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Dossier Marcel Aymé
dossier Marcel Aymé
Les idées claires
Le style de Marcel Aymé se caractérise par sa clarté. Elle lui est si naturelle quelle va de soi et ne constitue pas en elle-même une démonstration, mais à une époque qui a cultivé lobscurité et le jargon, elle est devenue affirmation, manifeste littéraire dune école infondée qui regrouperait la triade Aymé-Léautaud-Jouhandeau une clarté politique aussi tant elle correspond à la volonté de garder la tête froide, lesprit danalyse intact face aux mensonges et aux versions officielles, de préférer le cortex au limbique.
G. Laffly, parlant de Léautaud, écrit que « cest après 1945 quil devient réellement subversif, sans trop le savoir. Habitué à la parole libre jusquen 1939, il ne percevait pas que la censure sinstallait. »1 Marcel Aymé est devenu lui aussi subversif après 1945, mais avec la pleine conscience de lêtre. Il publie en 1949, époque de complications post-épuratoires, Le Confort intellectuel où est discuté de lobscurité en littérature, de laspect politique éventuel de cette obscurité et de limportance de la clarté, garante du confort intellectuel. à diverses occasions, un jeune esthète (le narrateur, à peine plus quun faire-valoir) sentretient de littérature avec M. Lesage, un « bourgeois » qui défend cette notion de confort. Texte jubilatoire qui mêle le dialogue sous ses formes théâtrale (réparties) et socratique (maïeutique), linvention (la vie de la famille Coiffard, chap. VIII), lanalyse. Un mélange des genres risqué mais visible seulement a posteriori tant lauteur est maître de sa technique. Voici le manifeste le moins rébarbatif jamais écrit.2
Pour comble, avec, encore, un art consommé, lauteur se donne le plaisir de manier lambiguïté, non celle du propos mais celle du degré de lecture. Ce M. Lesage, ce bourgeois qui explique le confort intellectuel, défend-il les idées de Marcel Aymé lui-même ? Celui-ci se plaît à lui prêter les idées les plus sensées comme les plus énormes au point quelles deviennent provocantes, mais le sont-elles ? La vraie provocation, ici, nest-elle pas de faire dun bourgeois un provocateur ? De laisser le personnage le plus apparemment risible exprimer les convictions de lauteur ? Marcel Aymé joue au chat et à la souris avec habileté et montre que le confort intellectuel nest pas incompatible avec linconfort du lecteur.
Laissons de côté les aspects politiques (bourgeoisie, Résistance, marxisme) pour nous intéresser à laspect littéraire de la question. Marcel Aymé sen prend à lobscurité de lexpression, laquelle est soit le signe dune obscurité de la pensée, soit la voie qui y mène.
« Lécrivain qui altère ou méconnaît le sens des mots, celui qui introduit dans le vocabulaire, à la faveur dune réussite littéraire, une incertitude ou une ambiguïté, sabotent linstrument de la pensée et outrepassent leurs droits. » (p. 85)
En ligne de mire, les poètes romantiques, Baudelaire, les surréalistes qui en descendent.
« Le commerce dune certaine poésie habitue lesprit au mépris du sens exact des mots, aux idées floues, aux vagabondages métaphysiques et à tous les hasards de limpressionnisme verbal. » (pp. 13-14)
Les conséquences sont une déperdition de la raison et une victoire des sensations :
« Quand le vocabulaire sobscurcit, que les mots-clés sont incertains et que les idées dites maîtresses deviennent vagues, on est bien obligé de sen remettre à sa sensibilité. On ne comprend plus les choses, on ne les explique plus, on les sent. » (p. 89)
Les sensations, par natures vagues et inexprimables, ou exprimables seulement par approximations de langage, éloignent encore plus de la clarté. Aussi, les acquis de la sensibilité, quon considère généralement comme des enrichissements, sont-ils en réalité des régressions :
« On ne senrichit pas et on nenrichit pas sa sensibilité en disloquant et en détruisant des moyens dexpression laborieusement édifiés au cours des âges et qui sont les vraies richesses de lhumanité. Cest une erreur de croire quon peut penser mieux et plus fortement quon ne sexprime. Ce qui reste à lintérieur de nous-même, à létat potentiel, na pas dexistence et ne constitue pas une force » (p. 94)
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Cette méfiance du monde intérieur quexprime M. Lesage nest-elle pas celle de Marcel Aymé ? Seule la réalité sexprimant clairement et avec certitude, laspect réaliste de son uvre (on a pu dire : naturaliste), sexplique. Cependant ce nest pas un matérialisme : Marcel Aymé ne nie pas lexistence des sensations, de linconscient, dune vie intérieure mais il se méfie de limprécision inhérente à son expression.
