• C. F. Ramuz,<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    Éléments Bibliographiques<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Les œuvres complètes de Charles Ferdinand Ramuz parurent en vingt volumes à Lausanne en 1940 (du vivant de l’auteur). Les écrits de Ramuz furent souvent publiés d’abord en revue ; nous ne donnons ici que les parutions en librairie des ouvrages principaux.<o:p></o:p>

    1903 – Le Petit Village, poème en prose<o:p></o:p>

    1905 – Aline<o:p></o:p>

    1906 – La Grande Guerre de Sondrebond, poème<o:p></o:p>

    1908 – Le Village dans la Montagne<o:p></o:p>

    1909 – Jean-Luc persécuté<o:p></o:p>

    1911 – Aimé Pache, peintre vaudois<o:p></o:p>

    1913 –Vie de Samuel Belet<o:p></o:p>

    1914 – Adieu à beaucoup de Personnages<o:p></o:p>

    1916 – Les Grands Moments du xixe siècle français (en art et en littérature)<o:p></o:p>

    1917 – Le Règne de l’Esprit malin<o:p></o:p>

    1921 – Salutations paysannes<o:p></o:p>

    1923 – Il rencontre Henry-Louis Mermod, qui devient son principal éditeur.<o:p></o:p>

    1924 – La Guérison des Maladies<o:p></o:p>

    1926 – La Grande Peur dans la Montagne<o:p></o:p>

    1928 – La Beauté sur la Terre<o:p></o:p>

    1929 – Six Cahiers (notes et remarques diverses)<o:p></o:p>

    1932 – Adam et Ève<o:p></o:p>

    1934 – Derborence<o:p></o:p>

    1936 – La Suisse romande<o:p></o:p>

    1937 – Si le soleil ne revenait pas<o:p></o:p>

    1938 – Paris, notes d’un Vaudois<o:p></o:p>

    1939 – Découverte du monde<o:p></o:p>

    1942 – La Guerre aux papiers<o:p></o:p>

    Mentionnons le journal de Ramuz (1896-1942) et les déchirantes dernières pages de 1942-1947, parues en 1949. Nous rappelons les quatre essais significatifs : Raison d’être (1926), Taille de l’Homme (1933), Questions (1935) et Besoin de grandeur (1937). La biographie de référence reste celle de Georges Duplain (C. F. Ramuz, une biographie, Éditions 24 heures, 1991). <o:p></o:p>

    A. G.<o:p></o:p>


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  • S<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    i modestement que ce soit, évoquer la figure de C. F. Ramuz me paraît bien audacieux de ma part. Son œuvre est si vaste en même temps qu’essentielle ! Je la crois unique dans le monde littéraire qui n’est pas à proprement parler le sien, car elle offre de grandes similitudes avec l’univers pictural auquel la nature même de son art la configure. Enfin elle se situe au centre de la destinée humaine, du drame humain.<o:p></o:p>

    « Une seule chose est sûre, c’est qu’on est posé les uns à côté des autres, et puis c’est tout. Une seule chose est sûre, c’est qu’on doit mourir. Une seule chose est sûre, c’est qu’on est tout seul pour vivre, c’est qu’on est tout seul pour mourir. »[1]<o:p></o:p>

    « Je ne peux être heureux que méta- physiquement. »[2]<o:p></o:p>

    Ce qui m’unit à Ramuz est d’ordre intérieur. Je ne puis au mieux que relater mon approche de ses écrits, exprimer ce qu’ils furent pour moi et ce qu’ils demeurent en moi.<o:p></o:p>

    Dès les années trente, j’avais entendu parler de lui par notre maître André Charlier, et lorsque je lus La Grande Peur dans la Montagne, ce fut une révélation. Lire à quinze ans ce grave récit, c’est entrer dans un autre univers, non qu’il fût étranger au nôtre, mais simplement au delà. Charles Journet, qui admirait Ramuz et l’affectionnait, écrit fort bien qu’ « il ne faut aller aux choses qu’en regardant l’au-delà des choses… La lumière des choses est au delà des choses. » C’est ainsi que j’entrais, pour ne plus le quitter, dans cet univers ramuzien qui est l’illumination du nôtre, où « le miracle est dans le quotidien ».[3]<o:p></o:p>

    Oui, l’œuvre de Ramuz appartient plus à la peinture qu’à la littérature. Encore faut-il préciser que ce monde de l’image où il évolue, et qu’il suscite, ne s’enferme jamais dans la description à la manière d’un Balzac, d’un Flaubert ou même d’un Proust. Son image est de l’ordre de la parabole. Elle est métaphysique.<o:p></o:p>

    Je ne puis m’empêcher de noter ici ce que André Charlier écrivait dans sa jeunesse au sujet de la création, tant cela me paraît éclairer l’œuvre de Ramuz.<o:p></o:p>

    « Produire est évidemment la seule excuse de cette vie. [Il est à remarquer que dès son enfance Ramuz éprouva la nécessité de s’exprimer pour être.] À quoi bon Seigneur, cet esprit que vous m’avez donné, si ce n’est pour créer ? Cet esprit est fait à l’image du vôtre. Votre Esprit est l’Esprit Créateur par excellence en qui est contenu l’essence même des choses. Notre esprit est fait, lui aussi, pour créer. Mais au lieu de saisir les choses dans leur essence, il ne les saisit que dans leurs rapports sensibles, et son œuvre est justement de faire jaillir, d’un rapport choisi à dessein, l’éclair de réalité qui doit nous guider dans les ténèbres. »<o:p></o:p>

    Ce rapport, qui établit les choses dans leur réalité substantielle, me semble être précisément l’objet du long et patient effort de Ramuz.<o:p></o:p>

    « Toutes mes joies, dit-il, ont été dans le rapport de moi qui suis, non à ce que j’ai eu, mais à ce qui est. L’homme est né pour la contemplation ! Tous mes bonheurs sont venus de là. Avoir n’est rien, être est tout. Être parmi ce qui est… »[4]<o:p></o:p>

    « Ne cherchons pas tout d’abord à comprendre : cherchons seulement à sentir. »[5] Il faut sentir pour voir et non savoir pour sentir.<o:p></o:p>

    D’où cet admirable apophtegme : « Connaître ce n’est point démonter, ni expliquer, c’est accéder à la vision, mais pour voir il faut participer, c’est dur apprentissage. » Quel mystique ne ferait pas siennes ces paroles ?<o:p></o:p>

    À l’approche de la mort, rassemblant le peu de forces qui lui restait, il note encore dans son journal, le 26 janvier 1947 : « Continuer à ne jamais rien expliquer : c’est le centre, mais je m’y tiens d’instinct, quoi qu’il puisse m’en coûter. »[6]<o:p></o:p>

    La participation aux choses est le fondement de l’œuvre de Ramuz, et la rigoureuse adéquation du mot à la chose qu’il désigne constitue son art, dont il me semble qu’on ne connaisse pas d’équivalent.<o:p></o:p>

    la participation – Oui, le miracle est bien dans le quotidien. Ramuz le voit et il en vit. Ce mot éclaire le mieux sa personne et son œuvre, lesquelles s’identifient. Elles sont comme une même chose, non que l’écrivain se raconte, ce qui les séparerait au contraire. Il ne s’agit pas d’égotisme mais d’intériorité, une communion avec les choses qui l’entourent, si profonde qu’il y discerne l’élémentaire avec cette extraordinaire intuition de l’être qui l’anime.<o:p></o:p>

    « La plupart des gens, écrit-il, jugent qu’un spectacle est d’autant plus poétique que les sens y sont moins intéressés. Ce sont des nominalistes ; ils se méfient de leur sens, comme n’étant propre qu’à les tromper.<o:p></o:p>

    Leur « poésie » ne commence pas pour eux avec le commencement de leur personne ; elle ne commence à vrai dire que là où leur personne prend fin. Elle n’est pas dans le contact aussi direct que possible avec l’objet ; elle est dans la suppression de tout contact avec l’objet. »[7]<o:p></o:p>

    Aussi affirme-t-il : « Je n’ai jamais douté des choses, ni de leurs leçons. Elles existent en dehors de moi, d’où leur solidarité, et c’est leur permanence que je révère. Il ne faut pas les regarder, il faut les voir. Et cette vue est d’autant plus pertinente qu’elle est instantanée, car c’est de cette instantanéité même que naît l’image, et l’image est le premier contact ou n’est pas. Mais cette image étant en nous, c’est à elle à présent qu’il importe de « ressembler », par l’expression qu’on en tire. »[8]<o:p></o:p>

    La spontanéité est une des grandes constantes de l’art.<o:p></o:p>

    Au jeune visiteur Pierre Vaney qui, avec bien d’autres, se rendait à la Muette, Ramuz conseille : « Attachez-vous aux choses, sachez les voir (et non les regarder) ; ces choses auxquelles les vieux tiennent tant qu’on dit que c’est de l’avarice. Mais il faut toujours, et c’est l’essentiel, y découvrir quelque chose de nouveau. Il faut éviter que les actes coutumiers nous arrachent à la vie, et par là nous empêchent de voir et de sentir. »[9] André Charlier aimait à dire que « la règle la plus importante de la vie spirituelle est de sans cesse rafraîchir le regard que nous devons porter sur les choses essentielles. »<o:p></o:p>

