• VICTOR HERCULÈS<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Victor Hugo est le Johnny Hallyday du romantisme. Pourquoi un tel succès ? Il y avait une place à prendre comme chef de rayon, au rayon Épique. Les morts prématurées d’André Chénier et de Maurice de Guérin, de talents plus fins, plus aristocratiques, étaient une aubaine. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Hugo fut d’ailleurs royaliste mais, et c’est la seconde raison de son succès, il devint républicain, tellement il collait à son siècle. Il avait, de son siècle, l’épaisse couenne bourgeoise. Il écrivait des vers comme d’autres pèsent du bœuf haché :<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Ce siècle avait deux ans, Rome remplaçait Sparte,<o:p></o:p>

    Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Cette fécondité, ou ce productivisme, mot qui convient bien à ce contemporain des débuts de l’ère industrielle, n’est pas pour rien dans l’admiration des foules pour cet homme : c’est ce qu’on a nommé l’aune bourgeoise de la quantité, l’adoration du nombre. Charles Péguy dira de Victor Hugo que « faire des mauvais vers lui était parfaitement égal, pourvu que tous les matins il fît, il eût son compte de vers. Il pensait qu’il valait mieux faire des mauvais vers que de ne pas en faire du tout. » (Notre Patrie) Ce qu’on reprochera à Hugo, ce n’est pas d’avoir écrit de mauvais vers (on voudrait bien en avoir écrit d’aussi mauvais), c’est de les avoir publiés. Parfois les épiciers vendent des produits périmés.<o:p></o:p>

    Il y a dans ses carnets intimes de beaux passages de grandiloquence relatés avec le plus grand sérieux. Il lance dans la foule quelques mots qu’il estime historiques et, le soir venu, les recueille pieusement dans un petit carnet à spirale. <o:p></o:p>

    « Chemin faisant, j’ai vu dans un bois un campement de soldats français, hommes et chevaux mêlés. Je leur ai crié « Vive l’armée ! » et j’ai pleuré. » <o:p></o:p>

    C’est, effectivement, à pleurer.<o:p></o:p>

    « En entrant, j’ai dit aux blessés : « - Vous voyez un envieux. Je ne désire plus rien sur la terre qu’une de vos blessures. Je vous salue, enfants de la France, fils préférés de la République, élus qui souffrez pour la patrie ! » Ils semblaient très émus. » <o:p></o:p>

    Ils devaient surtout souhaiter qu’on leur fiche la paix.<o:p></o:p>

    « On a renoncé à me demander l’autorisation de dire mes œuvres sur les théâtres. On les dit partout sans me demander la permission. On a raison. Ce que j’écris n’est pas à moi. Je suis une chose publique. » <o:p></o:p>

    Tel quel, sans sourciller.<o:p></o:p>

    « J’ai faim, j’ai froid. Tant mieux. Je souffre ce que souffre le peuple. »<o:p></o:p>

    Quel bon pair… courant à la députation, à l’Académie ! « Ce jour-là, où était la fierté de la Muse romantique ? Ce jour-là, l’homme qui s’est tant moqué des ailes de pigeon en a mis. » (Barbey d’Aurevilly) Oui, Victor Hugo avait du pigeon, cette manière de traîner dans les rues à faire le beau et y ramasser les femelles.

    Mais il y a un autre Hugo : dans les poèmes ayant trait à la mort de sa fille Léopoldine, Demain dès l’aube…, Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin…, et dans ses carnets quand il évoque la mort de ses fils Charles (mars 1871) et Victor (décembre 1873). L’accent est pudique et sincère, le ton attachant. Cet homme qui mourut si vieux, sur qui la mort semblait avoir si peu de prise, y était en réalité fort sensible et la redoutait. Il baissait la voix en sa présence et, du coup, chantait juste.<o:p></o:p>

