• Au musée de Montmartre<o:p></o:p>

    L’amitié franco-arménienne vers 1900

    Présent du 12 mai 2007

    L’année de l’Arménie, qui s’achèvera le 14 juillet prochain, nous vaut une dernière exposition qui met en lumière le mouvement arménophile en France né à la fin du XIXe, mouvement dont il est juste de se souvenir tant il est à l’honneur de nombreux intellectuels. Le mont des Martyrs saluant le Mont Ararat n’est pas un artifice car c’est de la Butte que s’élevèrent l’indignation et l’intérêt. La vision touristique de Montmartre nous a habitués à l’image d’une bohême insouciante et jouisseuse, au détriment du réel apport artistique et de pensée qu’on lui doit.<o:p></o:p>

    Le génocide de 1915 a relégué dans l’ombre les massacres hamidiens – du nom du sultan Abdul Hamid II – de 1894-1896 (300 000 morts) et de 1909 (30 000 morts). L’explication ordinaire de ces massacres est celle d’une répression de soulèvements de populations accablées d’impôts. Il s’agissait en réalité d’une guerre sainte menée contre l’infidèle. (Je renvoie sur ce point à la dernière livraison des Provinciales, qui publie la traduction d’un texte passionnant de Richard L. Rubenstein intitulé « Jihad et génocide : le cas arménien »). Ces premiers massacres furent minimisés par la classe politique française et la grande presse acquises – soudoyées – à la cause d’Abdul-Hamid. C’est alors que la réaction vint de la Butte, grâce au poète Archag Tchobarian, exilé à Paris depuis 1893 et installé à Montmartre où il comptait de nombreux amis. <o:p></o:p>

    La journaliste Séverine, féministe et disciple de Vallès, fut la première à alerter l’opinion publique avec l’article « Massacres en Arménie » paru le 3 février 1895 dans La libre Parole (devise : la France aux Français ; directeur : Edouard Drumont). Les caricaturistes et dessinateurs Steinlen, Willette, Forain, Léandre, Gill se lancèrent dans la bataille. Le musée de Montmartre expose de nombreux dessins, des couvertures de journaux : Le Monde illustré, Le Petit journal, et surtout L’Assiette au beurre dont les caricatures demeurent une référence en la matière (illustration), revue intéressée à plus d’un titre puisque, pacifiste, anarchiste et anti-cléricale, elle ne pouvait rester indifférente à des tueries inspirées par la religion et commises par un sultan autocrate. Le mouvement s’élargit rapidement au-delà du monde montmartrois : il faudrait citer beaucoup d’autres amis de l’Arménie, tels que Proust, Péguy, Romain Rolland, Emile Gallé, Saint-Saëns, Mistral… Sous les auspices de Clemenceau, A. France et Jaurès parut à partir de 1900 la revue Pro Armenia. A noter que les clivages de l’affaire Dreyfus, chose étonnante, n’entravèrent pas l’arménophilie.<o:p></o:p>

    Articles et caricatures, le sultan Abdul-Hamid en prit pour son grade, mais également l’académicien et ministre des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux, qui avait été ambassadeur à Constantinople et se montra d’une lâcheté et d’une soumission honteuses qui lui valut d’être décoré par le sultan Abdul-Hamid et surnommé Hanotaux-Pacha par ses détracteurs, au nombre desquels Léon Bloy ne fut pas le plus tendre. Les lecteurs du Mendiant ingrat savent que les mentions à cet homme y sont courantes, soit que Bloy l’épingle, soit qu’il le prenne comme étalon de médiocrité : « académicien des dames », « blafarde canaille », « petit larbin de Gambetta »… Il place un lieu commun, On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, dans la bouche d’Hanotaux – et les œufs sont les Arméniens. <o:p></o:p>