    L’ordre de la vision est le premier. Ramuz exprime la vérité des choses, en posant un regard neuf sur elles, les pénétrant jusqu’à leur être même. « Le vrai étonnement est celui qu’on ressent devant l’élémentaire : on ne voyage qu’en profondeur. »[10] C’est la leçon même du peintre Paul Gauguin ; constatant « l’abominable erreur du naturalisme », il affirmait : « Dans notre misère actuelle, il n’y a de salut possible que par le retour raisonné et franc au principe. » De son côté Charlier voulait « arracher au monde le principe de sa vie profonde ». <o:p></o:p>

    Ce fut l’inébranlable effort de Ramuz en ses récits comme en ses essais. « L’homme use le monde par habitude : l’artiste répare l’usure. »[11] « Retrouver l’innocence. »[12]<o:p></o:p>

    le mot – De cette nécessaire participation aux choses est né le style de Ramuz. Lorsqu’il tente de définir une poétique, il note : « Avec les mots de tout le monde dire des choses nouvelles. »[13]<o:p></o:p>

    Il est étonnant de rapprocher cette définition de celle que Cennino Cennini – encore un peintre – donne de son art : « C’est un art que l’on désigne par le mot peindre… il veut trouver des choses nouvelles cachées sous les formes connues de la nature. » Tout l’art de Ramuz est dans cette recherche incessante et jamais dévoyée du « mot vivant parce que vrai »[14]… « Trouver le mot, le sentir vivre : et il vous bouge entre les doigts comme un poisson qui sort de l’eau. »[15]<o:p></o:p>

    Ainsi Ramuz fut conduit à une véritable révolution spirituelle – disons plutôt rénovation du verbe en tant que tel. Fait unique dans la littérature où on assiste aujourd’hui à une désaffectation du mot. Il n’est le plus souvent qu’une coquille vide, ou encore « comme une espèce de monnaie usée dont on ne distingue plus l’effigie et qu’on donne à la place des choses » ainsi que le disait André Charlier. Dans La Grande Peur dans la Montagne on trouve ceci : « Quand on ne peut pas les voir, c’est comme la pipe, les mots eux non plus n’ont point de goût. »[16]<o:p></o:p>

    Sous la plume de Ramuz peu de mots, mais ils se juxtaposent ou se répondent en une correspondance qui unit les hommes, la nature et toutes choses, à la manière de la couleur pure chez les impressionnistes, à tel point que d’aucuns ont vu dans le style de Ramuz une équivalence avec cette école de peinture. En fait si l’on peut établir un rapport entre l’emploi de la couleur des uns et celui du mot chez l’écrivain, il existe cependant une différence fondamentale, celle même que Gauguin dénonçait lorsqu’il parle des impressionnistes : « Ils cherchent autour de l’œil, dit-il, et non au centre mystérieux de la pensée. »<o:p></o:p>

    Ramuz ne se contente pas du mot vivant à la manière de la couleur pure, il le veut en outre en parfaite adéquation avec ce qu’il désigne, qu’il s’identifie comme substantiellement avec l’objet, de même que Gauguin veut que le trait épouse la forme. Il est en effet à remarquer que l’impressionnisme aboutit à une impasse pour ne s’être attaché qu’à la couleur et avoir négligé le dessin.<o:p></o:p>

    Cette analogie entre l’art d’écrire et celui du trait est telle que lorsque Ramuz spécifie la relation du mot et de l’objet, il emploie les termes mêmes qui conviennent à l’art pictural. « On dit ‘épouser les contours’ : c’est trop de pudeur. Il faut faire infraction ; il faut épouser tout court. »[17] Cette phrase enchanta ma jeunesse de peintre, et elle m’enchante toujours. Une même ascèse procède au dur labeur d’écrire et de peindre. Une ascèse dévolue à l’imagination « imaginative » qu’il ne faut pas prendre pour « inventive » et maîtresse d’erreur comme le fait Pascal.  Baudelaire la gratifie de « Reine du vrai » et Ramuz la proclame : « Reine du monde. »<o:p></o:p>

    Il faut relire les magnifiques pages sur l’imagination dans « Remarques » du n°4 des « Six Cahiers », du 15 janvier 1920 :<o:p></o:p>

     « On confond trop souvent en littérature invention et imagination. [ J’ajoute qu’on peut aussi le dire en peinture. ] Il est même de règle qu’invention et imagination sont des facultés qui s’excluent… L’imagination seule fait voir, non l’invention… Elle est un état de vie profond communiqué à la matière : comme si plus on descendait dans la matière, plus on s’élevait dans l’esprit… La richesse du monde doit être en profondeur. On doit finir par pouvoir mettre toute la métaphysique dans une table : l’image d’abord qu’on s’en fait, l’image ensuite qu’on en « a fait »…<o:p></o:p>

    « Il n’y a pas d’amour là où il n’y a pas d’imagination. Non que l’amour suppose l’imagination, mais l’amour donne l’imagination. L’amour nous fait nous quitter nous-mêmes pour vivre dans ceux  que nous aimons. C’est la plus belle des imaginations. »<o:p></o:p>

    André Charlier écrit : « On ne connaît vraiment une chose d’une connaissance « métaphysique », ou mieux « ontologique », que si on se transporte pour ainsi dire à l’intérieur de cette chose, et l’amour seul peut nous en rendre capables. » Arrêtons-nous là, et contemplons ce « besoin de grandeur »[18] qu’il y avait chez Ramuz. Il le définit lui-même : « Travailler dans le vierge, au nom et sous le signe de la seule vérité, et toute espèce de beauté vous sera donnée par-dessus. » <o:p></o:p>

    Je garde entre les pages de l’un de ses livres l’annonce de la mort de Ramuz que j’avais découpée dans un journal. Elle est aussi laconique qu’insignifiante. Qui, en 1947, supposait que la voix qui venait de se taire à jamais était celle d’un très grand artiste, mais aussi celle d’un prophète des temps modernes. Le dernier sans doute.<o:p></o:p>

     « Les temps sont révolus où l’homme avait encore  une  taille  parce qu’il  était fait  à l’image de<o:p></o:p>

    Dieu, ou bien c’étaient les dieux qui étaient faits à son image. Le drame véritable est que l’homme n’a plus de taille. »[19]<o:p></o:p>

    « Il n’y a qu’un seul malheur pour l’homme, c’est d’être séparé de l’Être. » Idée forte d’André Charlier. Non seulement Ramuz ne s’en sépara jamais, mais il en eut le zèle jusqu’au bout de sa vie, et s’y consuma.<o:p></o:p>

    Sa sœur relata les derniers instants de son frère ce 23 mai.<o:p></o:p>

    « Son cœur battait faiblement. Une grande paix s’établit ; avant que le soleil disparaisse derrière les arbres, Ramuz avait cessé d’être. »[20]<o:p></o:p>

    Non. Il est. On ne cesse d’être, telle est la grandeur de notre destin : l’éternité. Et nous qui portons sa pensée à l’intime de nous-même, nous prions pour que malgré la désespérance qui affleure ses derniers écrits, l’Être qui est Amour le tienne embrassé éternellement en son amour.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

     (Cet article est paru en 1997 dans La Nation, journal vaudois, ainsi que dans le journal Présent, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de C. F. Ramuz.)<o:p></o:p>





    [1] Le Cirque, 1931. <o:p></o:p>

    [2] Journal inédit, novembre 1920. Publié par Georges Duplain in Ramuz – Une biographie, Ed. 24 Heures, 1991.<o:p></o:p>

    [3] Journal, juin 1923. Op. cit. note 2.<o:p></o:p>

    [4] Une Main, Grasset, 1923, p. 103.<o:p></o:p>

    [5] Les grands moments du XXe siècle français, conférences données en 1915. Edition posthume.<o:p></o:p>

