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  • IMAGE DU MONDE

    Lacustre. -

    à Capodimonte, sur les bords du lac de Bolsenna, haut lieu de l’histoire étrusque, lac dans lequel fut jeté sainte Christine une meule au cou... ce distributeur de strings. Une légèreté et un mélange des genres typiquement italiens.

    NOSTALGIE

    Inattendu. -

    Le vieux photographe Willy Ronis, à qui le journal du Conseil régional d’Île-de-France (juillet -août 2006) demande son coup de cœur, répond : «les émeutes urbaines». Sa réponse in extenso : «Les émeutes urbaines m’ont frappé. On voit aujourd’hui, plus qu’avant-guerre, une précarité généralisée, une angoisse, un manque de perspective. Soixante-dix ans après 1936, tout est à refaire.» L’angoisse de la montée du fascisme, certainement.

    MESSAGE

    Bruyant. -

    La teneur du premier concert parisien de Madonna (adepte, on le sait, de la Kabbale)? «Couronne d’épines sur la tête et bustier rouge, Madonna entonne «Live to tell» crucifiée sur une croix couverte de brillants rappelant une boule à facettes.» Pas de quoi choquer le clergé, donc. Puis «des images d’enfants d’Afrique défilent sur les écrans géants, ainsi que des adresses de sites internet pour des appels aux dons.» Tout le monde il est beau, i’ veut avoir des sous... Enfin sont projetées des photos de Bush, du pape, de Saddam Hussein, de Ben Laden, de Condoleezza Rice et de Hitler, pour dénoncer «la haine dans le monde». Et le journaliste d’AFP trouve bon de qualifier le tout de «message humaniste».

    TéLéRéALITé

    Béni-oui-oui. - Dans 20 mn du 30 juin dernier, un article consacré à l’émission «Le jour du Seigneur». L. Grzybowski, «qui commente les offices en direct depuis vingt ans», déclare: «Notre image est vieillotte parce qu’on filme un rituel immuable, et des curés pas toujours olé olé». Immuable, le rituel Vatican ii? Parfois olé olé les curés? Il ajoute qu’il n’est «pas facile pour les ecclésiastiques de recevoir des ordres de nos chefs de plateau femmes», ce qui surprend de la part de ces prêtres qui ont depuis longtemps renoncé à l’autorité au profit des patronnesses des équipes liturgiques. Mais qu’adviendra-t-il quand les chefs de plateau femmes iront donner des ordres aux muezzins pour filmer la prière du vendredi? Car «les 5 millions de musulmans n’ont le droit qu’à 30 minutes hebdmadaires», ce que la responsable des émissions religieuses veut «réévaluer». Mais ne gâchons pas le plaisir du père Hugues: «J’ai quitté mon abbaye pour enregistrer en studio. Ce n’est pas simple mais la télé est un excellent moyen de délivrer un message chrétien.» Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil...

     


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  • René Béhaine

    par Xavier Soleil<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p></o:p>

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    René Béhaine, né à Vervins  (Aisne) le 17 juin 1880 et  mort à Villefranche-sur-mer le 3 janvier 1966, est sans doute l’écrivain  français le plus méconnu du XXe siècle. Depuis près de 50 ans, cette œuvre et son auteur sont tombés dans un oubli profond au point que les dernières générations ignorent jusqu'à leur existence. <o:p></o:p>

    Son œuvre est immense. Comme Balzac, Zola ou Proust, il a voulu décrire la société de son temps sur laquelle il portait un regard aiguisé et surtout un jugement implacable. Car, s’il réclamait, particulièrement en tant qu’écrivain, son indépendance personnelle, il fut très loin d’être, sur le plan social, tenté par l’anarchisme.  Bien au contraire, il dénonçait le fait que plus aucun ordre ne régnât dans la société et en recherchait les causes - c’est peut-être même là l’objet principal de son œuvre . A l’instar de Balzac, il accusa la Révolution Française, fruit et ferment d’un libéralisme effréné et destructeur.<o:p></o:p>

    L’Histoire d’une Société - titre général de l’œuvre, commencée en 1904 et achevée en 1959, comprend 16 volumes Ces seize volumes aux titres étrangement symboliques sont, dans l’ordre : <o:p></o:p>

    Les Nouveaux venus (Charpentier, 1908)<o:p></o:p>

    Les Survivants (Grasset, 1914)<o:p></o:p>

                Si jeunesse savait... (Grasset, 1919)<o:p></o:p>

     « La Conquête de la Vie » (Grasset, 1924)<o:p></o:p>

    L’Enchantement du Feu (Grasset, 1926)<o:p></o:p>

    Avec les yeux de l’Esprit (Grasset, 1928, dans la collection des Cahiers Verts dirigée  par Daniel Halévy), <o:p></o:p>

    Au prix même du Bonheur (Grasset, 1930) <o:p></o:p>

    Dans la foule horrible des hommes (Grasset, 1932, avec des gravures d’E. Bracquemond)<o:p></o:p>

    La Solitude et le Silence (Grasset, 1933)<o:p></o:p>

     Les Signes dans le ciel (Grasset, 1935, dans la collection « Pour mon plaisir »)<o:p></o:p>