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    Amédée SCHWA<o:p></o:p>


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  • La plupart des peintures sont à l'huile sur toile, mais il y en a sur bois, carton toilé, toile marouflée... Quelques gouaches dans le tout.
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    L<o:p></o:p>

    es îles Marquises furent pour Gauguin comme une île où il échoua après plusieurs naufrages aux yeux du monde. Sous cette apparence de naufrage se cachait en réalité l’extraordinaire découverte d’un nouveau monde : il fut un Christophe Colomb. Il fut aussi un Robinson Crusoë qui réalisa sur son île le monde idéal qu’il pressentait, celui de sa vision, mais que personne ne vint rechercher.<o:p></o:p>

    D’autres peintres avant lui avaient pris la route. Delacroix avait rapporté du Maroc de beaux croquis. Les Orientalistes avaient étudié les couleurs locales, les plus doués avec beaucoup d’authenticité, Fromentin par exemple. Mais cette couleur locale mêlée de pittoresque donnait à leurs œuvres un cachet exotique plus ou moins prononcé, appelé à devenir nuisible à la longue. On chercherait en vain cet exotisme chez Gauguin : force est de constater que sa peinture dans les îles est dans la lignée de sa peinture en Bretagne. Il progresse en Océanie, mais c’est toujours le même chemin qu’il suit. Ce n’est pas là le moindre prodige de sa vie, que cette poursuite incessante vers l’absolu de sa vision de peintre sans se laisser distraire par le paysage changeant.<o:p></o:p>

    Les îles où se réfugient les héros naufragés sont toujours des îles désertes. Gauguin mourut abandonné de tous, lui qui n’avait abandonné personne. Il s’agit maintenant de corriger le mythe détestable qui veut à toute force que Gauguin ait délaissé sa famille pour la peinture. Approbation des uns, qui en font un révolutionnaire en rupture avec son milieu ; blâme des autres, qui en font un salaud et prétendent ainsi réduire sa peinture à néant. Si la légende disait vrai, ce ne serait pas à l’honneur de Gauguin mais n’ôterait rien à son génie ; or on constate en lisant les lettres de Gauguin à sa femme que c’est la belle-famille danoise qui a séparé les deux époux, n’appréciant pas que Gauguin ait quitté une fructueuse position de financier pour le métier de peintre. La famille Gauguin partit au Danemark parce que la vie en France était devenue trop difficile ; sur place on proposa aux époux une séparation provisoire qu’on rendit définitive par la suite. <o:p></o:p>

    Un artiste français pauvre, marié à une Danoise, une belle-famille qui essaye de les séparer, c’est aussi un épisode de la vie de Léon Bloy ; la similitude des situations est assez curieuse pour être signalée. Bloy note dans son journal, en juin 92[1] : « Jeanne a reçu 10 fr. et une lettre affectueuse. Seulement, je parais être éliminé complètement et ce conseil fantastique est donné à ma femme de se séparer de moi pour aller vivre au Jutland avec Véronique. Notre chère enfant est évidemment la cause de cet accès de tendresse maternelle. On voudrait la ressaisir. » Quelques jours plus tard : « [Jeanne] reçoit une lettre odieuse de l’amie Danoise à qui elle écrivait le 17 et dont elle se croyait si sûre. […] Pas un mot pour moi. Je suis éliminé, je ne compte pas. Évidemment Jeanne est très coupable d’avoir épousé un homme pauvre. L’hospitalité lui est offerte en Danemark. Elle irait vivre là-bas avec Véronique et je me débrouillerais ici comme je pourrais, etc. Ma belle-mère avait déjà donné ce conseil. » <o:p></o:p>