    [6] Journal, janvier 1947, p. 144, éd. Mermod, 1949.<o:p></o:p>

    [7] Six Cahiers, n°4, p. 68, éd. Mermod, 1929.<o:p></o:p>

    [8] Journal, novembre 1941, p. 412, éd. Mermod, 1943.<o:p></o:p>

    [9] Biographie, cf. note 2.<o:p></o:p>

    [10] Six Cahiers, n°6, p. 186.<o:p></o:p>

    [11] Les Nouvelles littéraires, 1924.<o:p></o:p>

    [12] Journal, juin 1922, cf. note 2.<o:p></o:p>

    [13] Journal, 1913.<o:p></o:p>

    [14] Journal, août 1922. Cf. note 2.<o:p></o:p>

    [15] Journal, août 1921. Cf. note 2.<o:p></o:p>

    [16] La Grande Peur dans la Montagne, p. 20, Grasset, 1926.<o:p></o:p>

    [17] Six Cahiers, n°1, p. 3, Mermod, 1928.<o:p></o:p>

    [18] Tel est le titre d’un de ses essais.<o:p></o:p>

    [19] Taille de l’homme, Grasset, 1933.<o:p></o:p>

    [20] Rapporté par Georges Duplain, op. cit.<o:p></o:p>



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  • Le monotype est une technique particulière: l'image, peinte sur verre, est ensuite imprimée sur papier puis retouchée éventuellement à la plume ou au pinceau. Grâce à l'impression, on peut jouer sur la texture du papier.
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  • Avertissement – Pourquoi présenter des extraits de la traduction d’un ouvrage religieux ? Rien de ce qui est médiéval ne saurait être étranger à une revue qui porte le doux nom de lovendrin ; la traduction ressortit à l’art littéraire, témoins saint Jérôme et Valery Larbaud. Faudrait-il une troisième bonne raison de présenter ce texte aujourd’hui, son actualité en serait une. Mais laissons la parole au traducteur. – La Rédaction<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    C’<o:p></o:p>

    est en 1171 que Jean, abbé de Sainte-Marie du Transtévère à Rome, écrivit son traité De vera pace contra schisma sedis apostolicae : il s’agissait d’aider les fidèles à retrouver la paix intérieure au milieu des dissensions. Un schisme s’était produit en 1159, occasionné par les rivalités entre la papauté et Frédéric 1er Barberousse. À la mort d’Adrien iv, des cardinaux avaient élu Alexandre iii, mais les cardinaux favorables à l’empereur avaient élu Victor iv. Le pontificat d’Alexandre iii dura vingt-deux ans ; trois anti-papes se succédèrent, Victor iv, Pascal iii et Calixte iii. La position politique de l’empereur s’affaiblissant, Calixte finit par se soumettre à Alexandre iii en 1178. Dans ces conditions difficiles, Alexandre iii fut un bon pape, théologien, grand juriste ; notons qu’il canonisa Thomas Becket et saint Bernard.<o:p></o:p>

    Une fois la crise résolue, le bon droit d’Alexandre iii est évident ; en pleine crise, ça l’était beaucoup moins, et on comprend que l’abbé Jean ait voulu, pieusement, aider d’autres chrétiens. Son ouvrage cependant fut semble-t-il peu diffusé et peu lu ; il fut exhumé et publié en 1938 par Dom Wilmart, érudit bénédictin paléographe[1]. Mais quel était l’avenir d’un texte latin paru dans une revue spécialisée juste avant guerre, et vingt ans avant la mise au rencard du fonds ancien de la chrétienté ? <o:p></o:p>

    Ce texte qui n’avait pas d’avenir a maintenant une actualité, du fait de la similitude des situations et par l’intemporalité de son argumentation.<o:p></o:p>

    Nous ne vivons pas entre un pape et un anti-pape, mais, comme les fidèles des années 1160, nous ne savons plus vraiment où est l’autorité : les évêques refusent de paître les brebis ; la papauté se flagelle elle-même au gré de ses déplacements. Qui plus est, l’abbé Jean, au delà du schisme à deux têtes proprement dit, envisage les dissensions dans l’Église en général. Que ne dirait-il pas aujourd’hui ? Au lieu de deux partis, combien en dénombrerait-il ? Modernistes, traditionalistes, charismatiques, sédévacantistes, tout ce beau monde se scindant, se subdivisant en diverses tendances et factions, dans des subtilités que les historiens auront du mal à débrouiller… <o:p></o:p>

    L’intemporalité des propos de l’abbé Jean accroît leur actualité. S’il rappelle qu’il y a un schisme entre Alexandre et Calixte, il ne se préoccupe nullement de savoir lequel est dans son bon droit, ni comment on pourrait clore le schisme d’un point de vue politique ou canonique. Nous ignorons qui, des deux papes, avait sa préférence : son objectivité est parfaite, il prêche d’exemple. Dans ce traité totalement détaché des événements, le propos est d’ordre spirituel. Nous pouvons donc faire nôtres sans difficulté ses conseils : pour commencer, que chacun veille sur son cœur.<o:p></o:p>

    Le livre I : De la garde du cœur (De custodia cordis) – Après avoir fait un parallèle entre l’incertitude du salut de Salomon et l’incertitude liée au schisme (qui est le vrai pape ?), l’abbé Jean entreprend une étude au cas par cas de différents épisodes bibliques pour démontrer que personne n’est coupable de prendre parti pour les bons ou les méchants dans une dispute ou une guerre, qu’elle soit familiale, politique ou religieuse : ce qui importe est l’intention avec laquelle on agit. La conclusion est certaine : personne ne s’est trouvé perdu ou sauvé pour avoir soutenu un parti ou s’y être opposé (xxxiv). Quittant le terrain biblique, il approfondit la question avec un exemple tiré de l’histoire de l’Église, se reportant au schisme de 498 où une partie des cardinaux élut Symmaque tandis que l’autre (celle des partisans de la réconciliation avec Byzance) élut Laurent, avant que celui-ci ne se désiste quelques années plus tard. Mais ce qui intéresse l’abbé Jean n’est pas tant le schisme que l’attitude d’un diacre en cette occasion. Voici les chap. xxxv à xli.<o:p></o:p>


    xxxv. De Pascase, diacre de la Sainte Église romaine<o:p></o:p>

    Le saint homme Pascase, diacre de la Sainte Église romaine, dont le bienheureux pape Grégoire fait mention dans ses Dialogues (i, iv, chap. 40 & 41), n’a-t-il pas été sauvé, lui qui s’opposa, je ne dis pas à un parti, mais à tous, seul et jusqu’à sa mort ? Le bienheureux Grégoire écrit de lui que « dans la dispute qui survint entre Symmaque et Laurent, dispute exacerbée par le zèle des fidèles, il vota pour l’élection de Laurent au pontificat ; vaincu par l’unanimité de tous, il persista cependant dans son idée jusqu’au jour de sa mort, aimant et préférant celui que par vote l’assemblée des évêques n’avait pas voulu à sa tête. » Et pour que tu n’ailles pas penser que Pascase, au jour ou à l’heure de sa mort, aurait reconnu sa faute comme un pénitent, le bienheureux Grégoire ajoute aussitôt, parlant de cette faute, que Pascase « ne crut pas qu’il y avait faute et, pour cette raison, ne l’effaça point par des pleurs. » Pour ce seul péché, son âme apparut non comme perdue mais comme devant être purifiée, assignée aux peines, qu’elle évita grâce aux prières du bienheureux Germain de Capoue. Quoi ? Y a-t-il un péché plus grand que de s’opposer à l’Église entière, elle contre qui les Portes de l’Enfer ne prévaudront pas ? Pourrais-je dire que ce saint homme ne s’est pas du tout opposé à l’Église, lui qui, après avoir été vaincu par l’unanimité de tous, persistant seul dans son idée, ne voulut pas céder à l’Église ? Mais, parce que son intention était non contre l’Église mais en faveur de l’Église, il mérita d’obtenir l’indulgence après sa mort. Le bienheureux Grégoire l’atteste : « Parce qu’il avait péché non par malice mais par ignorance, il put être purifié du péché après sa mort. » Tu vois que sa conscience ne lui fut pas suffisante dans la mesure où il ne prit pas soin de la considération du prochain. S’il en avait pris soin, il ne se serait pas ainsi opposé à l’Église entière. Pourquoi, selon les mots de l’apôtre, sa liberté sera-t-elle jugée par une autre conscience ? (cf. I Co 10,29) Voilà la réponse de cet apôtre : « Ne donnez scandale ni aux Juifs, ni aux Grecs, ni à l’Église de Dieu, tout comme moi je m’efforce de faire à tous en tout. » (I Co 10,32) Pascase encourut-il le châtiment pour s’être opposé à Symmaque ? Non. Mais, parce qu’il s’était opposé en mal, d’une certaine manière, il présuma beaucoup de la sécurité de sa conscience. Il encourut le danger d’une offense, parce qu’il avait moins fait attention à la conscience de ses prochains. Personne ne doit être sûr de la pureté de sa conscience à moins de se voir en accord dans le Seigneur avec les fils de l’Église. Et en effet une conscience n’est pas sans tourment, dans la sécurité de sa propre solitude, si elle ne reçoit aucune joie de la communauté sociale de la Charité. Pascase pécha par ignorance et il obtint après sa mort l’effacement de son péché.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    xxxvi. Que Pascase et le bienheureux Paul péchèrent non par malice mais par ignorance<o:p></o:p>