    O Peuple infortuné (Grasset, 1936)<o:p></o:p>

    Le Jour de gloire (Mercure de France, 1939)<o:p></o:p>

    Sous le char de Kâli (Laffont, 1947)<o:p></o:p>

    La Moisson des Morts (Editions du Milieu du Monde, 1957)<o:p></o:p>

    L’Aveugle devant son miroir (Editions du Milieu du Monde, 1958)<o:p></o:p>

    Le Seul Amour (Editions du Milieu du Monde, 1959)<o:p></o:p>

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     L’œuvre de René Béhaine fut, entre les deux guerres mondiales, saluée par une partie de la critique. Ainsi Léon Daudet, codirecteur de l’Action Française et grand découvreur de talents, lui consacrait, après la parution d’Avec les Yeux de l’Esprit, un long et élogieux article, recueilli dans le 8e volume de la série Ecrivains et  Artistes, et qui débutait par ces lignes : « Trois noms - je le répète une fois de plus – dominent le roman contemporain, ce roman que l’on dit mourant et qui commence seulement sa vie seconde, celle des interprétations de la vie et de l’âme : Marcel Proust, Bernanos, René Béhaine. » Et un peu plus loin, ces remarques qui montrent une véritable compréhension de cette œuvre originale : « Ce n’est qu’ à la réflexion et comme au second goût, que cet enveloppement de remarques  brûlantes, originales et  vraies exprimées dans un  style réticent, racinien (du Racine en prose) commence à agir, à impressionner, à dominer le lecteur. Alors vous reprendrez ces pages éclairées d’une entre-lueur de crépuscule estival, et vous descendrez en elles avec une impression  de douceur compréhensive et de chatoyante euphorie. Elles s’imposeront à vous, elles vous hanteront, par une espèce de sortilège, à la fois sensible et mental. Elles se  saisiront de votre mémoire. » <o:p></o:p>

    Il fit la connaissance du grand mécène Jacques Guérin, puis, à la fin des années 30, celle de Pierre Guillain de Bénouville, alors camelot du roi, qui devait devenir l’un des chefs de la Résistance intérieure ; l’un et l’autre le soutinrent jusqu’à la fin de sa vie et l’aidèrent à publier ses trois derniers livres.<o:p></o:p>

    Albert Feuillerat (1874-1953), beau-frère de Paul Bourget et Directeur des études romanes à l’Université de Yale, a tracé de René Béhaine, dans le Bulletin des études françaises (Montréal, mars 1942) un portrait admiratif, tant de l’homme que de l’écrivain   dans lequel je relèverai cette appréciation synthétique : « Sa critique de la bourgeoisie déchue s’est épanchée dans une suite de tableaux significatifs, vigoureusement brossés, à la composition desquels ont collaboré un observateur perspicace, un moraliste passionné et un humoriste narquois qui prend plaisir à montrer l’humanité toute nue, dans ses contradictions et ses ridicules - l’ensemble composant une vaste fresque qui complète celle que Proust nous a léguée de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie à la même époque. » Faisant justice des imputations d’une critique malveillante, son article est intitulé : Un précurseur de Marcel Proust : René Béhaine. <o:p></o:p>

    Signalons enfin que la première partie de l’œuvre a fait l’objet d’une thèse de Viviane Smith intitulée « la première manière de René Béhaine » (Doctorat d’université, Paris-Sorbonne 1978 ) dont on retiendra la conclusion : « Cet univers romanesque allie de façon déconcertante un personnage central d’une idéologie réactionnaire à des procédés romanesques divers, inventifs et précurseurs. Le climat du texte l’emporte sur le déroulement du récit, ralenti jusqu'à l’immobilisme. Les traces d’un humour corrosif donnent un relief plus aigu aux analyses cruelles. L’auteur s’est risqué à la phrase longue, difficile à lire, qui retient les uns et décourage les autres. Enfin, en creusant le particulier d’une âme, celle de Michel, le romancier rejoint le général, procédé romanesque également précurseur. Le lyrisme de Michel, antihéros qui se veut héroïque, retentit comme la complainte, proférée devant le tribunal du lecteur, de la condition humaine tout entière»<o:p></o:p>

    « Idées réactionnaires… procédés romanesques inventifs et précurseurs… » A l’époque où étaient publiés les romans qui donnèrent lieu à ces appréciations, le grand public se délectait à la lecture des derniers  épigones de Zola : Jules Romains, Duhamel et autres Martin du Gard.<o:p></o:p>

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    Après la guerre, Béhaine a été signalé, le 24 août 1960, aux lecteurs de Carrefour par un article de Maximilien Vox, intitulé « Un romancier de génie, René Béhaine » ; à ceux des Nouvelles Littéraires, le 13 janvier 1966, par un article de Ginette Guitard-Auviste  dont le titre était : « Histoire d’une Injustice » ; dans Ecrits de Paris de mai 1960, Yves Gandon publiait « Explication de René Béhaine » ; enfin, plus récemment, Jean Mabire insérait dans sa série Que lire de National-Hebdo « René Béhaine, la « comédie humaine » d’un siècle tragique ».<o:p></o:p>