    La contribution de Léon Bloy à l’arménophilie reste un article publié dans L’Assiette au beurre, journal avec lequel Bloy se sentait peu d’affinités, l’anti-cléricalisme du journal étant virulent, mais la virulence du ton constituait en elle-même une affinité. « Trente ans d’assassinats » parut le 31 octobre 1903 ; il est reproduit dans Quatre ans de Captivité à Cochons-sur-Marne à la date du 23 octobre. Je laisse les lecteurs s’y reporter. En voici la fin : « Quand Abdul-Hamid crèvera, ce qui ne saurait tarder, on verra s’affliger les Hanotaux et toute la servile crapule des diplomaties. Ils iront à Byzance dans leurs culottes et, pour que le deuil soit tout à fait magnifique, on leur fera peut-être comme aux chevaux du cortège de Soliman, lesquels furent vus répandant des larmes, parce qu’on leur avait soufflé dans les narines je ne sais quelle poudre lacrymatoire. »<o:p></o:p>

    Abdul-Hamid fut déposé par les Jeunes Turcs en 1908, au grand soulagement des Arméniens, et avec le soutien de certains d’entre eux. Le pire restait pourtant à venir.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    De l’Arménie à Montmartre, Le mouvement arménophile en France 1878-1923,

    jusqu’au 24 juin, Musée de Montmartre<o:p></o:p>

    Les Provinciales (n°78, avril 2007, 3 euros) 38510 Saint-Victor de Morestel ; tel 04 74 805 637.<o:p></o:p>

    illustration : couverture de L’Assiette au Beurre © CRDA<o:p></o:p>


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  • A la BN Richelieu

    Magnificence carolingienne

    Présent du 19 mai 2007

    Les différentes Renaissances signalent l’impossibilité de séparer christianisme et antiquité. Elles ne se valent pas toutes, et la Renaissance carolingienne, plus lointaine et moins vantée que « la » Renaissance, lui est supérieure en ce que la référence à l’Antiquité n’a pas été synonyme d’envahissement païen mais d’épanouissement chrétien.

    Charlemagne et ses successeurs unifièrent l’empire de façon politique mais aussi par une réforme liturgique (adoption de la liturgie romaine pour tous) et par la création d’une écriture commune, la caroline, élaborée par les moines de Corbie. Ils furent aidés par de grandes figures spirituelles et intellectuelles aussi différentes qu’Alcuin et Théodulfe. Le premier, moine anglais, devint abbé de Saint-Martin de Tours, révisa les textes bibliques corrompus et mit sur pied un programme d’enseignement allant des « savoirs de base » aux hautes études sacrées et profanes. Le second, né en Espagne, créa dans son diocèse d’Orléans des écoles qui répondaient au programme d’Alcuin : du primaire à la formation des cadres de l’Empire. Mettez en regard de ces politiques hardies les résultats de la réforme Vatican II et ceux des réformes de l’Education nationale…

    La floraison des traités grammaticaux, historiques, astronomiques témoigne de l’activité intellectuelle de l’époque, tout comme les manuscrits corrigés et diffusés de Sénèque, César, Térence… S’agissant de ce dernier, les latinistes qui ont étudié dans Les lettres latines de Morisset–Thévenot auront une seconde de nostalgie en en reconnaissant les illustrations dans un manuscrit du Xe siècle qui reproduit fidèlement un modèle antique.

    La reviviscence de l’antique est visible à l’ornementation (rinceaux, palmettes), à l’emploi de personnages tels que des allégories de l’Océan et de la Terre nourricière (un enfant à chaque mamelle) qui s’ajoutent au Christ et à deux séraphins pour illustrer le Sanctus deus sabbaoth d’un sacramentaire, ou à ces tritons marins ornant le fronton qui couronne une table synoptique des Evangiles. Cependant l’antique n’est qu’une des composantes de l’art carolingien. Les arts « barbares », l’art des Îles britanniques et l’art mérovingien, comptent tout autant. Le Psautier de Corbie est décoré de motifs insulaires et orientaux dans des verts magnifiques. La Bible de Théodulfe témoigne, par son décor géométrique hispanisant, de l’origine wisigothique de l’évêque d’Orléans et de sa position, sinon aniconique, du moins méfiante vis-à-vis des images. « Barbare » d’aspect, l’Evangile de Chartres, lui, ne rejette pas l’image humaine. La double page où figurent la danse de Salomé et la décapitation de saint Jean-Baptiste est une merveille de fruste naïveté : des personnages rudimentaires vigoureusement dessinés à la plume et colorés dans trois tons (brun, jaune, orangé). Salomé, les bras levés, le corps oblique et la jupe en mouvement, est une très jolie figure.