    Et est-ce que Paul lui-même ne pécha pas par ignorance, quand il persécuta l’Église de Dieu ? (cf. I Co 15,9) Vraiment, s’il était mort dans ce péché-là, il n’aurait pas mérité d’être purifié après sa mort. Cependant, bien que Paul ait grandement péché contre l’Église, il obtint un juste pardon parce qu’il n’avait pas péché par malice mais par ignorance, comme il l’écrit lui-même à Timothée : « Moi, naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur, il m’a été fait miséricorde parce que j’agissais par ignorance. » (I Tm 1,13) Paul obtint la miséricorde avant sa mort, parce que cela convenait ainsi ; Pascase fut purifié après sa mort, parce que cela était possible dans son cas : il avait péché moins gravement. Tous deux avaient péché non par malice mais par ignorance. Non par malice, parce qu’ils nourrissaient une bonne conscience. Est-ce qu’en effet Pascase ne nourrissait pas une bonne conscience, lui à qui le bienheureux pape Grégoire rendit un témoignage aussi insigne ? « Ce fut un homme, dit-il, d’une sainteté remarquable, toujours pratiquant les œuvres d’aumônes, honorant les pauvres et se méprisant lui-même » (Cf. Dial., op. cit) ; et encore : « Un homme possédé par le démon toucha la dalmatique de ce défunt et, aussitôt, en fut délivré ». Paul eut toujours la même conscience en persécutant l’Église, il le montre lui-même. Voilà ce qu’il écrit à Timothée : « Je rends grâce à Dieu que je sers, comme mes ancêtres, avec une conscience pure. » (II Tm 1, 3) De même aux Philippiens : « Quant au zèle, un persécuteur de l’Église ; quant à la justice que peut donner la loi, un homme irréprochable. » (Ph 3,6) De même dans les Actes des apôtres on rapporte qu’il parla ainsi devant le conseil des Juifs et des grands prêtres : « Frères, c’est tout à fait en bonne conscience que je me suis conduit devant Dieu jusqu’à ce jour. » (Ac 23,1) Vois quelle valeur a une bonne conscience devant Dieu : grâce à elle Paul obtint miséricorde de son vivant et Pascase le pardon une fois défunt. Aucun des deux cependant n’obtint miséricorde sans châtiment, puisque tous deux avaient enfreint la règle de la Charité. Paul, de son vivant, fut jeté à terre et aveuglé par une force divine venue du ciel ; Pascase fut envoyé après sa mort dans le lieu des châtiments. Ainsi leur bonne conscience ne leur suffit-elle pas, qui était tombée dans l’erreur de l’ignorance parce qu’elle s’était opposée à l’opinion charitable du prochain.<o:p></o:p>

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    xxxvii. Que le bienheureux Paul pécha plus que Pascase<o:p></o:p>

    Pourquoi Paul, s’il était mort en persécutant l’Église, n’aurait-il jamais obtenu le pardon, alors que Pascase, qui avait persisté à être contre l’Église, mérita d’obtenir le pardon après sa mort ? N’est-ce pas parce que Paul s’opposa à l’Église et à sa principale cause, tandis que Pascase, en s’opposant à l’Église, soutint totalement la cause de l’Église ? La principale cause de l’Église, c’est le Christ, contre qui Paul, avant qu’il ne soit converti, luttait avec une telle énergie que pour ce seul nom il s’efforçait de persécuter l’Église. Pascase, lui, se montra toujours fidèle au Christ et ne contredit jamais l’Église sur un article de la foi chrétienne. Car, même s’il s’opposa au pontificat de Symmaque, le pontificat de Symmaque ne fut jamais la cause principale de l’Église. Il est évident que l’Église ne vient pas du pontife, mais le pontife de l’Église. Le Christ ne vient pas de l’Église, mais l’Église vient du Christ, comme Ève vient d’Adam. L’apôtre dit ainsi aux Corinthiens : « Ce n’est pas l’homme, bien sûr, qui a été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. » (cf. Co 11,9) Le Christ est principalement la cause de l’Église ; l’Église est la cause du pontife, parce que le pontife est consacré pour l’Église. Comme le dit l’apôtre aux Hébreux, « Tout grand prêtre, pris d’entre les hommes, est établi pour les hommes. » (He 5,1)<o:p></o:p>

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    xxxviii. Que l’homme peut être sauvé sans le pontife romain<o:p></o:p>

    Le pontife romain, en tant qu’évêque du premier Siège, celui de saint Pierre, ou mieux en tant que vicaire du Christ, se trouve-t-il être la principale cause de l’Église de sorte qu’aucun fils de l’Église ne puisse être sauvé sans lui ? Que se passerait-il si, à la mort du pontife, l’ordination ou l’élection de son successeur était différée ? Est-ce que, tant que l’Église romaine serait privée de pontife, personne ne pourrait être sauvé ? Est-ce que personne ne pourrait devenir fils de l’Église ? Qui oserait dire cela à moins d’être ignare, puisque aucun prêtre ne mentionne le pontife romain à ceux qui viennent à la foi ? Tu dis qu’il est fait mention du pontife romain lorsque tu déclares croire à l’Esprit Saint et à la Sainte Église catholique ; mais qui est-ce qu’on appelle pontife romain, sinon un membre de l’Église, même si c’est l’évêque du premier Siège ou le pape de l’Église universelle ? N’es-tu pas toi aussi membre de l’Église ? Tu ne vas pourtant pas aller arracher à quelqu’un une déclaration de foi en toi ou en un autre chrétien ! La mention de l’Église s’adresse-t-elle plus au pontife romain qu’à saint Pierre ou saint Paul, pour qu’on professe qu’on croit moins à Pierre ou à Paul qu’au pontife romain ? Non, loin cette idée de l’esprit des fidèles, suivant laquelle on professerait croire en Pierre, en Paul ou en n’importe quel homme pur, alors qu’il nous faut croire, par une ferme déclaration, à l’Esprit Saint et à la Sainte Église catholique. Nous ne croyons pas en saint Pierre, et nous croirions au pontife romain ? Est-ce que, pour reprendre ce que Paul dit aux Corinthiens (cf. I Co 1,3), le pontife romain a été crucifié pour nous, ou sommes-nous baptisés au nom du pontife romain ? Bien sûr que non !<o:p></o:p>

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    xxxix. Que Pascase pécha plus en s’opposant à l’Église qu’à Symmaque<o:p></o:p>

    Il fut juste que Pascase, ce saint homme, n’ait pas encouru la damnation éternelle, bien qu’il ait été pris à s’opposer au pontife romain. Il était attaché à la tête, c’est à dire au Christ, pratiquant dans sa foi de grandes œuvres d’aumônes, honorant les pauvres et se méprisant lui-même. Il fut juste aussi néanmoins qu’il ait été puni pour un temps après sa mort, lui qui s’opposa avant sa mort au pontife romain seul contre tous, et qui ne craignit pas, croyant en lui-même, de perdurer dans sa décision jusqu’au jour de sa mort. En effet, qui parmi les hommes doit être honoré plus que le pontife romain, qui parmi toutes les personnes de l’Église présente obtient la prééminence particulière du premier Siège ? Bien qu’il faille croire, sans aucun doute, que ce saint homme ait subi ce châtiment plus parce qu’il ne céda point à l’unanimité que parce qu’il s’opposa, par hasard, au pontife romain. Puisqu’il est primordial que l’unanimité de l’Église soit toujours recherchée dans l’élec- tion du pontife, on ne concède par aucune loi ni aucune raison qu’un très saint homme puisse devenir pontife s’il fait l’unanimité contre lui.<o:p></o:p>

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    xl. Que, dans l’incertitude de ce schisme, le jugement est réservé<o:p></o:p>

    Réfléchissons avec grand soin et, dans cette réflexion, veillons sur notre cœur plus que sur toute chose, (cf. Prov 4, 23) de crainte de juger trop vite, à l’occasion de ce schisme, ceux qui s’opposent à un parti de même taille, ou plus petit, ou même plus grand – mais non envers et contre tous, même si l’homme dont on vient de parler s’opposa non à un parti mais envers et contre tous jusqu’à la fin de sa vie et cependant, grâce au pardon, mérita le nom éternel de sainteté. Donc veille sur ton cœur plus que sur toute chose, intérieurement et extérieurement. Intérieurement, pour savoir quel parti prendre dans ce schisme et ce que tu dois réprouver, en ce qui te concerne. Extérieurement, pour ne pas condamner ceux que tu auras vu ou entendu agir contre ta décision, tant ta position est incertaine. Tu dis connaître parfaitement dans ce schisme le parti légitime et le pontife romain légitime, et qu’il n’y a dans ton esprit aucune incertitude. Tu affirmes même que, si tu agissais autrement, tu serais blâmé par ta conscience et aussi par les serviteurs de la foi ; mais voilà que ton prochain s’oppose à toi qui dis de telles choses, par cette réponse ferme : « Tu prends les ténèbres pour la lumière et la lumière pour les ténèbres, puisque le parti que tu encourages n’est pas le bon mais le mauvais, et qu’il n’est pas pontife mais schismatique celui que tu croyais tel. » Son parti à lui est le bon, son pontife est le bon, il est digne, et il affirme cela avec la pureté de sa conscience et le témoignage des serviteurs de la foi.<o:p></o:p>

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    xli. Qu’il en est de même pour Apollo et Paul et pour Alexandre et Calixte : ils ne sont rien<o:p></o:p>