    Sept ans auparavant, Gauguin avait été victime du même procédé (« Maintenant que ta sœur a réussi à me faire partir… » écrit-il à sa femme[2] en août 85, et un mois plus tard : « je m’attends à tout de ton pays et de ta famille ») ; mais l’issue en avait été dramatique pour lui. Jeanne Molbech connaissait la pauvreté de Bloy avant de se marier, alors que Mette Gad avait épousé un jeune homme à  l’avenir professionnel prometteur qui s’était « dévoyé » : là réside sûrement l’explication. Le « Jeanne est très coupable d’avoir épousé un homme pauvre » trouve son écho chez Gauguin : « naturellement pour ta famille, je suis un monstre de ne pas gagner d’argent » (août 85). Il n’oublie pas les protestants : « j’ai été sapé par en dessous par quelques bigotes protestantes, on sait que je suis un impie » (août 85). Léon Bloy, à l’occasion d’un voyage au Danemark (fait, comme Gauguin, pour raisons financières en 1899-1900), signalera ces défauts : « Traits caractéristiques des protestants, à quelque secte qu’ils appartiennent. Haine de la pénitence, amour de tout ce qui est facile, indifférence monstrueuse pour tout ce qui est beau. » Gauguin prenait justement la voie difficile du Beau. Quant à son devoir de père de famille, il estimera l’avoir fait : « Le devoir ! Et bien qu’on y vienne à ma place, je l’ai mené jusqu’au bout, et c’est devant l’impossibilité matérielle que j’aurai cédé. » (août 85)<o:p></o:p>

    Tout cela suffirait à blanchir Gauguin de l’accusation d’abandon, mais le mythe a la vie dure. Le roman de Somerset Maugham, The Moon and six pence, vie romancée de Gauguin, n’est peut-être pas étranger à la vulgarisation de ce mythe. L’auteur avait peu de documents quand il écrivit ce livre ; la première fois qu’il entendit parler du peintre, c’était à Paris en 1903, dans les milieux bohèmes de Montparnasse, l’année de la mort de Gauguin aux antipodes : la légende devait être déjà forgée en ce sens. Le titre anglais, « La lune et trois francs six sous », exprime la confrontation de l’idéal et de la réalité [3] ; si le roman a contribué à créer le mythe Gauguin, il n’en reste pas moins que le personnage campé, Charles Strickland, est un Gauguin très vraisemblable. Ainsi, dans l’entourage de Strickland, tout le monde est convaincu qu’il a abandonné sa famille pour vivre à Paris avec une maîtresse ; le narrateur est stupéfait de retrouver l’artiste seul et livré à la peinture, situation inexplicable pour la société.<o:p></o:p>

    La réalité est que non seulement Gauguin n’a pas voulu se séparer de sa famille, mais qu’en plus il s’est toujours intéressé à ses enfants et a longtemps envisagé de reprendre la vie commune. Il reproche de nombreuses fois à sa femme d’élever les enfants dans l’ignorance de leur père et de leur langue maternelle : « Maintenant pas un des enfants ne doit parler le français. Ta famille doit être contente de triompher sur toute la ligne. » (avril 86) « Que j’écrive ou que je n’écrive pas, est-ce que ta conscience ne te dit pas qu’il me faut donner tous les mois des nouvelles des enfants que je n’ai pas vus depuis 5 ans – Et cependant à l’occasion tu sais me rappeler que j’en suis le père. » (juin 89) La perspective de la vie commune n’est pas définitivement écartée, au fil des années : « De ton côté tâche de me faire connaître au Danemark. […] c’est encore le moyen le plus sûr de nous remettre ensemble » (août 85) ; « espérons qu’alors je retrouverai en compensation de mes chagrins domestiques le plaisir de mes enfants. Vieux tous les deux nous saurons peut-être mieux nous comprendre. » (mars 1888) Se sentant toujours plus seul, Gauguin se réfugie dans l’espoir d’une vieillesse idéale de patriarche : « A défaut de passion, nous pouvons – avec des cheveux blancs entrer dans une ère de paix et de bonheur spirituel entourés de nos enfants, chair de notre chair. » (mars 1891)<o:p></o:p>