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    Comme Balzac, Béhaine a eu, dès sa jeunesse, des rapports difficiles avec la société, à commencer par sa famille. Mais, comme lui, il n’a jamais dévié de sa route, ni de l’objet de son étude et, comme celui-ci sa Comédie Humaine, il a pu mener à son terme sa volumineuse Histoire d’une Société.<o:p></o:p>

    L’objet général, voire unique, de cette œuvre est  la recherche, d’abord implicite, puis, de plus en plus explicite, des conditions d’existence de la civilisation. D’où un lent travail d’approche qui est une longue étude des milieux dans lesquels cette recherche s’exercera. Et déjà commence cette critique à la fois angoissée et impitoyable, non tant d’une société décadente que des lois qui ont déterminé cette décadence à laquelle nul ne peut ni s’opposer, ni survivre. Petit-fils spirituel d’un Bonald, Béhaine rappelle inlassablement les règles d’or qui font l’unité d’une Patrie, d’une province, d’un métier, d’une famille alors que les lois en vigueur depuis la Révolution française n’ont engendré et n’engendreront jamais qu’uniformité et asservissement.<o:p></o:p>

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    Comme Proust, il s’est créé un double qui lui permet tout à la fois de décrire de l’intérieur les milieux dans lesquels lui-même, Catherine, puis leur couple, ont évolué et de juger les coutumes, les partis pris et les préjugés de ces mêmes milieux. Ainsi, cette suite romanesque n’est-elle pas vraiment l’histoire d’une société ; on n’y trouve pas de types sociaux comme dans la Comédie Humaine. C’est, à la vérité, l’histoire morale d’une société, une suite de jugements sur des comportements, une représentation mentale de la vie sociale et de sa moralité. Béhaine ne décrit pas un monde comme Zola, il n’en construit pas un plus réel que la réalité, comme Balzac, ou semi-onirique comme Jouhandeau : il a pour but de « faire l’histoire psychologique de son temps » dont il a cherché à représenter, à travers l’enfance, puis l’adolescence, de Michel et de Catherine, « les deux mouvements si différents de la société française, composée d’une foule sans passé au milieu de laquelle subsistent  quelques îlots d’une humanité devenue différente, comme des bouquets d’arbres dans une plaine déboisée », écrit-il dans la préface de La Conquête de la Vie en 1924.<o:p></o:p>

    C’est dans cette même préface qu’il s’explique sur son style. « La phrase écrite n’est, pour le lecteur ordinaire qu’une transposition à peine modifiée de la phrase parlée. Qu’une idée la gonfle, lui donne de l’ampleur et du poids, la gêne et presque la surprise qu’il en éprouvera lui fait conclure aussitôt qu’il y a là une faute... Mais il en est d’autres dont le suffrage sérieux est le seul qui compte, et c’est à ceux-ci que je veux m’adresser. C’est à ceux qui, le livre ouvert, osent et savent suivre avec patience le développement de la phrase qui s’ajuste et s’accorde à la méditation de leur esprit. Le soir tombe, on relit la page, on se cherche dans ce miroir que vous tend l’expérience et qu’a coulé pour vous, dans la retraite et le silence, un cœur si proche du vôtre, qu’on ne connaîtra jamais... » <o:p></o:p>

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    C’est à chaque épisode, presque à chaque page que l’auteur nous invite à un double saut dans le temps : en effet, au temps implicite de l’écriture s’ajoutent à la fois celui du récit et celui du temps, passé ou futur, évoqué par ce récit. On comprendra mieux cette double démarche à la lecture de la page ci-après dans laquelle Michel raconte une difficile promenade en montagne avec son petit garçon. Il entend tout d’un coup celui-ci pleurer.<o:p></o:p>

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    « Ce désespoir était si inattendu chez ce petit enfant qui ne se plaignait jamais, qu’il semblait que la cause en fût ailleurs et débordât l’instant présent. Peut-être, en effet, l’effort excessif qu’il lui fallait fournir lui avait-il rendu le sentiment de toutes les tristesses de cet autre chemin où, sans ménagement comme sans prudence, son père l’entraînait depuis qu’il était né, et avait-il eu une subite prescience de l’avenir qui l’attendait ? Mais si Michel ne se rendit pas compte des raisons profondes d’une défaillance qu’il attribuait tout simplement à une fatigue passagère, quelque chose en lui, situé au-delà de sa conscience, les avait sans doute perçues, puisque, plus tard, montant seul cette fois, perdu dans le plus affreux des songes, une pente couverte de broussailles, l’image de celle que, vingt ans plus tôt, par un chaud matin d’été, tous deux avaient gravie avec tant de peine côte à côte, devait, comme si l’une expliquait l’autre, reparaître brusquement devant ses yeux, chargée d’un sens secret qu’il découvrirait seulement. »<o:p></o:p>

