• Au musée Guimet

     

    Carrefours afghans

     

    Présent du 23 décembre 2006

     

    Les trésors du musée de Kaboul voyagent et leur première halte est le musée Guimet. La plus belle partie, celle qui regroupe les parures en or, est encadrée de faire-valoir moins éblouissants mais qui éveillent la curiosité.<o:p></o:p>

    C’est d’abord une salle consacrée aux sites de Fulol et d’Aï Khanoum, implantation grecque dans les montagnes afghanes depuis les années 300 av. J.C. Les colons y menaient une vie grecque à des lieux du Péloponnèse, perdus dans un environnement, sinon hostile, du moins on ne peut plus « barbare ». On y voit un chapiteau corinthien pas encore stéréotypé : le feuillage y prend des allures particulières et laisse nu le haut de la corbeille, donnant pleine mesure aux volutes. Une plaque d’argent, dorée par place, représente la déesse Cybèle (photo) : protégée par un dais que porte une suivante, elle mène son char auquel sont attelés deux lions (Atalante et Hippoménès, métamorphosés pour avoir profané un de ses temples). Le culte de Cybèle comportait des aspects peu sympathiques : ses prêtres s’émasculaient et, dans des danses indécentes, habillés en femme, formaient un cortège bruyant. Apulée, dans L’Ane d’Or, a fait la description d’une procession analogue qui permet d’avoir une idée de ce culte oriental. L’Orient se rappelle à nous également par le biais d’une tête en stuc de Bodhisattva : l’Inde n’est pas loin.<o:p></o:p>

    L’installation de la salle n°2 semble avoir été faite par Midas lui-même. Six tombes princières du Ier siècle d’une peuplade nomade non identifiée (une cousine des Scythes ?) ont livré des parures d’or d’un grand raffinement. Des cinq tombes féminines ont été retirés des pendentifs, des boucles d’oreilles, des bagues, des ornements de chevelures, des pendeloques, des bracelets de chevilles ; une magnifique couronne, d’un travail léger. Les motifs sont indémodables : cœurs, fleurs, scarabées, papillons. Le travail est d’une telle délicatesse que, si l’historien de l’art se félicite de voir numérotés et enregistrés ces « précieux », l’artiste, lui, ne saurait s’en contenter et se désole de voir sous vitrine des parures qui appellent une tête à orner, un corps à parer. Théophile Gautier ou Gérard de Nerval, face à ses vitrines, auraient écrit des songes dans lesquels des princesses typées, surchargées d’or, accueilleraient le voyageur français avec des rafraîchissements limpides ou capiteux. Mais trêve de rêverie… Quelques pièces particulières reflètent les rencontres de la tribu au fil des routes : un miroir chinois de l’époque Han, une médaille bouddhiste, une intaille représentant Athéna, une monnaie indienne, une autre parthe, et une romaine (de l’époque de Tibère).<o:p></o:p>

    La confrontation des styles éclate dans la troisième salle : avec le trésor de Begram (Ier-IIIe siècles), celui d’une cour sous influence grecque, chinoise et indienne, l’œil doit accommoder rapidement pour passer des plâtres illustrant la mythologie grecque aux nombreuses ivoires indiennes représentant des scènes de palais – de gynécée, plutôt : ce ne sont que femmes au jeu, à la coiffure, à la toilette. L’art de vivre de cette cour se manifeste aussi par une vaisselle de qualité en verre, porphyre, albâtre, ou bronze.<o:p></o:p>

    Qu’il s’agisse d’une cité hellénistique, d’un camp nomade, ou d’une cour kouchane, un réel attrait pour le beau transparaît dans cette coexistence d’objets et d’œuvres d’origines si variées : écho d’un temps antique, quand l’Afghanistan ne redoutait pas la beauté féminine ou artistique.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    <o:p>Afghanistan, les trésors retrouvés,</o:p><o:p></o:p><o:p></o:p><o:p></o:p>

    <o:p>Musée Guimet, jusqu'au 30 avril 2007 </o:p><o:p></o:p><o:p></o:p><o:p></o:p>

    légende de la photo : Plaque de Cybèle, Ø 25 cm © Thierry Ollivier / musée Guimet

     

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  • Au musée de l'Orangerie

    Une riche rétrospective

    Présent du 13/01/2007

     