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    N<o:p></o:p>

    ’ayant plus d’attaches, livré à lui-même, Gauguin veut partir. Il n’a pas de destination précise : il s’agit avant tout de quitter la France. Il va à Panama et à la Martinique en 1887. Les années suivantes, ce ne sont que des projets : il parle d’aller au Tonkin en 89 ; en Océanie, ou à Madagascar, ou au Tonkin, en 90. Le port d’arrivée n’a pas d’importance : l’important, c’est de se soustraire aux plaies d’argent et à une société dans laquelle il ne trouve plus sa place. Il pourrait donc aller aussi bien au Tonkin « attendre des jours meilleurs » (juin 89) qu’à Panama « pour vivre en sauvage – Je connais à une lieue en mer de Panama une petite île (Taboga) dans le Pacifique,  elle est presque inhabitée, libre et fertile. » (avril 87) Somme toute, il cherche un lieu à sa ressemblance, qu’il ne trouvera pas. Tous ses voyages seront la quête d’un lieu plus sauvage : la Martinique en 87, c’est encore la civilisation ; Papeete en 91, c’est encore trop civilisé, il part s’installer dans la campagne ; Tahiti, c’est décidément trop civilisé, aussi part-il en 1901 aux Îles Marquises, qu’il qualifie avec délices d’ « îles anthropophages » : le comble de la sauvagerie ! Ce caractère sauvage, il l’avait d’abord trouvé en Bretagne où il avait passé un an à Pont-Aven, et où il s’était lié avec Émile Bernard et Charles Laval. « J’aime la Bretagne. J’y trouve le sauvage, le primitif. » Rassurons les Bretons, c’était un compliment. Gauguin explique son désir de partir par la recherche d’une vie matérielle plus aisée parce qu’il ne perçoit pas encore une motivation plus profonde : celle de retrouver un art originel, primitif, qui s’opposerait au réalisme et au naturalisme alors de mise. Ces deux dernières tendances, et tout l’art occidental des derniers siècles, sont considérées par lui comme dégénérées, s’étant tournées vers la reproduction stricte de la nature ou la sensualité. Gauguin veut retrouver ce qui a été l’art des grandes civilisations, un art exprimant une spiritualité. Sa recherche du primitif est fondamentalement une recherche des principes de l’art. Même étymologie. On ne saurait être plus réactionnaire.<o:p></o:p>

    Paul Gauguin part avec Laval à Panama d’avril à novembre 1887. Quand ils débarquent à Panama, ils s’aperçoivent que le percement du canal en cours à fait monter les prix : leurs prévisions économiques sont fausses. Laval attrape la fièvre jaune ; Gauguin doit s’engager comme terrassier pour le percement du canal. Les conditions de travail sont déplorables, les ouvriers meurent en grand nombre. « Il faut qu’ici je remue la terre depuis 5H 1/2 du matin jusqu’à 6 heures du soir, au soleil des Tropiques, et la pluie tous les jours. La nuit dévoré par les moustiques. » Gauguin, gravement malade à son tour, et Laval réussissent à gagner la Martinique en juin. Il écrit à sa femme : « Des nègres et négresses circulent toute la journée avec leurs chansons créoles et un bavardage éternel. […] Je ne pourrai te dire mon enthousiasme de la vie dans les colonies françaises. » Il va jusqu’à écrire, non sans malice peut-être : « J’espère bien te voir ici un jour avec les enfants ; ne jette pas les hauts cris, il y a des collèges à la Martinique et les blancs sont choyés comme des merles blancs. » (juin 87) Son enthousiasme pour « la vie dans les colonies françaises » n’aura qu’un temps, à Tahiti les colons lui deviendront vite insupportables ; mais ce premier contact avec les populations des îles est réussi. Le séjour ne se prolonge pas longtemps : l’argent manquant, les peintres essaient de se faire rapatrier et quémandent de l’argent à leurs amis en France.<o:p></o:p>

    Pour ce qui est de l’art, Gauguin revient avec des dessins et quelques toiles marquées par la luxuriance de la nature. Ce sont plutôt les toiles qui seront peintes ensuite en Bretagne (Nature morte aux trois petits chiens, Nature morte « Fête Gloannec », 1888) qui révèlent le plus une évolution, le temps que se décantent les choses vues, ainsi que quelques zincographies à thème mar-tiniquais de 89/90 où l’on constate une nouvelle utilisation de l’espace et de la composition, plus décorative et monumentale. [...]

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    Lisez l'intégralité de cet article de Samuel dans lovendrin n°2.