    Les trois temps sont ici bien marqués : celui du récit lui-même, puis le temps de l’écriture où Michel analyse les causes du chagrin de son fils et, enfin, cet autre temps évoqué dont on arrive à croire - suprême habileté de l’écrivain - qu’il se situe au-delà des deux autres.  Léon Daudet notait : « On dirait qu’il a déjà vécu une première vie, dont il se souvient dans une seconde existence... »  <o:p></o:p>

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    Les deux premiers volumes de l’Histoire d’une Société établissent les bases de l’édifice : Les Survivants, c’est la famille de Laignes, celle de Catherine, prise deux générations plus haut ; Les Nouveaux-venus, celle de Michel, également étudiée dans ses racines. <o:p></o:p>

    L’idée même de cette symétrie est simple et sa mise en œuvre peut sembler facile, mais il ne faut pas perdre de vue que ces évocations rapides, mais précises, préfigurent les principaux traits de caractère de nos deux héros : la ténacité, l’ordre, d’un côté, celui de Michel, l’insouciance et le manque de volonté de l’autre, du côté de Catherine, et qu’elles posent les prémisses d’une dualité, pour ne pas dire d’une lutte dont on n’est même pas sûr qu’elle finisse au terme de cette épopée, puisque l’unité ne peut être trouvée sur cette terre, dans cette vie.<o:p></o:p>

    Lus avec intérêt, on les oublie pourtant bientôt pour s’attacher à l’aventure personnelle des deux héros à la faveur de laquelle Béhaine trouve à la fois son style, son rythme en même temps qu’il développe ses idées personnelles sur le mariage, l’armée, les institutions sociales et les ressorts, souvent secrets, de leur fonctionnement, les conditions de la naissance et du développement de la vie et, en ce qui concerne l’homme, de la civilisation. Et c’est là que, peu à peu, nous le voyons avec admiration rejoindre, tant par l’acuité de sa pénétration psychologique que par la profondeur de ses réflexions générales, la pléiade des grands écrivains de l’époque, un Proust, un Faulkner, un Joyce - et, avant eux, un Balzac, un Melville, un Dostoïevski. <o:p></o:p>

    Léon Daudet, pour le citer encore une fois, écrivait : « A la différence de Proust, et à la ressemblance de Bernanos, Béhaine est synthétique, non analytique, et il procède par tableaux d’ensemble, successifs, d’une vigueur égale à leur simplicité... Il est le peintre des ensembles, des rassemblements de la circonstance, du cœur, de l’esprit. Son dernier ouvrage [il s’agit d’Avec les yeux de l’Esprit], comme les précédents, fourmille de ces inclusions merveilleuses, qui ne sont pas digressives, comme chez Balzac, qui se rapportent en plein au thème central, mais qui donnent de la hauteur, de l’espace et de l’air. »<o:p></o:p>

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    Revenant beaucoup plus tard sur la longue entreprise qu’il avait menée à son terme, René Béhaine pouvait écrire à son ami Sylvain Monod : « J’ai entrepris de relire l’Histoire d’une Société que je n’avais jamais relue. L’impression que j’en ressens est bouleversante… Comment ai-je pu me souvenir de toutes ces images que j’ai un jour réfléchies : car si je dépeins un milieu, une heure, rien n’est inventé. Ce jour-là, il y avait un ciel pur, la pluie tombait, et rien n’est imaginé dans les images que j’en donne… » <o:p></o:p>

    Et un peu plus tard (lettre du 13 août 1963) : « Je relis et recorrige pour la deuxième fois l’Histoire d’une Société, et vous me connaissez assez pour savoir que je n’ai ni orgueil, ni vanité. Mais je me rends compte de l’importance exceptionnelle de cette œuvre qui, sans une édition définitive, peut disparaître. Je ne crois pas, surtout en ce temps où un monde s’écroule, à la durée indéfinie d’une œuvre, qu’elle soit musique, peinture, littérature. Si elle est grande, elle a droit pourtant à un prolongement sans lequel son action serait perdue.<o:p></o:p>

    Ainsi, à la pensée qu’un tel effort aura été inutile et vain, je sombre dans une détresse qui aura été le couronnement d’une vie si tragique… Mon œuvre aurait cependant pu et pourrait avoir son prolongement normal, car, ce qu’aucun critique n’a  vu ou n’a osé voir, ce n’est pas une suite de romans, ce sont les mémoires exacts d’un temps… »<o:p></o:p>

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    René Béhaine est mort en 1966, deux ans avant une nouvelle révolution qui préluda à une inversion des valeurs sans précédent, semble-t-il, dans l’histoire de l’humanité, mais préparée par une série de reniements dont peu d’esprits avaient mesuré les conséquences et qui obéissaient à ce plan du Mal dont parle Béhaine à plusieurs reprises, en en désignant presque nommément les auteurs.<o:p></o:p>