Lécart entre un Marcel Aymé « réaliste » et un Marcel Aymé « fabuliste » a souvent été souligné. Nest-il pas réductible ? Ce fabuleux sinscrit lui aussi dans ce goût pour le réel. Il nest préparé par aucune ambiance propice au mystère, ni fumigène ni pénombre. Il apparaît tout naturellement dans un monde concret et sexprime sur un mode concret : un homme se retrouve avec une auréole sur la tête, un autre passe à travers les murs, une femme se démultiplie à linfini Merveilleux il y a, mais ce sont ses conséquences concrètes sur le réel qui sont étudiées.
Ce merveilleux a un aspect chrétien dans Clérambard, mais lapproche de la spiritualité est entachée de méfiance : « Il y a des âmes de chrétiens qui savent se brancher sur les mystères de la Croix dune façon à se faire passer mille frissons dans les moëlles au moindre dominus. » (Le Boeuf clandestin, chap. II) Frisson nest pas raison... En général pour Marcel Aymé la religion catholique se réduit à une position politique, et les curés se classent en maigrelets à idées, déplaisants, et en bourrus sympathiques dont lapostolat est ancré dans le réel, purement pragmatique.
Au nom du même réalisme, la psychanalyse est repoussée. Sans se prononcer sur lutilité de sa pratique, il reproche à la littérature fondée sur elle lartifice dune construction arbitraire invérifiable.
Rattacherons-nous la gauloiserie à cette préférence pour la réalité contre lidéalisme ? Elle serait une réaction contre les Romantiques qui
« travaillèrent à faire de la femme un être surnaturel, inconnaissable, un abîme de mystères impensables, sacrés. » La Femme devint « un mot conventionnellement mystérieux. » (p. 128)
La gauloiserie a le mérite dêtre concrète (fin du chap. X), elle a la qualité du réel, alors que
« Le genre élégiaque et ses sous-produits, par exemple, en coupant obstinément lamour de ses bases physiologiques, en le réduisant à nêtre jamais quune vapeur de mélancolie, une appétence de séraphins, auront engendré bien des misères, des désordres, des désespoirs. » (p. 20)
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La méfiance de M. Lesage/M. Aymé envers la poésie rejoint celle de Paul Léautaud qui, les années passant, la considérait comme nuisible à la vie intellectuelle, sans pour autant devenir insensible aux charmes de certains poèmes. «Je me méfie quand je vois une femme me sortir du Baudelaire. Encore une détraquée.», écrit-il dans son journal (9 ocotbre 1944). Baudelaire est justement violemment pris à partie par M. Lesage. Lanalyse du poème La Beauté (chap. III) est un grand moment, quon ne lit pas sans gêne la première fois et quon a vingt ans, mais quon trouve assez juste passé trente. La conclusion de cette analyse de texte ?
« Après avoir, tout au long de son sonnet, prodigué les non-sens, les absurdités, les obscurités, les impropriétés, les imprécisions, le poète termine sur une apothéose du flou. » (p. 34)
Cependant des poètes trouvent grâce aux yeux de M. Lesage. à ceux qui obscurcissent la pensée, il oppose Corneille, Racine, Chénier, qui
« ne se servent de la langue française que conformément à lusage établi [ ] En somme, les poètes classiques usaient dune langue démocratique, celle de tout le monde. » (p. 21-22)
Encore une idée provocante ! de M. Lesage, ou de Marcel Aymé ? Daprès Michel Lécureur, « on ne saurait dire en fait quel est le véritable point de vue de lauteur », car la charge pourrait venir de « quelque critique marxiste ».3 Les rapprochements entre les propos de M. Lesage et luvre de Marcel Aymé, ceux-là expliquant celle-ci, autorisent au contraire à conclure à une grande concordance intellectuelle entre le romancier et ce « bourgeois ».
Amédée SCHWA
L'Innocent et le Tutélaire
dans l'oeuvre romanesque
Luvre de Marcel Aymé, quarante ans post mortem, na pas donné lieu aux études quelle mérite. La crainte avouée de sintéresser à un écrivain devenu infréquentable par son courage lors de lépuration nest pas étrangère à cette mise sous le boisseau. Une dizaine décoles et collèges Marcel Aymé comparée à la flopée détablissements Jacques Prévert, voilà qui en dit plus long que bien des discours. Sur le plan littéraire, sa simplicité noffre pas prise aux élucubrations de la «nouvelle critique» (qui nest plus nouvelle du tout mais survit, tapie, sommeillante, dans la serviette de professeurs routiniers). Que cela ne nous empêche pas détudier la récurrence de deux personnages, dont lapparition fréquente dans les romans fait deux des types et même des archétypes. Nous les appellerons les innocents (I) et les tutélaires (II). Laustérité du dépouillement systématique des dix-sept romans, par deux fois, paraîtra abusive au lecteur mais sil y glane des idées de lecture sa peine sera récompensée.