    [1] Léon Bloy, Journal inédit, L’Âge d’Homme, Paris, 1996.<o:p></o:p>

    [2] Paul Gauguin, Lettres à sa femme et à ses amis, Grasset, Paris, 1946.<o:p></o:p>

    [3] Le titre français, L’Envoûte, est devenu dans les récentes rééditions, L’Envoûté, par myopie des éditeurs vraisemblablement : la traductrice justifie en tête de sa traduction le choix du mot « envoûte ».<o:p></o:p>


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    Il<o:p></o:p>

     y a la Règle d’Or ; l’histoire de Boucle d’Or ; L’Âne, roman d’Apulée, devenu L’Âne d’or parce que c’est un bon livre et qu’il a longtemps enrichi les libraires ; la Légende des Saints, devenu la Légende dorée pour les mêmes raisons. Et il y a le Nombre d’Or, parfois nommé Section dorée ou divine proportion.<o:p></o:p>

    Le nombre d’or est ce rapport entre longueur a et largeur b tel que a/b = (a + b)/a, ce qui revient à a/b = (1+5)/2. Un rectangle construit sur ce nombre a les proportions que voici :<o:p></o:p>

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    <o:p> </o:p>

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    D’où est tiré ce rapport ? « Depuis l’Antiquité, on considère qu’un rectangle a des proportions parfaites si, lorsqu’on enlève un carré, le rectangle restant a les mêmes proportions que le rectangle initial. »[1] Comprenez que dans la figure ci-dessous, le petit rectangle C a les mêmes proportions que le grand rectangle A si on enlève à celui-ci le carré B. Les rectangles A et C sont construits sur le Nombre d’Or.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    A<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    B<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    C<o:p></o:p>

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    J’admets qu’il y a là quelque chose de satisfaisant du point de vue géométrique. La question est de savoir si on doit considérer ces proportions également satisfaisantes dans le domaine de l’esthétique. Certains historiens de l’art, certains architectes le pensent, qui ne jurent que par le nombre d’or et qui expliquent tout par lui : les pyramides égyptiennes, les temples grecs, les cathédrales médiévales… D’autres vous retrouvent le nombre d’or partout dans un tableau. Une abondante littérature existe en sa faveur, écrite par des gens persuadés que circule d’initiés en initiés ce secret de beauté<o:p></o:p>

    Ce besoin de se référer et, plus, de se conformer à un nombre ne révèle-t-il pas une grande anxiété, la crainte de ne pas avoir dans son propre œil ou sa propre oreille l’outil apte à juger et estimer ? Outil que l’artiste forme avec le temps, à force de jauger d’un point de vue quantitatif, certes, mais surtout qualitatif. Or utiliser le nombre d’or, c’est passer d’une considération quantitative à une conclusion qualitative : il y a erreur d’aiguillage. Aulu-Gelle rapporte que Varron s’était astreint à placer une césure à tel endroit précis de ses vers, non pour une raison rythmique mais « pour une raison tirée de la géométrie »[2] (ratione quadam geometrica). C’est le même abus, appliqué  à la poésie.<o:p></o:p>

    J’ai devant les yeux une étude intitulée Nombre d’or, nature et œuvre humaine[3]. Les exemples tirés de la nature (coquilles diverses, cœur de chardon…) sont parlants et la présence du nombre d’or y est indubitable. Cela n’a rien de surprenant, la rigueur géométrique de ces choses étant manifeste. L’analyse déraille lorsque l’auteur crée un squelette de cheval idéal au nombre d’or d’après des types de chevaux existants. Puis il s’intéresse aux visages, trouve du nombre d’or partout mais note que, tout de même,
    son étude est « plus anthropométrique qu’ar- tistique » : il touche un point crucial mais n’y reviendra pas. En passant il se réjouit que Laetitia Casta soit, elle aussi, au nombre d’or ; du moins l’a-t-il lu dans le Figaro Magazine, qu’il qualifie de « revue sérieuse ». <o:p></o:p>