    Pour bien connaître sa pensée, il faut lire, dans les derniers volumes, les pages que Béhaine avait, malgré les pressions, et au risque de n’être pas édité, refusé de supprimer, - celles relatives à la Révolution française, à la démocratie, à la Révolution russe, à l’Action Française, au procès de Léon Daudet après l’assassinat de son fils Philippe (procès auquel il avait assisté), au Front populaire, à la « Libération ». Quelque puissants que soient les censeurs du jour, ces pages et quelques autres ne peuvent être arrachées d’une œuvre à l’intelligence de laquelle elles sont profondément nécessaires, car, d’une part elles font partie du témoignage que l’écrivain a voulu porter sur la société au sein de laquelle il a vécu ainsi que sur les causes de son irrémédiable déchéance, mais, d’autre part, elles forment le nécessaire contrepoint de ces pages magistrales où il rappelle la nécessité de la Monarchie capétienne, celle de l’aristocratie ainsi que l’irrésistible déclin d’un peuple qui, conduit par de mauvais bergers, tourne le dos à des valeurs qu’il considère comme vitales.<o:p></o:p>

    On comprendra aisément comment un tel esprit, doué de telles qualités, a pu, après avoir été reconnu par ses pairs dans la période de relative liberté d’esprit que furent les années d’avant-guerre, être totalement rayé du paysage intellectuel français à l’avènement de la démocratie totalitaire qui a suivi les années 1939-1945. <o:p></o:p>

    Toutefois, il demeurait désespéré à la pensée que son œuvre, dont il avait pu mener à bien la correction et qu’il considérait comme un monument de l’esprit humain, mais aussi comme un témoignage capital sur la société de son temps, ne serait pas rééditée et sombrerait dans l’oubli. L’expérience qu’il avait faite aurait été inutile et les vérités qu’il avait contribué à dégager perdues pour une humanité à laquelle même les progrès techniques les plus extraordinaires ne permettraient pas d’échapper à une barbarie désormais inéluctable. « Même si le pire devait arriver... » pensait Maurras, - pour Béhaine, le pire était désormais une certitude.<o:p></o:p>

    Comme celle de Maurras, son oeuvre est un rempart contre la bêtise et la lâcheté. Et, s’il est vrai, comme l’écrit Kléber Haedens dans la préface de son Histoire de la Littérature française, qu’ « un seul lecteur peut rendre un auteur plus important que cent mille », nous souhaitons comme il le désirait ardemment et comme il ne lui parût pas tout à fait impossible que cela arrivât un jour, que l’Histoire d’une Société atteigne enfin le public qu’elle mérite et soit reconnue par lui comme l’un des grands classiques du 20e siècle.<o:p></o:p>

    Elle est aussi, et peut-être surtout, un témoignage, - et notre lecture de ce témoignage est aggravée de tout le poids de celui qu’à notre tour nous pouvons porter - que, de façon irrémédiable, la pesanteur l’a emporté sur la grâce. Car, il ne s’agit même plus de la disparition d’une civilisation, mais du fait que la voie dans laquelle s’est engagée l’humanité tout entière interdit la naissance ou la renaissance de toute civilisation.<o:p></o:p>

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    Extrait de l’introduction aux Pages choisies de l’Histoire d’une Société

    présentées par Xavier Soleil, avec une lettre de Michel Déon de l’Académie Française

    (Editions Nivoit 5 rue de Berry 36250 Niherne, juin 2006 – prix : 28 euros, port compris ).<o:p></o:p>

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  • La mosaïque semble un art lointain: byzantin; et quand elle est proche de nous géographiquement, c’est par le temps qu’elle paraît lointaine : antique, médiévale – là encore, plus orientale qu’occidentale. Curieusement, la technique la plus moderne n’est pas sans rapport avec la mosaïque: le pixel (

    picture element, l’ «atome» d’une photographie numérique, l’élément irréductible) est le descendant de la tesselle, le petit cube de pierre. La comparaison s’arrête là : car dans le numérique plus il y aura de pixels, plus la définition sera bonne, tandis que dans la mosaïque le morcellement extrême des tesselles et le raffinement des détails sont la marque d’une pratique décadente, de l’abandon de l’esprit de la technique. La mosaïque se doit d’être de mauvaise définition. Son caractère fruste et naïf est le gage de sa fraîcheur. Cette fraîcheur se retrouve dans les œuvres de Marie-Agnès Mathieu, exemple de la pratique contemporaine d’une technique primitive.

    Lovendrin.— Vous êtes jeune, mais juxtaposer de petits cailloux, à votre âge ! Comment êtes-vous venue à cette technique si particulière ?

    M.-A. MATHIEU.— Le hasard et une certitude en sont la cause. La certitude que si je voulais continuer à travailler dans l’atelier où j’ai appris le b-a-ba du dessin, il me fallait trouver une technique autre que le dessin pur. Le hasard : lors d’un voyage en Italie je suis restée éblouie devant les mosaïques de Ravenne. Elles étaient aussi fraîches qu’une rose, époustouflantes de jeunesse et de dynamisme. Elles n’avaient que 1400 ans.

    Lov.— Quelle formation avez-vous suivie ?

    MAM.— Délibérément, je n’avais pas voulu entrer aux Beaux Arts de Marseille après mon bac. Je suis partie dans un atelier d’art privé dirigé par Albert Gérard. Je n’ai pas été déçue : là j’ai pu réellement apprendre à dessiner. Et puis j’aimais cette atmosphère d’atelier où mille projets naissaient, où il fallait toucher à toutes sortes de techniques. En ce qui concerne la mosaïque, je suis allée par deux fois en Italie à la CISIM près de Ravenne où on enseigne la technique. Après, la pratique, l’expérience ont fait évoluer ma technique et maintenant elle ne ressemble plus beaucoup à celle que j’ai apprise.