    Pour fêter sa réouverture après travaux tout en soulignant la continuité de son action, le musée de l’Orangerie a organisé une manifestation originale en reprenant une exposition qui y avait été organisée en 1934, Les Peintres de la réalité en France XVIIe siècle. Cependant la version moderne n’est pas rigoureusement identique à l’original : certains tableaux manquent à l’appel, d’autres ont été ajoutés. Le discours des organisateurs sur le rapport entre art et réalité est assez confus (le sujet est difficile, mais était-il nécessaire de s’embarrasser d’explications plutôt oiseuses en la circonstance ?), tout comme celui sur la place de l’exposition dans la situation politique et sociale des années trente : on ne voit pas clairement où ils veulent en venir. Qu’importe ? Les tableaux présentés prennent le pas sur tout discours abstrus et réchauffent rapidement le cœur du visiteur refroidi par près d’une heure de queue à l’extérieur du musée.<o:p></o:p>

    Sept toiles de Georges de La Tour, dont la découverte eut lieu justement lors de l’exposition de 1934, sont à contempler sans modération : Job raillé par sa femme (photo), Le songe de saint Joseph, Le tricheur... Le grand art est là, dans cette peinture qui, reposant l’œil, permet la contemplation. Dans la même salle sont accrochés deux Valentin de Boulogne (Le concert au bas-relief, Judith) ; au voisinage des De La Tour, ils paraissent bien vulgaires de composition, sales de tons. La comparaison nous permet de conclure à la vulgarité d’inspiration de l’artiste et donc à son impossibilité à nous exhausser l’esprit.<o:p></o:p>

    Un contraste analogue apparaît entre Claude Vignon et Simon Vouet. La touche du premier est laide, mesquine (La parabole du serviteur impitoyable, Le lavement des pieds), quand le pinceau du second est fluide autant que rigoureux, servi par une harmonie irréprochable : La Madeleine repentante, belle tête de profil émergeant d’un châle jaune qui contraste avec des gris, et le portrait de Guillaume d’Aquitaine, dont l’écharpe est un orange rompu que viennent discrètement contrebalancer les bandes bleues de l’habit. Eclatante maîtrise des complémentaires !<o:p></o:p>

    Beaucoup d’autres tableaux seraient à nommer : un autoportrait de Poussin, La forge de Louis Le Nain (basée sur un contraste de rouge sur des bruns où chante un peu d’ocre), l’impressionnant Sœur Juliana Van Thulden sur son lit de mort par François Duchâtel, qu’on pensait autrefois de Philippe de Champaigne : les cartels, dans un certain nombre de cas, donnent l’intitulé et l’attribution du tableau en 1934, puis ceux d’aujourd’hui, montrant les progrès de l’histoire de l’art et les lacunes encore à combler.<o:p></o:p>

    Les organisateurs ont eu l’idée d’accrocher une dizaine de toiles contemporaines de la première exposition. La mode est à ces rapprochements souvent artificiels, parfois faussés ; ici nul reproche à faire, et les « consonances » (c’est le terme retenu) sont judicieuses. Des noms connus : Derain, avec une Nature morte aux poires (1936), Balthus (Roger et son fils, 1936 ; La partie de cartes, présentée non loin du Tricheur de De La Tour) voisinent avec des noms qui, pour être obscurs, n’en sont pas moins respectables : Robert Hublot, Roger Chapelain-Midy avec une grande toile Hommage à Le Nain (1934), qui mêle nature morte et personnages dans les tonalités méditatives d’un matin pluvieux, autrement supérieure à l’insignifiant Retour du baptême d’après Le Nain de Picasso, d’humeur pointilliste ce jour-là. Ces quelques tableaux laissent entrevoir la richesse d’une peinture dont l’histoire est encore à faire, celle du figuratif au XXe siècle, veine non tarie mais restée souterraine.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    <o:p>Peintres français de la réalité,</o:p><o:p></o:p><o:p></o:p>

    <o:p></o:p>

    <o:p>Musée de l'Orangerie, jusqu'au 5 mars 2007</o:p>

    légende de l’illustration : Job raillé par sa femme, Musée départemental d’Epinal

    <o:p></o:p>


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  • Au musée des Arts & Métiers