    L’œuvre humaine, maintenant : méga- lithes, abbayes cisterciennes, rosace du xive, tout cela est beau et hautement spirituel parce que construit sur le nombre d’or. Un artiste a sa place ici, Rémi Damiens,  qu’on voit « à la recherche de formes avec son compas de proportion » car pour lui « la divine pro- portion n’est pas qu’un nombre, c’est une philosophie. » La sculpture donnée en exemple ne donne pas une haute idée de l’apport artistique du nombre d’or.<o:p></o:p>

    Combien l’esprit dans lequel une œuvre a été conçue a plus d’importance ! Des œuvres de petite taille peuvent avoir un caractère monumental (ainsi en est-il de nombreuses statuettes égyptiennes), quand de gigan- tesques sculptures n’ont pas plus de présence qu’un petit caillou[4]. De plus, pour beaucoup d’œuvres sinon toutes, la taille de création est primordiale : Charles Cordier a modelé de très-estimables bustes grandeur nature qui ont été ensuite soumis au procédé de réduction, devenant des bibelots[5] ; les proportions pourtant étaient rigoureusement gardées, preuve qu’elles ne sont pas tout. <o:p></o:p>

    En architecture, la référence à un module (ou pas) va de soi. Le module est la mesure de base qu’on retrouve dans tout l’édifice, multiplié ou divisé. L’architecture grecque prenait comme module le rayon de la colonne à sa partie inférieure. Ce module était multiplié pour déterminer la hauteur de la colonne et subdivisé pour déterminer « les hauteurs et les saillies de chaque moulure »[6]. L’utilisation du module est facteur d’unité, évidemment ; à ce titre, elle est fort estimable. Mais l’unité n’est pas tout, et des tas de choses sont belles sans être astreintes à un module. Un bâtiment peut être fort laid et construit sur un module : la récente église Notre-dame de l’Arche d’Alliance (Paris xve), est conçue sur un pas de x mètres. Cela ne l’empêche pas d’être déplorable du point de vue de l’architecture religieuse.<o:p></o:p>

    S’agissant des églises médiévales, on a déterminé pour certaines sur quel module elles étaient basées : l’abbatiale de Saint-Denis est construite sur un module de 0,325m. Ce nombre n’a rien de magique, c’est le pied parisien.  Régine Pernoud, à qui j’emprunte ces précisions, note que les architectes médiévaux utilisent en général des proportions élémentaires de un à deux, un à trois, et que, si le nombre d’or « peut être retrouvé dans le plan de la cathédrale de Reims », les constructions géométriques restent simples et « n’ont rien à voir avec les systèmes numériques étouffants édifiés de nos jours par certains commentateurs. »[7]<o:p></o:p>

    Les architectes médiévaux avaient en réalité un solide sens du concret. Ils ont toujours eut à cœur de bâtir à taille humaine. L’abbatiale de Fontfroide est une exception, qui écrase l’homme par des socles démesurément hauts. Henri Focillon fait cette remarque au sujet de la particularité de Fontfroide : « Ainsi, entre le pavement et les bases, s’établit une sorte de puissante zone abstraite, des socles nus qui semblent n’avoir pour fonction que de hausser tout le système, toute l’église dans les airs. »[8]<o:p></o:p>

    Zone abstraite révélatrice d’un changement de mentalité : car pourquoi hausser l’église dans les airs ? « Voilà le malheur : cet art gothique qui veut monter, qui aspire à une légèreté quasi-aérienne, pourquoi veut-il s’élever autant puisque Dieu lui-même est présent sur l’autel ? », notait Henri Charlier[9], mettant le doigt sur ce qui distingue l’esprit roman de l’esprit gothique. À Saint-Pierre de Rome, l’aberration (l’oubli du module réel de tout bâtiment : l’être humain) deviendra système : basilique pour paroissiens cyclopéens, pour bigotes de concours.<o:p></o:p>

    Robert Chalavoux nous apprend que Fontfroide est « un dosage de rectangles d’or et de rectangles dont les proportions longueur sur largeur = 1, 414 (qui est le rapport du côté d’un carré à sa diagonale) ». C’est beaucoup de précisions mathématiques pour une abbaye qui présente, on l’a vu, une dispro- portion flagrante, d’un effet malheureux. <o:p></o:p>