    Lov.— Grosso modo, quelles sont les étapes d’une réalisation ?

    MAM.— Tout commence par écouter le commanditaire. Quelqu’un qui veut un pavement à l’entrée de sa propriété, qui veut orner une niche vide, un oratoire. Ce sont toujours des projets liés à l’architecture : maison, église, terrasse, piscine, fontaine… Pour cette raison il faut observer le lieu de pose, les matériaux de la construction, les couleurs, la lumière, l’exposition. Il faut cerner le dessein du commanditaire, connaître ses goûts. Ar

    rive alors le temps de la création. Je dessine et peins la maquette, en général à l’échelle. Pour s’aider on la dispose à l’endroit où la mosaïque sera placée, cela permet de mieux déterminer la composition et les couleurs. Souvent plusieurs maquettes sont nécessaires.

    Lov.— Et une fois que l’artiste et le commanditaire sont satisfaits du projet ?

    MAM.— Commence alors la réalisation en atelier, à l’envers, sur papier kraft. Un travail de patience et d’émerveillement : les couleurs qui changent d’intensité en fonction de la couleur voisine, les rebuts de coupe les plus biscornus qui trouvent leur place à côté des tesselles bien cubiques – sans eux la ligne n’aurait pas bien tourné, le dessin aurait été raide et sans vie.

    Lov.— Pierre, pâtes de verre, quels matériaux ont votre préférence ?

    MAM.— Les deux, et les autres : galets, dalles de verre, smalt, débris de vaisselles, coquillages… Le plus important est de bien choisir ces matières en fonction du lieu où elles seront incorporées, au sol, dans un mur, une cavité, etc. Une mosaïque réussie est une mosaïque qui semble être là depuis toujours.

    Lov.— Je reviens en arrière : vous avez dit que la réalisation a lieu « à l’envers ». N’est-ce pas compliqué, ou trompeur ?

    MAM.— Non, Chaque tesselle est collée sur sa face, puis quand le panneau est achevé je coule un mortier sur l’envers. Le tout est retourné, le papier kraft enlevé et les tesselles nettoyées des traces de colle. L’œuvre est faite. Il ne reste plus qu’à la poser dans le lieu défini. Le collage se fait avec des colles de carrelage très efficaces, qui garantissent un très bon accrochage. Pour des petites mosaïques, on peut utiliser des colles à base de résine, plus légères.

    (Propos recueillis par Samuel.)

    Contact: M.-A. Mathieu, La Vialle, 84330 Le Barroux

    ou en nous contactant par e-mail

     

     

     


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  • Les journées de ceci, les années de cela, sont tout ce que la Modernité nous offre en guise de calendrier sacré. Commence ainsi fin septembre MMVI « l’année de l’Arménie en France ». Consentons-y ! en mettant à contribution un auteur déjà connu de nos lecteurs : le cabaliste et cryptographe Blaise de Vigenère. (cf. lovendrin n°12, p.4) La cryptique le porte à étudier les alphabets autres que latins : une écriture inconnue n’est rien d’autre qu’une écriture chiffrée. Voilà pourquoi à la fin du Traité des Chiffres (1586) il fait état des alphabets arménien, copte, géorgien, indien, nubien, chinois, japonais…

    Son époque le sert merveilleusement : le xvi

    e européen voit arriver de toute part les récits de voyages. Non qu’on n’ait voyagé et raconté auparavant ; mais désormais on va beaucoup plus loin et l’imprimerie assure aux récits une diffusion amplifiée. Aux récits, ainsi qu’aux instruments linguistiques. Par exemple, Blaise de Vigenère a pu voir à Venise un dictionnaire du « jargon des gueux & bohémiens » (p. 34), langage « forgé à plaisir ». Il a appris par les narrations des conquêtes de Cortès l’existence des écritures amérindiennes dont les signes sont « des figures d’hommes & d’animaux » (p.11), et celle des cordelettes péruviennes « nouées à guise de patenôtres de diverses couleurs selon les choses qu’ils voulaient représenter ; le nombre desquels nœuds au reste marquait les ans que leurs Ingues ou Caciques avaient régné. » (p.11) Les Arméniens ont eu des livres imprimés dans leur langue dès 1512 à Venise. Le premier contact de Vigenère avec ces caractères doit dater de ses séjours en Italie. Imprégné de la méthode des polygraphes du temps, même s’il n’a pas l’ambition encyplodédique de Cardan ou Scaliger, il n’imagine pas livrer un alphabet lointain sans donner d’abord des renseignements concernant l’histoire, la géographie, la religion, les coutumes. Il pique partout avec plus ou moins d’ordre : les auteurs antiques (Pline l’Ancien), les chroniqueurs, voyageurs, passés et contemporains (Marco Polo, Josaphat Barbaro). La méthode des compilateurs du seizième a ses défauts : les renseignements perdent en exactitude en passant d’un auteur à un autre, quand ils n’étaient pas erronés dès le départ. Malgré tout, malgré l’anarchie des détails donnés, les inexactitudes éventuelles et la volonté, parfois, d’en rajouter pour épater le lecteur, on ne peut rester insensible à cette curiosité européenne pour le monde immense qui se découvre alors, mais aussi pour les terres plus proches qu’à l’occasion des voyages par voie terrestre on redécouvre.