    Vraiment, pour moi, il n’y a rien d’autre à écrire contre les graines de contempteurs que ce que l’apôtre écrit aux Corinthiens : « Je vous en conjure, frères, par le nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, ayez tous même sentiment ; qu’il n’y ait point parmi vous de schismes. J’entends par là que chacun de vous dit : « Moi je suis pour Paul. » - « Et moi pour Apollo. » - « Et moi pour Céphas. » - « Et moi pour le Christ. » Le Christ est-il divisé ? Serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou bien serait-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » (I Co 1, 10,12-13) Toi tu dis de la même manière : « Moi je suis pour Alexandre. » Celui-là dit : « Moi pour Calixte. » Mais est-ce que Calixte, ou Alexandre, a été crucifié pour toi ? As-tu été baptisé au nom d’Alexandre ou de Calixte ? Dans la même épître, l’apôtre ajoute : « Du moment qu’il y a parmi vous jalousie et discorde, n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas toute humaine ? Qu’est-ce donc qu’Apollo ? Et qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez embrassé la foi. » (I Co 3, 3, 5) On pourrait dire de même : « Qu’est-ce que Calixte ? Qu’est-ce qu’Alexandre ? Les serviteurs par qui vous avez eu la foi. Alexandre n’est rien, s’il a planté, Calixte non plus, s’il a arrosé : car c’est Dieu qui donne la croissance. » (cf. I Co 3, 6 sq.) Si ni Calixte ni Alexandre ne représentent quelque chose, soutenir ou s’opposer à l’un ou aux deux n’est rien : ce qui compte, c’est l’observation des commandements de Dieu. Selon les paroles que répète l’apôtre aux Corinthiens : « La circoncision n’est rien, rien non plus l’incirconcision ; ce qui compte c’est d’observer les commandements de Dieu » (I Co 7,19), nous, nous pouvons dire : « S’opposer à Alexandre ou à Calixte n’est rien, soutenir Alexandre ou Calixte n’est rien, l’important c’est l’observation des commandements de Dieu. »<o:p></o:p>


    L'abbé Jean étudie ensuite les trois ennemis fauteurs de schisme : le monde, la chair et le diable, et indique comment s’en protéger : à l’aide de la sagesse céleste. Finalement, que chacun garde en son cœur la justice, la paix et la joie dans l’Esprit Saint : c’est ainsi qu’on se protège du schisme et qu’on passe de la mort à la vie. Le livre ii : De l’amour fraternel (De amore fraternitatis) – L’abbé Jean définit ce qu’est l’amour fraternel ; aimer son frère est la seule façon de demeurer dans la joie ; il ne faut donc pas s’attrister du schisme, et observer, quand le résultat d’une élection est incertain, l’exemple de Joseph et Mathias : celui-ci fut élu apôtre en remplacement de Judas, Joseph fut écarté : les chap. ix à xxvi montrent tout ce qu’on peut tirer de cet exemple, qu’on soit candidat, électeur, ou membre inférieur sans pouvoir de décision mais appelé à consentir à l’élection (c’est-à-dire à l’approuver). Cela nécessite de renoncer à sa volonté propre, qui est toute concupiscence, laquelle se détaille en volupté, avarice et vaine gloire ; et de suivre la volonté divine. L’abbé Jean, malgré quelques digressions, revient toujours à l’élection de Joseph et Mathias. Bref, personne dans le schisme n’est dispensé de la charité fraternelle, mais cette charité doit être ordonnée. Nous donnons la fin du livre ii, chap. lxvi à lxxii.<o:p></o:p>


    lxvi. De l’unanimité, de la prière et du consensus ; de la perception de l’Esprit Saint

    Tu n’auras pas la vertu d’unanimité si tu ne pries pas Dieu avec amour et persévérance ; cette persévérance à prier ne se réalise pas par une application laborieuse et continue à la prière, mais par une bonne volonté infatigable envers le Seigneur. Les fidèles de l’Église primitive persévéraient unanimement dans la prière de sorte qu’ils faisaient toute chose bonne par charité, toujours unis à Dieu par la volonté de l’esprit. (cf. Ac 1, 14) Nous avons dit plus haut que quatre choses doivent être imités chez ces fidèles : l’unanimité de la charité, la persévérance dans la prière, le consensus lors de l’élection et la réception de l’Esprit Saint. Nous avons parlé de l’unanimité de la charité, et on n’en parlera jamais assez ; mais, au sujet de la persévérance dans la prière, du consentement à l’élection et de la perception de l’Esprit Saint, et contre l’unanimité du présent schisme, il faut dire à chacun de s’enflammer, en ce temps, pour la volonté de prière, d’autant plus qu’on ne sait pas avec certitude qui a obtenu l’élection au Siège apostolique, en attendant la paix à venir par la grâce de l’Esprit Saint.<o:p></o:p>

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    lxvii. De la fin de ce schisme, lorsque l’Esprit Saint descendra violemment, donnant la paix à l’Église<o:p></o:p>

    Est-ce que quelqu’un se montre assez lâche et mou dans la foi pour ne pas détester le danger du présent schisme et pour ne pas attendre la paix dans l’Église ? Et vraiment, pour que cette paix arrive, la présence du même Esprit sera aussi nécessaire que lorsqu’elle se montra sur l’Église primitive en langues de feu répandues. (cf. Ac 2, 3) Et il n’y aura pas un bruit moins soudain lors de l’irruption de cette paix, de cet Esprit qui viendra du ciel avec violence, que celui qui se fit alors, quand il remplit toute la maison de la primitive Église, qu’on estime avoir été au nombre d’environ cent vingt personnes. (cf. Ac 1, 15) Cet allié-ci remplit l’étroitesse d’une unique maison ; celui-là remplira l’étendue du monde entier. Là l’Esprit Saint illumina du feu de plusieurs langues un cénacle ; ici le même Esprit éclairera la monde entier d’une unique lumière de paix. Là environ cent vingt personnes reçurent le Paraclet ; ici ce sera une foule sans nombre qui recevra sa consolation. Alors l’Esprit Saint distribua des dons de langues variées, comme des semences puissantes ; dans la concorde et la paix, le même Esprit Saint unira toutes les langues et tous les peuples, comme une moisson fertile. Alors une seule cité, Jérusalem, fut frappée de stupeur en voyant les charismes de l’Esprit Saint qu’elle admira ; à la grâce de cette paix qui viendra rapidement et partout, de l’orient à l’occident et du sud au nord, c’est toute l’Église qui exultera en même temps dans le même Esprit.<o:p></o:p>

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    lxviii. De la prière et de la protection du consensus, et que l’Église présente est plus aidée que l’Église primitive<o:p></o:p>

    En ce qui nous concerne, combien faut-il faire preuve de pureté dans la prière persévérante et de sincérité dans le consentement prudent à l’élection ! C’est ainsi que nous serons jugés dignes et proches d’une telle paix, si désirée, qui viendra de la plénitude céleste de l’Esprit Saint, avec une abondante miséricorde et impétuosité. Cette heureuse foule de cent vingt personnes environ n’eut pas encore la plénitude de notre société ecclésiale ; mais nous, à l’avènement de cette paix désirable, nous serons associés à tous ces participants de la charité. Nous, nous ne les aidions pas encore dans leur persévérance à la prière et aux œuvres ; eux ne cessent de nous aider nuit et jour. Nous, puisque nous n’existions pas encore, nous ne souhaitions absolument pas leur bien ; eux désirent notre bien et notre paix beaucoup plus que nous et plus ardemment, et ils luttent contre nos ennemis avec les armes de la vertu invaincue. Ils t’apportent deux instruments pour le salut : leur exemple qui t’instruit et leur protection qui t’assiste. Par ce qu’ils firent en cette vie, ils t’appellent à prier assidûment. Mais maintenant dans la gloire céleste ils t’invitent à encore plus de persévérance dans la prière, en priant sans cesse pour toi.<o:p></o:p>

    lxix. Comment on doit consentir et progresser entre les deux partis de ce schisme<o:p></o:p>

    Mais que dirais-je du consentement à l’élection, alors que, quand les électeurs sont divisés par un schisme odieux, ils offrent la coupe de mort à leurs consentants ? L’apôtre dit de telles personnes aux Romains : « Connaissant bien pourtant le verdict de Dieu qui déclare dignes de mort les auteurs de pareilles actions, non seulement ils les font, mais ils approuvent encore ceux qui les commettent. » (Rm 1, 32) Tu répliqueras : « Que faudra-t-il faire, dans le cas de cette division, si ceux qui consentent aux mauvais sont dignes de mort ? Entre ces deux pontifes, à savoir Alexandre et Calixte, je n’ose m’opposer vu que le jugement est incertain ; mais le schisme est certain, et je ne dois pas y consentir. » Mais si tu acceptais de marcher dans le chemin de la charité ordonnée, tu pourrais savoir aisément ce qu’il faut faire dans ce domaine. Aime chacun de ces deux pontifes et leurs partisans, dans la mesure où ils sont hommes et chrétiens ; mais dans la mesure où tu connaîtrais l’iniquité manifeste et le schisme de l’un ou des deux, ne les approuve pas, oppose-toi à eux tout en demeurant dans ta vocation à la charité. De même, si tu avais des doutes à leur sujet, ne juge pas, mais tais-toi ; fais valoir le bien manifeste que tu verrais en eux. Quiconque des deux aurait pouvoir sur toi, obéis-lui fidèlement, soumis avec crainte, sans cependant te heurter violemment à personne ; car, comme le dit l’apôtre aux Romains, « celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu. » (Rm 13, 2)<o:p></o:p>

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    lxx. Qu’on doit obéir aux puissances et même aux maîtres infidèles<o:p></o:p>