    Un siècle de béton

    Présent du 16/12/2006


    Le béton est un thème qui convient à cette période de pénitence relative qu’est l’Avent, même si ce n’est pas cela qui a incité le Musée des Arts et Métiers à prolonger son exposition. La présentation (des schémas, des maquettes, des échantillons), essentiellement didactique, en réserve l’accès à ceux qu’intéressent l’architecture moderne ou les questions techniques.<o:p></o:p>

    Le béton fut d’abord romain (les voûtes du Panthéon, à Rome, en restent le meilleur exemple) ; la recette se perdit jusqu’à ce que notre modernité, à tâtons, la retrouve et l’enrichisse. Déjà très employé depuis la fin du XIXe, bien que la discrétion dans son emploi ait été de mise par le jeu des parements (c’est le cas de l’église Saint-Jean de Montmartre), le béton est devenu fort visible dans les reconstructions d’après guerre, auxquelles sa mise en œuvre rapide répondait idéalement, et ce d’autant plus que naissait l’idée d’un béton assumant sa nudité, d’un béton matériau noble. Après avoir été armé, contraint, pulsé, le béton du futur s’annonce translucide, et même flottant : il l’est déjà à titre expérimental.<o:p></o:p>

    L’approche est donc matérielle, quantitative et non esthétique – c’est toute la limite de l’exposition. A aucun moment n’est posée la question du résultat souvent inhumain de ces réalisations désincarnées, où l’obsession de la concrétisation d’une idée ne tient aucun compte de l’environnement dans lequel le bâtiment s’inscrit, ni des usagers qui le fréquenteront. Du mesquin béton de l’habitat démocratique au béton démesuré des chantiers de haut vol, seul semble importer le quantitatif. Il est manifeste que le gigantisme et la recherche de formes jamais vues tiennent lieu d’esthétique. Cette « audace » n’est-elle pas qu’apparente ? Les connaissances de la résistance et de la mécanique du béton, les calculs réalisés par ordinateur sont autant de garanties qu’un projet soit viable. L’effondrement du terminal 2E de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, en mai 2004, reste une exception (Paul Andreu, l’architecte, déclara niaisement : « Il y a des gens qui pleurent [les quatre morts] mais je sais que ce bâtiment a aussi rendu des gens heureux. »). Nos modernes prennent beaucoup moins de risques que les bâtisseurs gothiques dont on sait combien la volonté de s’élever toujours (plus orgueilleuse que pieuse) fut cause d’effondrements rapides, dont celui des voûtes de Beauvais en 1284 marqua durablement les esprits. Henri Charlier disait d’ailleurs que si les architectes gothiques avaient connu le béton ils l’eussent employé comme le matériau qui correspondait le mieux à leurs objectifs. L’exposition du musée des Arts et Métiers nous rappelle, par la place faite aux maquettes d’églises, que l’architecture religieuse moderne n’a pas hésité à l’utiliser, ce fameux béton ; l’aspect bizarroïde, voire patatoïde, de ces bâtiments semble l’expression ultime de l’idée de dieu que peuvent avoir les architectes athées à qui on fait en général appel – au mépris de la fin liturgique qui devrait primer tout autre considération. (Le Corbusier avec sa chapelle de Ronchamp est le grand absent de l’exposition, c’est regrettable : ses cités, ses « barres » promises au bonheur n’ont-elles pas tenu leurs promesses ?) Bref, la réflexion de Bernard Bouts est toujours d’actualité : le béton est un matériau comme un autre, mais qui n’a pas encore trouvé son architecte.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Béton: étonnez-vous,

    Musée des Arts et Métiers jusqu'au 4 mars 2007

    légende photo : Viaduc de Millau, © Photolibrary Eiffage

     

    Autres articles "Architecture":

    donjon de Vincennes /Galerie des moulages / tour Saint-Jacques

    tours parisiennes / Temple Sainte-Marie / Collège des Bernardins <o:p></o:p>


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  • Au musée Dapper

    Esprits sculptés

    Présent du 2 décembre 2006

     