    La représentation de l’homme, sans crainte théologique, est l’apport majeur de l’art carolingien, une victoire de Charlemagne lui-même qui s’appuya sur le second concile de Nicée (787) et sur le concile de Francfort (794) pour repousser les tentations iconoclastes, en général celles de chrétiens ayant été au contact des Arabes (Théodulfe en Espagne ; de même pour les empereurs byzantins ; il est significatif que St Jean Damascène, d’origine arabe, ait combattu par ses écrits à la fois l’islam et l’iconoclasme, – pour lui, deux hérésies).

    C’est ainsi que la figure humaine, encore timide dans l’art britannique et mérovingien, s’impose peu à peu en pleine page, repoussant l’ornemental à la périphérie. L’évangile de François II, issu d’un atelier rémois antiquisant, présente une Crucifixion remarquable de finesse, dessins et coloris, encadrée d’entrelacs (illustration). On doit aux Rémois d’autres merveilles, comme l’Evangile de Huraut : une belle initiale ornée de nombreuses courbes dont certaines peuvent être qualifiées sans exagération de modern’ style, dans une harmonie principale de mauve et de vert Véronèse où jouent du jaune, du rose et du rouge. Cette délicatesse du trait et de l’harmonie se retrouve dans l’Evangile Saint–Médard de Soissons où, en pleine page, des animaux prennent place dans un décor architectural.

    La Renaissance carolingienne – économique, esthétique, intellectuelle – fut arrêtée en plein essor par les pillages normands et les invasions sarrasines. Cependant des fondations étaient jetées, sur lesquelles s’élèvera l’époque romane. On comprend alors le respect, voire la dévotion (Charlemagne sera canonisé par un antipape au XIIe siècle), que le Moyen Age témoignera à l’Empereur :

    Là sied le roi qui douce France tient

    Blanche a la barbe et tout fleuri le chef… (Chanson de Roland)

    Samuel

    Trésors carolingiens, Livres manuscrits de Charlemagne à Charles le Chauve,

    jusqu’au 24 juin, Bibliothèque Nationale Richelieu

    illustration : Évangiles dits de François II, fin IXe © BnF, département des Manuscrits


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  • Au musée Cernuschi

    Rococo débridé<o:p></o:p>

    Présent du 5 mai 2007

    Les termes chinoiserie et singerie ont pris un tour dépréciatif qu’ils n’avaient pas à l’origine, quand ils désignaient des statuettes, des bibelots ou des peintures à motifs asiatiques. Chinoiseries et singeries étaient souvent mêlées, l’exotisme animalier s’associant naturellement à l’exotisme humain. Le mot magot, d’ailleurs, qui désignait auparavant un singe, fut appliqué à une statuette grotesque. Le musée Cernuschi s’intéresse à cette production étonnante de l’Europe du XVIIIe où règne un Orient imaginaire, Chine, Japon, Inde et Turquie confondus. <o:p></o:p>

    L’arrivée du thème chinois dans notre art décoratif s’explique par les échanges commerciaux et par la littérature jésuite missionnaire qui, pour convaincre les Européens de la possibilité de convertir les populations lointaines (Orient et Amérique), s’employait depuis le XVIIe à les montrer sous leur meilleur jour jusqu’à en exagérer la bonté : cela partait d’une bonne intention et fut un des ferments de l’idée du bon sauvage, avec les conséquences idéologiques néfastes que l’on sait. <o:p></o:p>