    Faut-il rejeter toute théorie explicative de l’harmonieux par les mathématiques ? Poésie et raison sont souvent considérées comme antinomiques. Adolescent, celui qui aime la littérature est porté à mépriser les mathématiques ; ce fut mon cas, jusqu’à ce que, post baccam, dégagé des cours de maths, je m’aperçoive que cette matière me manquait. Art et raison ne s’opposent pas, mais la correspondance entre eux, si elle existe, il ne nous est point donné de la saisir. Peut-être nous apparaîtra-t-elle dans son évidence quand nous serons renseignés sur tout ou presque – autant que nous l’aurons mérité – ; la réalité terrestre est que l’artiste qui astreint son art aux mathématiques est ipso facto perdu. Albert Gleizes s’empêtra dans les spéculations géométriques : s’acharnant sur les concepts de translation (déplacement des plans), de rotation (inclinaison des plans autour d’un point focal), concepts intéressant l’ornemental plus que la peinture, il oublia que ce n’est pas la composition qui régit la forme, mais la forme qui ordonne la composition. Il passa à côté de ce qu’il cherchait et fut contraint d’intituler des toiles « support de méditation » ou « toile pour la contemplation » pour pallier le manque. L’illustration ci-après parle d’elle-même.

    Notre auteur du Nombre d’or, nature et œuvre humaine finit par se poser cette question : « les cartes de crédit sont-elle au nombre d’or ? » Il fallait y penser. Sa réponse : « Presque, elles ont en trop 2/100e de leur largeur… mais à l’œil c’est acceptable. » Qu’une carte de crédit ait autant de spiritualité qu’une abbaye cistercienne, on ne s’y attendait pas. Le plus gênant est qu’il s’accommode de 2/100e de différence, tout comme il s’accommode (au début de l’ouvrage) d’un calcul approximatif du nombre d’or en comptant des enjambées. Face à la mystique pythagoricienne des sectateurs du nombre d’or, le bon sens est, comme souvent, efficace. Le rapport (1+5)/2 donne un nombre approchant 1,618. Ce n’est pas un nombre entier. Autant le mathématicien peut le manier sans difficulté sous sa forme (1+5)/2, autant l’architecte dans ses plans, et encore plus le tailleur de pierre et le maçon sur le chantier, doivent utiliser un nombre rond (à 10-3). Concrètement ne peut être utilisé qu’un nombre approché : on conçoit ce qu’un « nombre d’or imparfait » a d’absurde.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>



    [1] Lucien Chambadal, Calcul pratique, Paris, 1983, p.188.<o:p></o:p>

    [2] Nuits attiques, xviii, 15.<o:p></o:p>

    [3] Par Robert Chalavoux, Marseille, 2001.<o:p></o:p>

    [4] Voyez le Mont Rushmore où sont sculptées les visages de quatre présidents américains, de dix-huit mètres de haut.<o:p></o:p>

    [5] À des fins commerciales. Le bourgeois xixe aimait les petits machins tirés en série : il en tirait une satisfaction mécénale à peu de frais. L’art de Carpeaux ne s’en releva pas.<o:p></o:p>

    [6] Nouveau manuel d’architecture, par Toussaint de Sens, Encyclopédie Roret, 1857, tome 1, pp. 6-7.<o:p></o:p>

    [7] Régine Pernoud, « Comment on construisait une église », in Histoire générale des églises de France, ouvrage collectif, Robert Laffont, 1966, p. 159.<o:p></o:p>

    [8] Art d’Occident, Paris, 1938, livre ii, chap. i : « Le premier art gothique », section iii.<o:p></o:p>

    [9] « Théologie d’une église romane », in Racines n°3, p. 92, juillet 1994. <o:p></o:p>