    En matière d’art africain, le musée Dapper est une élégante et honnête alternative à la montre idéologique du musée du Quai Branly. Cette maison discrète, « espace d’arts et de cultures pour l’Afrique, les Caraïbes et leurs diasporas », apporte un grand soin à ses expositions. Cependant, « Gabon, présence des esprits » se divise en deux parties bien distinctes qu’il eût été plus judicieux de distribuer autrement : les objets usuels, à l’étage, eussent été une bonne introduction, sur le mode familier, aux figures des reliquaires plus impressionnantes du rez-de-chaussée. La disposition retenue provoque dès l’abord une vive émotion, laquelle, grimpés les escaliers, fait place à une simple curiosité profane. Je propose donc au visiteur de traverser les premières pièces pour commencer par le premier étage. Là-haut, haches, couteaux, soufflets de forge, pipes, cloches, trompes, cuillers et chasse-mouches sont remarquables autant par les connaissances artisanales qu’ils requièrent que par la sculpture qui les orne. Ce sont de longs couteaux dont le pommeau est une tête ; des cuillers au manche décoré d’un nœud d’entrelacs, d’une figure assise, etc. Quelques masques aussi, durs, maussades : ceux des sociétés secrètes qui exerçaient la justice (parfois poussée, on peut le croire, jusqu’à l’exaction).<o:p></o:p>

    Redescendons : d’un esprit tout autre sont les sculptures qui accompagnaient les reliquaires consacrés aux ancêtres. Il ne s’agit plus de justice, mais de ce qui serait, pour nous Occidentaux, la conjonction d’une piété filiale inconditionnelle et du culte des saints le plus entier, à des fins commémoratives et apotropaïques. Cinq ou six reliquaires sont présentés complets, la partie ornementale fichée dans une sorte de sac, de bourse, où étaient mêlés, de façon variable, terre, os d’ancêtres, dents d’animaux, monnaies, etc. Cet agrégat magique illustre à sa manière le retour à la poussière et la croyance en une autre vie.<o:p></o:p>

    La majorité des pièces ont été séparées de la partie reliquaire et c’est en sculptures indépendantes qu’elles s’offrent à nous. Trois groupes se distinguent : les figures géométriques, déroutantes faces plates en forme de pelle ; les figures stylisées, très répétitives et ne se distinguant que par des variations dans l’ornementation du métal recouvrant une âme de bois ; les figures de l’ethnie Fang, en bois, avec lesquelles le mot sculpture prend tout son sens : l’éclairage discret, évoquant la pénombre d’une case, met en valeur sans brutalité le net emboîtement des volumes faciaux ou corporels, dont la force n’exclut pas la douceur. Ces rondes bosses appellent un regard circulaire : certains trois quarts et, plus encore, certains profils sont d’une majesté et d’une grâce que seul le grand art atteint (pièces 108a, b, et 119). Parler d’art primitif est déplacé ici, tout autant que parler d’art premier (les promoteurs de cette appellation ignorent, je pense, qu’Henri Pourrat la créa pour désigner les artisanats régionaux). La dénomination art nègre, longtemps employée, était encore la plus juste, tant elle correspondait à la spécificité de l’art d’Afrique noire ; mais sa caducité n’est pas niable et la Halde, qui veille sur nous comme une mère, n’hésiterait pas à émender les écrits de Césaire ou Senghor.<o:p></o:p>

    Des masques de danseur de l’ethnie Punu, utilisés lors de cérémonies diverses, complètent cette belle galerie ; avec moins de présence que les figures de reliquaire, ces faces scarifiées, blanchies au kaolin, colorées çà et là de noir et de rouge, surmontées de belles masses coiffées, restent de grande qualité ; les profils, un fois de plus, attirent l’attention (n°32).<o:p></o:p>

    Regrettables, en sortant, sont les œuvres de la Gabonaise Myriam Minhidou, qui « se livre à une interrogation quasi-obsessionnelle sur le corps fragmenté » et dont les sculptures « créent des univers de transgression ». Le musée Dapper sacrifie là au goût et au jargon du jour. On se sent infiniment moins proche de cet art moderne tout en fragmentation, obsession, rupture et autres illusoires « quêtes de la liberté » que de l’art africain traditionnel, accessible (malgré l’éloignement) par sa beauté et par la piété qu’il exprime.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Gabon, présence des esprits,

    jusqu’au 22 juillet 2007, musée Dapper

    illustration: Tête de reliquaire Fang, photo Hugues Dubois


    Autres expos d'art africain:

    expo animal Dapper / expo Bénin/ expo femmes afrique


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