    En route, donc, pour l’Arménie. Le texte appelant des éclaircissements, voire des élucidations, nous avons dû faire oeuvre de métaphraste - en espérant ne pas alourdir la lecture.

    Texte de Blaise de Vigenère

    Reste à cette heure de poursuivre ici tout d’un train les alphabets des nations qui ont pris l’ordre & suite des lettres Grecques ; ensemble leurs appellations : & premièrement des Arméniens, peuple autrefois venu des Araméens, que Pline liv. 6 chap. 17 prend pour les Scythes. Ils ne vivent pas seulement en la grande & petite Arménie, mais par tous les pays en général des Mahométistes, avec de bien grandes immunités et franchises ; car il ne se fait point d’esclaves d’eux comme des autres peuples Chrétiens, par un privilège spécial à eux octroyé du législateur Mahomet, pour l’avoir quelquefois reçu & traité débonnairement ; & aussi qu’ils étaient Nestoriens comme lui, auquel erreur ils persistèrent jusques au temps du Pape Eugène III environ l’an 1150. Ce sont au reste bonnes gens & paisibles, la plupart vignerons & jardiniers, des meilleurs de tout le levant : mais il y en a aussi de marchands fort riches, qui font de grands trafics de côté et d’autre, en camelots, mocayars, toiles de coton, draps de soie ; d’or & d’argent ; & tapis exquis de Perse, Bourse, & du Caire. Ils portent des dolimans ou longues jupes, & des cafetans, robes longues à mettre par-dessus, presque conformes à ceux des Turcs ; le Turban aussi tout de même, mais billebarré de blanc & rouge. Geoffroy de Villehardouin au 8 de son histoire, met que du temps que les Français & Vénitiens ligués ensemble conquirent Constantinople, ils firent tout plein de bons services au Prince Henri, frère du Comte Baudouin de Flandres, élu lors le premier Empereur Français, de la Grèce, pendant qu’il faisait la guerre aux Grecs de l’Anatolie, près la ville de Landrimiti, il y peut avoir quelques 380 ans : Mais comme il fut repassé en Europe, eux qui le suivaient étant demeurés derrière avec leurs ménages en nombre bien de vingt mille âmes, furent acconsuivis des Grecs,