    Et ne dis pas qu’il faut obéir seulement à un pouvoir juste, c’est-à-dire à un maître fidèle, alors que toute puissance vient de Dieu (cf. Rm 13, 1) ; mais imite le patriarche Joseph vis-à-vis de Pharaon (cf. Gn 39), et le prophète Daniel vis-à-vis de Nabuchodonosor et Balthazar (cf. Dn 2, 48 ; 5, 29). Ils servirent fidèlement ces maîtres d’ici-bas et infidèles, n’offensant Dieu en rien, par une bonne intention, et obtenant la plénitude de grâce par de bonnes actions. C’est ce qu’enseigne le bienheureux Pierre dans sa première lettre : « Vous les domestiques, soyez soumis à vos maîtres, avec une profonde crainte, non seulement aux bons et aux bienveillants, mais aussi aux difficiles. Car c’est une grâce que de supporter par égard pour Dieu des peines que l’on souffre injustement. » (I P 18, 19) Le bienheureux Paul, dans presque toutes ses épîtres, enseigne la même chose. Il dit par exemple aux Colossiens : « Obéissez en tout à vos maîtres d’ici-bas, non d’une obéissance toute extérieure qui cherche à plaire aux hommes, mais en simplicité de cœur, par crainte du Seigneur. Quel que soit votre travail, faites-le avec âme, comme pour le Seigneur et non pour des hommes, sachant que le Seigneur vous récompensera. » (Col 3, 22-24)<o:p></o:p>

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    lxxi. De l’adoration due à un pape injuste, et que la puissance temporelle, même d’un chef inique, est juste<o:p></o:p>

    Tu diras : « Voilà que moi je sais que cet homme qui a pouvoir sur moi se dit pape et pontife injustement. Comment donc l’ado- rerais-je à la place du Christ, baisant ses pieds, lui dont je connais pertinemment l’iniquité ? » Mais une chose est de supporter, par l’ordonnancement de Dieu, en restant dans ta vocation, une autre est d’œuvrer par toi-même et volontairement. En effet Dieu, qui ne regarde pas les œuvres des corps mais l’intention des cœurs, de même qu’il a recommandé l’amour du prochain comme seul commandement, de même cherche dans ce précepte de charité toujours le plus grand profit, et c’est pourquoi il enseigne par les prophètes et les apôtres que les puissances doivent être honorées supérieurement parmi les hommes, puisqu’il en résulte un plus grand profit, quand est établi que beaucoup honorent une unique puissance. Même si celui qui a tout pouvoir sur toi est un impie, ton obéissance et ton service lui sont montrés utilement, et même si sa volonté est injuste sa puissance est reconnue juste parce qu’il n’y a pas de puissance sinon donnée par Dieu. Et comme celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu, de même celui qui obéit à l’autorité obéit à l’ordre établi par Dieu.<o:p></o:p>

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    lxxii. Comment Dieu doit être adoré et l’homme révéré<o:p></o:p>

    Vois comment il te convient d’obéir à cet inique qui a pouvoir sur toi, et même de le révérer en l’adorant. Rends à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu (cf. Mt 22, 21) : sois obéissant de corps, extérieurement, à la puissance ; et d’âme, intérieurement, à Dieu. Il est d’un grand profit d’obéir à la puissance, même d’un homme inique, et de s’acquitter de la servitude qui lui est due par l’homme extérieur tout entier. Tu progresses ainsi dans l’innocence, et tu t’élèves un peu chaque jour dans la paix et le bien. Tu donnes à tous l’exemple de la sainte humilité, tu ne cherches pas ton intérêt (cf. I Cor 13, 5), tu fais aux hommes ce que tu veux qu’ils te fassent, tu consens à la divine volonté et tu observes les droits propres à la république. On lit qu’Abraham adora un peuple infidèle, et que Jacob à cause d’Ésaü fit de même : c’est parce que, tant qu’ils n’étaient pas contraints à renier ou à offenser le vrai Dieu, ni à adorer de faux dieux, ils auraient offensé la justice elle-même, qui n’est autre que Dieu, s’ils n’avaient pas honoré ceux à qui Dieu avait confié la puissance sur eux. Il est en effet écrit (cf. Gn 23,2,6,7) que, Sarah étant morte, comme les fils de Hèt lui avaient promis une de leurs propres tombes, « Abraham se leva et s’inclina devant les gens du pays ». De Jacob il est écrit semblablement (cf. Gn 33, 1,3) que, voyant venir Ésaü, « passant devant lui il se prosterna sept fois à terre avant d’aborder son frère. » Tu constates qu’il faut montrer de la révérence et la servitude à l’égard des puissants, justes comme injustes. Fais la même chose, si tu cherches à observer la règle de dilection. <o:p></o:p>

    Cependant, sois mis en garde avec inquiétude contre le risque de faire quelque chose contre Dieu dans ta servitude ou par crainte d’un homme, ou de préférer le gain d’une rétribution terrestre à la récompense céleste, par intention. On parle de « servitude » en latin de la même manière pour Dieu et pour l’homme ; mais en grec il y a différents mots pour ces deux servitudes : la servitude à Dieu est dite « latrie », la servitude à l’homme, « dulie », et pour la même raison sont appelés idolâtres ceux qui vouent aux idoles cette servitude qu’ils devraient vouer à Dieu. Apprends qu’on n’honore pas de la même façon Dieu et les hommes. Adore Dieu en lui soumettant totalement ton esprit dans une dévotion très humble et en croyant qu’Il est lui-même le Principe et la Fin de tout bien. Honore les hommes autant que le demande une justice raisonnable, et souviens-toi qu’on doit les honorer par une inclinaison de la tête ou une génuflexion pour leur manifester corporellement la révérence accoutumée, non pour leur adresser spirituellement l’honneur qu’on doit à la divinité. C’est ainsi que vraiment ton esprit sera en paix, tant que tu ne quitteras pas le chemin de la dilection fraternelle et que tu t’efforceras au culte de Dieu par un effort absolu de la faculté propre, Dieu qu’il convient d’adorer en esprit et en vérité, comme tu le verras au livre suivant.<o:p></o:p>

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    Le livre iii : Du culte de Dieu (De cultu Dei) – À chaque livre nous nous élevons : partis de nous-mêmes (livre i), nous passons par le prochain (livre ii) pour arriver à Dieu (livre iii). Alors que le diable est division, Dieu est unité ; si par le schisme on adore le diable, c’est par la foi et la charité qu’on adore Dieu. La foi n’est difficile que pour ceux qui acceptent à contre cœur les commandements, elle est aisée pour le juste ; « de même, pour les malades qui vomissent le vin, boire est pénible et très triste, au point qu’ils le disent insipide, alors que pour les gens bien portants c’est par nature une activité bien agréable et attrayante. » (xiii) Mais la charité, elle, n’est-elle pas difficile à pratiquer ?<o:p></o:p>




    xv. De la facilité de la charité, même envers les ennemis, et combien elle enrichit<o:p></o:p>

    Tu es d’accord avec moi que cette foi est aisée ; mais peut-être affirmeras-tu qu’il est très difficile d’agir avec charité, surtout quand il s’agit d’aimer ses ennemis. Si tu n’as pas peur de dire cela, c’est sans aucun doute que tu es encore tourmenté par l’anxiété de l’esprit de ce monde. Quoi de jamais plus léger que la charité, quel amour peut être plus doux, alors qu’il porte en lui une telle béatitude qu’il récompense toujours l’esprit qu’il remplit et qu’il ne souffre pas que rien manque à sa récompense ? Enfin, comme le dit le bienheureux Léon, si éloquent, « il ne faut pas chercher une plus grande récompense que cet amour même ; en effet, la charité est tellement de Dieu que Dieu lui-même est charité. » (Sermon xcii, §3) Il ne faut donc chercher aucune récompense bien plus grande que cette charité-là, parce qu’elle est le souverain bien, ayant en soi tout ce qu’il faut et offrant en soi aux autres les dons de la grâce. Est-ce que quelqu’un s’afflige jamais ou s’attriste de se conduire vis-à-vis d’un ami ou d’un ennemi avec un pieux sentiment de charité ? Au sujet des amis, il est clair qu’on éprouve la joie et l’agrément d’être avec eux principalement grâce à la charité ; pour un ennemi, il faut dire que la charité, par laquelle on aime non seulement un ami mais aussi un ennemi, doit être comprise comme étant cet Esprit Saint dans lequel « ceux qui adorent Dieu doivent l’adorer en esprit et en vérité. » (Jn 4, 24) Il faut donc aimer son ennemi, parce qu’il en naît deux biens. Quand tu l’aimes et que tu cherches non seulement à ne pas lui nuire mais en plus à lui être utile, primo tu es rempli tout entier dans ta conscience de l’abondance de la douceur divine, secundo, la douceur de ta grâce modère son amertume, lui qui auparavant te tourmentait par ses persécutions ; ainsi, ou il en sera moins blessé, ou il jouira complètement du salut. Vois avec quelle facilité et quelle surabondance de douceurs s’accomplira l’amour d’un ennemi ! Puisque plusieurs biens s’ensuivent, par lesquels le diable est vaincu, Dieu est honoré en vérité très pieusement, et on obtient en grande partie la paix de Dieu qui dépasse toute sensation même ici-bas (cf. Ph 4, 7), de façon plus délectable que ce qu’on peut exprimer. De là vient que l’amour vrai apporte plus à celui qui aime qu’à celui qui est aimé. Est-ce qu’une mère, lorsqu’elle fait du bien à un fils aimé, ne se réjouit pas plus que le fils lui-même ? De même, celui qui est offensé est moins tourmenté par l’amertume de la haine, que celui qui hait. L’offensé peut être consolé ; l’offenseur, lui, a en retour une blessure incurable dans sa conscience qui le ronge. Tu apprendras à dépasser l’amour maternel par l’amour spirituel et intérieur ; car une mère souvent, en aimant, risque de tomber dans un inconsolable affliction, alors que celui qui aime spirituellement se réjouit même dans la tristesse, ayant dès ici-bas en lui le Saint Esprit consolateur.<o:p></o:p>