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  • des visiteurs<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    L<o:p></o:p>

    ors de l’exposition Barnes au musée d’Orsay (en 1993, me semble-t-il), exposition qui présentait la très-complète collection de ce docteur, je fis la queue deux heures et demi dans un froid prononcé et sous la neige. La joie de voir les toiles rares l’emportait sur le désagrément du climat. Au cours de la visite, cependant, je fus amené à me demander ce qui avait poussé certains visiteurs à affronter l’hiver, car l’amour de l’art n’était pas, à l’évidence, ce qui les avait menés là. Devant un nu ovale de Van Gogh, un père expliqua à son jeune fils que c’était « mal peint exprès ». (On me rapporte qu’on put lire semblable appréciation sur le livre d’or de l’exposition Vuillard au Grand Palais : « C’est moche exprès. ») <o:p></o:p>

    Il faut croire que les nus stimulent les imbéciles : toujours chez Barnes, devant un magnifique grand nu de Modigliani, un visiteur, montrant de l’index l’ombre de la raie des fesses, déclara à ses amis : « Celle-là, elle est mal torchée. » J’ai honte de rapporter cette double grossièreté, et de langage, et de pensée – la première étant bénigne, d’ailleurs, par rapport à la seconde – mais elle est si significative ! Rien ni personne ne forçait ces gens à voir cette exposition, sauf peut-être que c’était une grande exposition. À ce titre, elle avait bénéficié d’une réclame réitérée jusque dans les pages les plus culturelles des magazines télé, devenant ainsi un événement obligatoire pour les personnes les moins concernées.<o:p></o:p>

    Les gens instruits peuvent avoir des sorties surprenantes. Lors d’une expo- sition de gravures de Corot à la Bibliothèque Nationale, j’entendis un vieux monsieur à serviette dire à un deuxième vieux monsieur à serviette : « Mais enfin ! Bracquemond était un graveur néo-platonicien ! » Perspectives infinies…<o:p></o:p>

    Plus redoutables que n’importe quels visiteurs isolés sont les groupes. Une douzaine de femmes se cultivant sous l’autorité d’une maîtresse-guide compro- mettent sans effort votre visite. À vous de ruser pour éviter leur attroupement inerte devant telle toile et surtout, surtout ! mettez tout en œuvre pour ne pas entendre un seul mot de la guide. Il y a une chance que ce soit plat, un risque que ce soit une horreur. J’ai entendu, à l’exposition « Gauguin et Pont-Aven » (au Luxembourg), une guidesse expliquer avec un sourire entendu que « Gauguin aimait les petites filles. » Maudit soit-elle.<o:p></o:p>

    On va dire que je m’en prends aux dames – encore ! Ma chronique sur les bas-bleus dans le numéro de septembre m’a valu des lettres ulcérées, la plupart de femmes qui n’étaient pas visées mais s’y sont reconnues. En réalité je ne fais que souligner la détestable oisiveté à laquelle les femmes sont soumises dans notre société sexiste : car si les méchants mâles les laissaient travailler, elles n’encom- breraient pas les salles de musées. Cela m’amène à un deuxième sujet.<o:p></o:p>

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    des censeurs<o:p></o:p>

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    D<o:p></o:p>

    ésormais vous serez passibles d’un an de prison et d’une forte amende lorsque vous utiliserez des termes sexistes ou homophobes ; je dis : vous, car moi je n’en utilise jamais, comme bien vous pensez. Remarquons, en passant, que considérer pédé comme une insulte revient à reconnaître qu’être chevalier de la manchette est une tare… (J’emprunte cette jolie expression à Jean-Jacques.) Mais je ne sais pas si le législateur et les obsédés censeurs voient si loin. J’aurais plutôt tendance à penser que leurs vues sont singulièrement bornées. Pour éviter cette malheureuse conséquence, allons au delà de cette loi timorée : obligeons tout un chacun à utiliser ces termes comme compliments. Que p***, s***, et autre c***, ainsi que t*** et p***, soient pris de façon laudative. On dira par exemple à la personne qui tient la porte devant nous : « Vous êtes une belle tantouse. » - en guise de louange. Si cette personne le prenait mal, elle serait poursuivie pour homophobie. Hélas, je sais que ma proposition sera jugée irrecevable, elle est trop audacieuse. Dommage, on se serait amusé un peu.<o:p></o:p>

    G. Lindenberger<o:p></o:p>


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