    & tous jusqu’aux femmes & petits enfants taillés en pièce sur la place. De fait ils ont été de tout temps si mortels ennemis des Grecs, qu’ils s’allieraient plutôt aux Juifs et Mahométans qu’avec eux ; tant pour l’infamie qu’ils en reçurent autrefois, les ayant rejetés de leur communion comme hérétiques, que pour ce qu’ils conviennent en la plupart de leurs traditions & cérémonies avec l’Eglise Romaine ; mais ils ressentent encore je ne sais quoi de leur ancien Nestorisme. L’Arménie au reste a été de fort longue main divisée en deux ; la grande, & petite : Celle-là appelée à cette heure la Turcomanie, dont le Sophy en possède la meilleure part ; car même la ville de Tauris capitale maintenant de tout son empire, y est située, confine devers le Septentrion à la Zorzanie, & la Mengrelie ; au levant, à la mer Hyrcanique, autrement Caspienne, & d’Abacuc, & à la Médie ; au midi, elle a la Mésopotamie & Assyrie ; & au Ponant, le fleuve d’Euphrate, & la petite Arménie. Au milieu de la grande il y a une montagne fort haute, en tout temps couverte de neige, dont le circuit contient deux bonnes journées de chemin ; au haut de laquelle l’on dit que l’arche de Noé s’arrêta après le déluge universel, parquoi on l’appelle encore à cette heure Thoura aram Noé, La montagne de Noé en Arménie, qui en Hébreu est dite Aram. La petite Arménie est bornée du mont du Taur, en leur vulgaire Corthestan, de la Galatie, Cappadoce, Paphlagonie, & la mer majeure ; maintenant réduite presque toute sous l’obéissance du Turc. Quelques uns la veulent confondre avec la Cilicie, qu’on appelle Caramanie, & en plusieurs endroits de Chalcondyle, Aladoly ; mus de ce que la ville de Séleucie, maintenant Silephica, qui sans doute soulait être anciennement de Cilicie, est comprise pour le jourd’hui dedans la petite Arménie ; laquelle prit ce nom-là environ l’an 1230 que deux Princes appelés Rubin & Léon frères de l’Infante Arménie, lui donnèrent son nom, l’ayant retirée des mains des Turcs, lesquels s’en étaient emparés. Car quand ils sortirent de la Tartarie, les Arméniens furent les premiers assaillis & troussés par eux, si qu’ils perdirent leur Royaume ; néanmoins ils continuèrent toujours du depuis en la foi Chrétienne, où ils se sont si constamment maintenus, que même nommant un Arménien par tous les pays du Turc, on entend soudain par là un Chrétien ; mais quand ils se Mahométisent, ils perdent ce nom d’Arménien. Quant à leur créance & religion d’aujourd’hui, nonobstant qu’ils diffèrent en certaines choses de l’Eglise Latine, si sont-ils bien plus éloignés de la Grecque : car pour toujours s’en plus diviser, et des Syriens aussi qui sont leurs partialistes & émulateurs, ils mangent de la chair certains Vendredis ; & y boivent du vin, ensemble tels autres enivrants breuvages. Autrefois pendant qu’ils étaient encore gouvernés sous une royauté particulière, leur Melich c’est-à-dire Roi, était souverain aussi bien en la spiritualité comme au temporel ; à propos de ce que dit Virgile, Rex Anius, Rex idem hominum, Phaebique sacerdos ; mais maintenant ils ont un Primat qu’ils appellent le Catholique. Leurs prêtres sont mariés ; mais avant que de dire messe, ils s’abstiennent trois jours de suite de coucher avec leurs femmes ; les Grecs un seulement ; & ont une large & ample couronne au sommet de la tête ; le surplus de leur chevelure épandue tout à l’entour tant qu’elle peut croître ; & la barbe pareillement, à guise des Nazaréens ; car ils n’en rognent jamais rien fors la dessus dite tonsure, que les séculiers portent aussi au même endroit, mais tracée en forme de croix, depuis l’an 744 que se trouvant fort molestés de guerre par les Syriens, ils furent admonestés en révélation de s’accoutrer de cette sorte, dont tout incontinent après ils vainquirent leurs ennemis. Les prêtres sont fort vénérables & réformés autant que nuls autres : & encore que leur service approche plus des cérémonies Latines que non pas des Grecques, même quant à la façon de leurs calices & platines, néanmoins ils le célèbrent en leur vulgaire, & l’assistance y répond de même : & quand on chante l’Evangile ils se lèvent tous, & s’entrebaisent à la joue en signe de réconciliation, paix & amour fraternelle. Leur Eucharistie est azyme comme la nôtre, c’est-à-dire de pâte sans point de levain, en forme d’une hostie ronde ; laquelle étant consacrée ils mettent sur la platine, & ainsi la lèvent & montrent au peuple ; Puis le calice conséquemment, qui est ou de cristallin, ou de bois ; & n’ajoutent point d’eau dans le vin. Ils font confirmer les jeunes enfants par un simple Prêtre : Ne reçoivent point les ordres de Diacre ni de sous-diacre, ains de Prêtrise tant seulement. Ne fêtent pas la nativité de notre Seigneur ainsi que nous, ains jeûnent austèrement ce jour-là ; & en récompense solemnisent d’une bien grande dévotion le jour de l’Epiphanie, qu’ils prennent pour sa naissance spirituelle ; estimant qu’en ce propre jour il fut baptisé par S. Jean au fleuve Jourdain. Ils font leurs prières & oraisons presqu’à la mode des Turcs ou Arabes, bas accroupis sur les talons, & baisent la terre par trois fois ; là où les Turcs deux seulement ; les Grecs prient tout debout. De tous les saints ils ont en plus grand’ révérence l’Apôtre S. Jacques le Majeur, qu’ils tiennent pour leur protecteur & patron ; duquel ils ont une fort belle Eglise en Jérusalem, bâtie près du lieu où il fut décollé ; & d’autres encore, où ils s’assemblent en grand nombre. Quant au carême, ils le font en même temps que nous, mais bien plus austèrement sans comparaison, car ils n’y boivent point de vin, & ne mangent chose quelconque qui ait eu vie, non pas même du beurre & de l’huile, ni autre maintenement & liqueur savoureuse, ains vivent seulement d’herbes, & quelques maigres potages de légumes assaisonnés seulement d’un peu de sel ; d’olives sèches non confites, & semblables choses de peu de goût, & moins d’appétit. Ils ont finablement leurs cimetières à part, ainsi que toutes les autres sectes & religions. Leur commun parler & vulgaire est le Turquesque ; & leur écriture, l’Arabique, parce qu’ils conversent & trafiquent parmi eux ; mais en leur service divin ; & en leur devis & négoces privés, ils usent de leur langue particulière, & de leurs caractères ; dont il s’en trouve de deux sortes, l’une plus ancienne que l’autre, comme le marque Josaphat Barbaro en son voyage de la Perse, chap. 17 : Le château (dit-il) de Curcho, au frontispice de la grand’ porte a certaines inscriptions gravées en marbre, qui montrent être de lettres bien formées, Arméniennes comme on tenait là, mais d’autre façon que celles dont usent les Arméniens d’à présent, attendu que ceux qui étaient en ma compagnie ne les purent lire. En voici deux alphabets aucunement différents l’un de l’autre, mais non pas tant que semble inférer la relation dessus dite.

    [Lisez les gloses d'Amédée Schwa sur ce texte dans lovendrin n°13.]


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