on est bien renseigné sur le processus funèbre. Qui mieux que l’Egyptien, en son temps, a cru à l’immortalité ? A envisagé la mort avec plus de couleurs ? La croyance à l’éternité s’est doublée d’une continuité temporelle pendant 2500 ans. La permanence religieuse et politique de l’Egypte, qu’on nomme immobilisme, s’explique par l’idée que le Ma’at (l’Ordre et son train : la justice, le bien, etc.) est toujours susceptible d’être vaincu par le Chaos originel. Ainsi chaque nuit Ré doit lutter contre le serpent Apophis, du même mouvement de lance que saint Georges contre le dragon (bois peint, -1250). Pharaon, quand il combat l’invasion étrangère, est un autre soleil luttant contre un autre Apophis. Il est garant des rites qui, inchangés, assurent l’Ordre ; il est l’intermédiaire entre les Dieux et son peuple car dans le sanctuaire le dieu n’est accessible qu’aux prêtres, aussi les laïcs s’adressent-ils à la statue du Pharaon installée devant les portes du temple. La belle statue de Séthi II (13e siècle av. J. C.), assis, avait cet usage. Son hiératisme, comme celui des statues cubes, est une autre manière d’exprimer l’éternité.

    Samuel

     

    Les Portes du Ciel, Visions du monde dans l’Egypte ancienne,
    jusqu’au 29 juin 2009, Musée du Louvre, Hall Napoléon.<o:p></o:p>

    illustration : Stèle funéraire de la dame Tapéret, vers -800 © Musée du Louvre / G. Poncet<o:p></o:p>

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