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    xvi. Qu’on jouit de Dieu dès ici-bas, et plus à l’avenir<o:p></o:p>

    En effet, Dieu, plus doux que toutes choses, qui est réellement le Dieu des choses actuelles comme des choses futures, a dispensé l’abondance de ses grâces dans l’Esprit Saint de façon à permettre à ceux qui l’honorent d’en jouir dès ici-bas, comme un père pour ses fils, ainsi qu’il nous l’a été promis, témoin Isaïe qui dit : « Est-ce qu’une mère peut oublier son enfant et ne pas s’affliger du fils sorti de son sein ? Et si elle l’oubliait, moi je ne t’oublierais pas, dit le Seigneur. » (Is 49, 15) Pour ne pas que tu aies une pensée amère au sujet de Dieu ni que tu ailles croire que quelque chose te manquera, à toi qui l’honores et le crains, Dieu lui-même, très bienveillant, te conduit par l’instrument de son psalmiste, toi qui as besoin d’être choyé. Tu trouves ainsi dans le psaume : « Goûtez et voyez comme est doux le Seigneur. » (Ps 33, 9) Ainsi, t’ayant assuré de sa douceur, il t’invite au culte d’une crainte filiale, pour que tu sentes que rien ne te manque : « Craignez, le Seigneur, vous tous ses saints, parce que rien ne manque à ceux qui le craignent. » (Ps 33, 10) Et vraiment, si tu crains ton Dieu comme un fils très aimant craint son père ou sa mère très cléments, ce Dieu qui est tout partout et présent partout – dès maintenant, l’ayant en personne et sentant que rien ne te manque, comme un fils de bon caractère, tu exulteras toujours de ses sentiments paternels et maternels – et dans le futur, comme un homme, devenu plus pleinement frère du Christ, tu recevras la perfection héréditaire de son royaume éternel. Tout cela te sera donné, non par la difficulté de quelque servitude matérielle, ni par quelque joug pesant, ni par la lourdeur de quelque charge mais par la seule grâce de ta bonne volonté, qui, comme on l’a dit, abonde dans la foi qui opère par la charité, et qui augmente ses joies non seulement en temps de prospérité et de paix, mais même en cas d’adversité et de schisme, selon ce que dit l’apôtre aux Romains : « Nous nous glorifions de la gloire des enfants de Dieu, non seulement dans l’Espérance, mais aussi dans les tribulations. » (Rm 5, 2-3)<o:p></o:p>

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    xvii. De la liberté du salut dans l’Église du Christ, en temps de schisme comme de paix<o:p></o:p>

    Tu dis vouloir, dans la foi qui opère par la charité, et honorer Dieu avec la meilleure volonté, et l’adorer en esprit et en vérité de toutes tes forces, mais tu ajoutes que le présent schisme du siège apostolique mène ton esprit à l’incertitude et à une telle confusion que tu ne peux pas maintenant librement connaître la voie du salut dans l’Église, qui souffre dans ses fondations d’une scission : elle est divisée en deux parties qui ne cessent de s’anathématiser l’une l’autre. Mais pourquoi, sous couvert de schisme, t’ôtes-tu la liberté du salut, alors que l’apôtre dit dans la seconde épître aux Corinthiens : « Où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » ? (II Co 3, 17) Mais quel est cet esprit ? Est-ce que c’est l’esprit de ce monde, qui a pour habitude d’asservir, par la tyrannie de la haine, ceux qui mentent en disant qu’ils sont l’Église du Christ ? Certainement pas ! L’ « Église », si on peut s’exprimer ainsi, de ceux qui se haïssent les uns les autres, n’est pas libre, mais seulement esclave ; alors que l’Église du Christ, où qu’elle aille, peut sembler esclave, mais elle est toujours libre, elle qui est notre mère. (cf. Gal 4, 26) L’apôtre dit ainsi aux Galates : « C’est pourquoi, frères, nous ne sommes pas les fils d’une esclave, mais d’une femme libre : par cette liberté, le Christ nous a libérés » (Ga 5, 31) ; et aux Éphésiens : « C’est une Église glorieuse, sans tache ni ride ni quoi que ce soit de ce genre. » (Ep 5, 27) Donc, en temps de paix comme en temps de schisme, l’Église du Christ est toujours glorieuse, et elle n’a ni tache ni ride, non seulement dans la mesure où elle se réjouit de la liberté de sa naissance, mais encore dans la mesure où, libérée après la servitude, elle exulte par le privilège de la grâce. Elle est la seule qui adore Dieu en esprit et vérité, qui est libre dans le Christ, de toute corruption de schisme et de péché. L’ « Église » de ceux qui se haïssent les uns les autres, si on peut s’exprimer ainsi, est la servante des pécheurs, dans laquelle, en temps de schisme comme de paix, les haines fratricides et les impuretés charnelles ne cessent de pulluler, les actes du seul vieil homme étant en elle malmenés par l’esprit de ce monde. Le schisme est dans les seuls iniques et dans ceux qui se haïssent les uns les autres : l’Église du Christ n’est pas blessée en souffrant cela, mais elle s’en sert, car, ne marchant pas selon la chair mais selon l’esprit, elle transforme la mortification de la chair en bien. Ceux qui se haïssent les uns les autres ne marchent pas selon l’esprit, mais selon la chair, et ils ne craignent pas d’éteindre en eux l’esprit, se grevant dans les persécutions contre autrui. Comme le dit dans son épître le bienheureux apôtre Jude, frère de Jacques, ceux qui « travestissent la grâce de notre Dieu en luxure, ceux qui sont mécontents, coléreux, marchant selon leurs désirs » (Jude 4, 16), en ceux-là assurément il n’y a pas l’esprit du Seigneur, et ils manquent du privilège de la liberté.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    xviii. Que seuls les pécheurs sont liés ou déliés, pas les justes<o:p></o:p>

    Tout comme ces dispositions terrestres dépendent de manière visible de la puissance sacrée de Pierre et ses successeurs, cette contrainte est ratifiée au ciel auprès de la divinité invisible, de sorte que, tant que ceux qui sont signalés dans leur sujétion sont liés du nœud de l’autorité apostolique en dehors des limites de l’Église immaculée, ils sont dans l’impossibilité de nuire, liés visiblement, et qu’ils peuvent être salutairement déliés, convertis par une pieuse volonté. Par ailleurs cette discipline de ligature ou de dénouement n’a pas été instaurée pour ceux qui ont la liberté de l’esprit de Dieu, puisque, comme l’explique Paul dans la première épître qui enseigne Timothée, « la loi n’a pas été faite pour le juste mais pour les pécheurs. » (I Tm 1, 9)<o:p></o:p>

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    xix. Qu’il ne faut pas cesser d’observer les commandements de Dieu à cause des douteuses excommunications données par Alexandre et Calixte<o:p></o:p>

    Alors, toi qui observes la foi qui opère par la charité, ne cherchant à nuire à personne et essayant, autant que possible, d’être utile à tous dans le Christ, ne t’éloigne pas du culte et des commandements de Dieu à cause de ces excommunications douteuses ; mais persévère toujours plus dans l’amour de Dieu et du prochain. Assurément, comme le dit l’apôtre dans la seconde épître à Timothée, « Dieu ne nous a pas donné l’esprit de crainte, mais l’esprit de vertu, d’amour et de sobriété » (II Tm 1, 7). Que les excommunications de Calixte et d’Alexandre soient douteuses, tu pourras le comprendre par la liberté du culte divin. Puisque en effet le culte de Dieu ne se rapporte qu’à la seule règle de l’amour, comment ne serait pas douteuse, ou l’excommunication d’Alexandre contre Calixte, ou celle de Calixte contre Alexandre, tant que le pouvoir de l’un sur l’autre n’est encore aucunement certain ? Bien que peut-être la dilection mutuelle soit en eux en ce qui concerne la conscience propre, elle ne l’est pas en ce qui concerne l’opinion publique : dans le parti d’Alexandre, on fait la réputation à Calixte et aux siens d’entretenir la haine et de ne pas marcher dans un esprit d’amour ; on dit la même chose dans le parti de Calixte au sujet d’Alexandre et les siens ; ainsi, dans les deux camps, on augmente le mal dû au schisme actuel. Puisqu’il apparaît, par ces assertions identiques, que sur ce point ni Calixte ni Alexandre n’a mauvaise conscience, tant qu’aucun des deux ne reconnaît dans le Christ qu’il offense l’autre, qui pourrait encore les juger, si ce n’est Dieu seul et son Église universelle, qui marche non selon la chair mais selon l’Esprit ? Tant qu’il n’y a pas décision certaine à leur sujet, il faut tenir leurs excommunications pour douteuses. La légitimité de chaque parti est si profondément niée qu’il ne reste rien à chacun de la puissance ecclésiastique – qui elle-même n’est pas le salut mais seulement un remède en vue du<o:p></o:p>

    salut éternel.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    xx. Que le pouvoir de lier ou délier est un remède, non le salut lui-même<o:p></o:p>