I. LInnocent
Brûlebois
(1926). Le héros éponyme est un innocent. Ivrogne invétéré, il a des yeux pleins « dinnocence, de douceur et de bonté ». Phrase essentielle : « Brûlebois était un doux. » Il tombe malade : « Brûlebois eut un frisson et, en toussant, il eut un goût de sang dans la bouche. [ ] Il était doux sous sa casquette à oreille et le Bon Dieu le voyait bien. » à lhôpital, Brûlebois accepte les sacrements contre un litre de vin, mais labbé napporte pas la bouteille. Brûlebois meurt en lui pardonnant. Le roman sachève ainsi : « Brûlebois débonnaire devant les hommes, pur devant Dieu. »Aller-Retour
(1927). Le Bombé est un bossu « dune quarantaine dannées, au visage doux et intelligent » qui porte des messages, comme Brûlebois portait des valises. Il est disgracié, humilié par la vie. « Parce quil était las, tout dun coup, de quarante années de misère quun tiraillement de lestomac venait de faire gémir dans sa mémoire. » Il est camelot, puis sert de porte-bonheur dans un cercle de jeu.Les Jumeaux du Diable
(1928). Nimbu travaille un temps dans les chemins de fer, il transporte des colis (cf. Brûlebois) mais sa vocation est dêtre pique-assiette, de se faire payer des apéritifs. Il est proche de Bombé : cest un inadapté, capable de trahir des amis pour un peu dargent immédiat tout en le regrettant ensuite.La Table aux crevés
(1929). Le facteur et garde-champêtre, Capucet, est aimé de tout le monde, des gens de Cessigney comme de ceux de Cantegrel, alors quentre les deux villages existe un fossé (Cessigney : les agriculteurs ; Cantegrel : les bûcherons), et « dans le pays, il ne se buvait rien de sérieux sans Capucet. » Il est simple desprit, et sa malice se borne à faire un détour pour éviter une femme à qui il a promis daider au jardin. « Capucet était un personnage reposant. On était sûr quil navait désir ni besoin de posséder sur quelquun, terre ou femme. » Il meurt dune balle perdue dans la querelle entre des gens de Cessigney et des gens de Cantegrel. « Capucet comprenait, il voulut dire quelque chose de doux, mais le sang coula de sa bouche, il sévanouit. »La Rue sans nom
(1930). Le petit Louiset meurt de la diphtérie, mais aussi davoir dû veiller sur ses frères et surs pour suppléer son père devenu fou. Meurt également, dun coup de couteau, lémigré italien Cruseo qui à sa manière est un pur : il sait apporter aux autres la rêverie dune chanson.Le Vaurien
(1931). Grelin est un pauvre être comme Brûlebois et le Bombé. Il na pas de métier bien défini, sinon de pousser à boire les clients dune boîte montmartroise. Comme Bombé, son innocence nest pas totale ; mais au fond cest un inadapté. Atteint de phtisie il est achevé par le héros du livre dans un moment de colère.La Jument verte
(1933). Le facteur Déodat est un simple (cf. Capucet). Sa femme est morte il y a dix ans, « Cest une chose qui arrive souvent, il ny a rien de plus ordinaire. Il nallait pas se taper la tête contre les murs. Il ny pouvait rien. Lui, il restait quand même du monde, avec son uniforme et son métier de facteur. Et il faisait son métier, posément, dun bon pas de facteur posé, en attendant son tour qui viendrait de passer, mort, le seuil de sa maison. Il attendait son tour et il ny pensait pas du tout, bien vif et pas pressé. » (VIII) Sa bonté est, si je puis dire, efficace, apaisante : il apporte la paix avec lui. Arrivant lors dune dispute violente entre Honoré et Ferdinand (deux frères), il rétablit la paix par sa seule présence, et non pas la paix factice devant un étranger, une vraie paix. « Forcément, dit Honoré. On est toujours contents de se trouver réunis. Honoré parlait ainsi de la meilleure foi du monde. Il disait la vérité, celle qui était vraie pour un bon homme, pour un bon facteur. » Sa deuxième intervention délivre Juliette dun viol auquel elle va plus ou moins consentir. Là encore, il lui suffit darriver pour que la situation se dénoue. Il est linstrument dune Providence. « Les bons facteurs entrent dans les cuisines, ils disent : Cest le facteur et les filles sont délivrées de malice. Cest parce quils font bien leur métier. » [...]Lisez l'intégralité de la démonstration de Marina Le Must dans lovendrin n°20,
ainsi que Marcel Aymé à l'écran, par Kwasi Broni.
Voir également Droiture d'un écrivain, par Samuel
et Clérambard (avec J.-M. Bigard)<?XML:NAMESPACE PREFIX = O /><O:P></O:P>
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Commentaires
1visiteur_fortier.marDimanche 11 Novembre 2007 à 09:59les Bons Cousins Charbonniers , Soci? Secr? de la for? de la Chaux sont omnipr?nts dans "La Table aux Crev?: je travaille sur ce sujet depuis 4ans : cf article acad?e de besan? ; la hache et le compasRépondre
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