    Loin de toi l’idée que la puissance de lier ou délier soit le salut éternel (cf. Mt 16, 19 ; 18, 18), alors que sont innombrables ceux qui, ne détenant pas cette puissance, se réjouissent de l’éternité du salut chrétien ! Ils sont nombreux aussi, ceux qui ont eu cette puissance de lier et délier, et qui ne pourtant ne connaissent pas le salut éternel. Car la puissance de lier et délier n’est pas le salut des justes mais un remède pour les pécheurs, qui est donné autant par des hommes justes qu’injustes, puisqu’elle se réfère à la loi de Dieu, non à la grâce. « Le salut des justes vient du Seigneur » (Ps 36, 39), comme le chante le psalmiste ; le salut, indépendant du pouvoir des hommes, ne peut dépendre d’une sentence de servitude éternelle.<o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    xxi. Qu’aucune excommunication ne nuit à l’homme spirituel, alors qu’une bénédiction nuit à l’homme charnel<o:p></o:p>

    Si donc tu étais juste, si tu marchais non selon la chair mais selon l’esprit, tu ne craindrais aucune excommunication venue des hommes. Car, selon cette phrase de l’apôtre aux Romains, « vous n’avez pas reçu l’esprit de servitude dans la crainte, mais l’esprit de l’adoption des fils, par lequel nous clamons : Abba, père. » (Rm 8, 15) Et, qu’il ne soit pas certain de posséder le pouvoir d’excom-munication ou qu’il le possède en toute certitude, celui qui rend à ton sujet des sentences spirituelles, tu ne dois pas craindre son jugement pour une raison servile puisque lui sera davantage jugé par toi, comme le dit Paul dans la première épître aux Corinthiens : « L’homme spirituel, dit-il, juge de tout et ne relève lui-même du jugement de personne. » (I Co 2, 15) Au contraire, si tu vivais selon la chair, si tu étais agité par les désirs de l’esprit de ce monde, si tu avais un esprit de haine, que son pouvoir soit douteux ou certain, s’il t’absolvait et te bénissait de tous les agréments de sa charge, tu ne serais pas moins lié et maudit dans le ciel : tu le serais encore plus, toi l’ingrat qui reçois tant de faveurs dans ce monde.<o:p></o:p>




    Toujours dans le souci d’être explicite (« de crainte que ce que nous avons dit n’obscurcisse une intelligence pas assez prudente », xxiii), l’auteur va expliquer les notions d’homme charnel et spirituel, d’Église noir et belle, en quoi consiste le pouvoir de lier et délier, tout cela constituant les chap. xxiv à xliii. Pour finir on en arrive à cette notion essentielle : le schisme et l’hérésie sont « imputables à celui qui se trompe non avec humilité mais avec orgueil » (xlviii) et l’abbé Jean conclut avec le chap. lii, appelant encore une fois à la prudence : « parce qu’il faut tourner en meilleure part ce qui est douteux, ne porte pas un jugement de condamnation téméraire sur ce qui est caché » ; et appelant à la charité qui doit s’appliquer « aux bons et aux mauvais, aux amis et aux ennemis, aux bénis et aux maudits, à ceux qui sont dans l’union comme aux excommuniés. » Puis il prend congé du lecteur :

    <o:p>


     </o:p>Tant que tu te réjouiras du présent avec un esprit égal, et du futur avec une espérance glorieuse, ton cœur et ta chair exulteront dans le Dieu vivant (cf. Ps 83, 2), et, vraiment confiant, dans une prière pressante et familière, plein d’expérience, tu te délecteras de chanter au Seigneur avec le psalmiste : « Grande paix pour ceux qui aiment ton nom, Seigneur, et il n’y a pas pour eux de scandale. » (Ps 118, 165) Ayant achevé cet opuscule par la seule grâce de Dieu, je pense devoir avertir tous mes lecteurs d’être indulgents s’il y a dans ce que j’ai dit, par hasard, quelque chose de répréhensible, n’ayant recherché que le profit du salut et de la paix éternelle. Je les prie de ne pas tarder à me corriger, moi qui suis franchement prêt à être corrigé de tout ce qui doit l’être suivant la foi et la raison catholiques. Bien que cet opuscule de bonne volonté soit peut-être corrigible sur quelque point, je sais cependant en qui j’ai mis ma foi, et j’ai la conviction (cf. II Tt 1, 12) que personne ne peut corriger cette bonne volonté par laquelle j’ai désiré dans l’humilité du Christ être corrigé, partout où je me trouve devoir l’être.<o:p></o:p>

    <o:p> 


    </o:p>

    Le traducteur peut faire siennes ces dernières phrases. Il a achevé son travail ; les extraits donnés ici représentent à peine plus de 1/10 de l’ensemble. Selon lui, ce qui a été résumé à grands traits mérite l’attention d’une lecture intégrale. Au tour d’un éditeur soucieux de bien œuvrer (à savoir : publier le texte dans des conditions honnêtes), à son tour de se manifester. <o:p></o:p>

    Nous avons besoin de la sagesse de l’abbé Jean, peut-être plus qu’à son époque, car, tout bien pesé, existe une différence majeure entre la crise de l’Église qu’il a connue et celle que nous vivons aujourd’hui : Alexandre et Calixte étaient « en désaccord pour une question de préséance temporelle » mais ils étaient parfaitement unis « en ce qui concerne la foi du Christ » (iii, l) ; nous, catholiques, sommes en désaccord pour des questions de dogmes et de liturgie (ces deux domaines étant liés), puisque depuis des décennies se dessine une nouvelle religion qui n’a plus grand-chose à voir avec la religion qu’on disait jadis catholique. C’est dire si notre doute et notre douleur ont des raisons d’être plus aigus encore que ceux des contemporains de l’abbé Jean.<o:p></o:p>

    Amédée Schwa<o:p></o:p>

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    [Les illustrations de ce numéro sont les pentures des portes de Notre-dame de Paris, dont la première pierre a été posée en 1163 par le pape Alexandre iii, l’Alexandre auquel fait allusion notre auteur. Le pape s’était réfugié à Sens, où il resta jusqu’en 1165, ce qui explique son activité en Île de France à cette époque.]


    [1] De vera pace contra schisma sedis apostolicae, opusculum quod anno mclxxi Romae conscripsit Iohannes abbas S. Mariae trans Tiberim, Edidit Adnotavit Indicibus instruxit D. Andreas Wilmart, O.S.B., Lateranum Nova series An. IV N. 2, Facultas theologica pontificii athenai lateranensis, Romae, mcmxxxviii.<o:p></o:p>


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  • On s’en voudrait de ne pas signaler l’existence de cette belle publication : La Voix des Cultures, « journal de libre expression » qui veut « donner naissance à une nouvelle culture humaniste » et « construire des ponts entre les cultures » (Édition Paris 17e/18e, avril 2005). Ses intentions ne sont-elles pas  proches de celles de lovendrin ?<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

    Kevin et Christine (la rime est défectueuse, mais qu’importe ?) racontent leur rencontre d’un couple SDF (Mindo et Irène), dans la nuit. Nous diront-ils qu’Irène est enceinte ? Non : « Le ventre bombé d’Irène m’assomme de clairvoyance. » Je voudrais être eux pour avoir écrit une telle phrase.<o:p></o:p>

    L’article sur « une cité du quartier qui cherche la sérénité » est révélateur. « Depuis de longues années, la cité est victime d’un trafic de drogue, de <o:p></o:p>

    situations qui produisent des nuisances pour les habitants et un sentiment d’insécurité ». J’aime ces mots « sentiments d’insécurité » : ils nous montrent que, dans une société déshumanisée, les Français restent de grands sentimentaux. Page 7, je lis que les questions de coopération internationale sont « le problème qui est la source de la misère, des violences et de l’immigration. » J’avais entendu dire que l’immigration était une chance pour la France ; la voilà mise à côté des misères et violences. N’est-ce pas du fascisme larvé ?<o:p></o:p>

    Vous comprenez qu’en lisant ce journal, vous serez assommés de clairvoyance par toutes ces idées (bombées ? concaves ?). La poésie de Mokrane (« Humanité bafouée ») n’échappe pas à l’engagement. Rien que ce vers :<o:p></o:p>

    Qui êtes-vous ? Mais vous êtes qui ?<o:p></o:p>

    est une question judicieuse.<o:p></o:p>

    Amédée Schwa<o:p></o:p>


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