    Sur le plan décoratif, les effets furent positifs : les motifs chinois renouvelèrent le fonds classique épuisé tout en renouant avec la tradition des grotesques de la Renaissance. Les intérieurs s’ornèrent de peintures sur murs ou sur bois ; soumis à la mode, ces ensembles n’ont pas résisté aux modifications du goût et il ne subsiste qu’une dizaine de ces merveilles (signalons la Grande Singerie du château de Chantilly, le Cabinet des Singes de l’hôtel de Rohan). Les Chinoiseries du château de La Muette, peintes par Watteau, ne nous sont plus connues que par les gravures qui en furent réalisées, en particulier par Boucher ; c’est ainsi qu’on connaît ces compositions qui ont nom La déesse Thvo Chvu dans l’île d’Hainane, Lao Gine en vieillard chinois ou L’adoration de la déesse Ki-Maô-Saô. Manquent les couleurs qui participent tant à la poésie de Watteau…<o:p></o:p>

    La vaisselle a mieux résisté au temps (photo). Les artisans européens travaillèrent d’abord la faïence de façon à la faire ressembler à la porcelaine, procédé qui resta mystérieux jusqu’à ce que les Allemands percent son secret. Les amateurs se délecteront des assiettes, plats, théières, boîtes, écritoires et bougeoirs décorés de personnages, de singes, de scènes de vie bucoliques, de feuillages, comme des diverses statuettes : dans le cas de Chinoise versant du chocolat avec deux enfants, le « tout-exotique » l’emporte une fois de plus sur la vraisemblance.<o:p></o:p>

    La laque, comme la porcelaine, était une technique aussi nouvelle que séduisante. Intriguant, elle fut imitée par un léger relief taillé dans le bois pour faire sortir les personnages en épaisseur et par un travail des vernis. Les quatre Eléments, panneaux peints de cette manière, ornaient l’hôtel de Richelieu. Leur ton général n’est sans doute pas tel qu’il était à l’origine : on dirait d’un vert oxyde de chrome qui aurait noirci. Etonnante version orientalisante d’un motif ô combien classique, dont les hôtels de notre Marais (Sully, Rohan) sont souvent ornés en façade ! Technique bien occidentale, la tapisserie suivit le courant et adapta ses sujets. La Suite chinoise de Beauvais enchaîne Le ramassage des ananas, Le retour de la chasse, et La collation, dans des tons rouge et or. Celle d’Aubusson, plus verte, est consacrée à la cérémonie du thé. Deux petites toiles de Boucher, La danse chinoise et Le jardin chinois (1742), sont des projets de tapisseries. Elles ravissent, moins la première, confuse dans son inachèvement, que la deuxième : les frondaisons exotiques bleutées, sur lesquelles se détache un arbre au feuillage rose, servent de décor à un groupe de personnages aux poses délicates, servies par des harmonies tout aussi raffinées : costumes blancs ou rouge rosé. On regrette que les chinoiseries de Boucher ne soient pas plus représentées – par sa renommée il contribua à en répandre la mode –, et, à défaut des peintures murales, les tableaux d’une manière générale. La vaisselle, dans cette exposition, est envahissante.<o:p></o:p>

    Cependant le peintre Jean-Baptiste Pillement (1728-1808) est représenté par deux grandes huiles décoratives formant pendants, où certains des motifs qu’il avait rassemblés dans A new Book of Chinese Ornaments publiés à Londres en 1755 sont réutilisés. Le groupe de musiciens et la scène de culte présentent la même composition : un arbre effilé s’élève de chaque côté de la scène principale cantonnée dans le tiers inférieur, tandis qu’un médaillon en arrière-plan couronne la scène. Le fond est dans des nuances de crème jaune de Naples, bleu céruléen, avec des transitions de verts et de gris. Ces grandes toiles témoignent de l’habileté de l’artiste et, d’une manière plus générale, de la grâce des chinoiseries.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Pagodes et dragons, exotisme et fantaisie dans l’Europe rococo,

    jusqu’au 24 juin, Musée Cernuschi (8e)

    illustration : Bannette, musée de Saumur © Chr. Petiteau-Montevidéo<o:p></o:p>


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  • Pascal.

    - à New York, une sculpture en chocolat représentant le Christ en croix («My sweet Lord», mon doux Seigneur) a déclenché la réaction légitime d’une association catholique. Le sculpteur Cosimo Cavallero «voulait susciter une méditation sur la Semaine sainte», selon le directeur artistique de la galerie. «Ils n’oseraient jamais faire une chose pareille avec le prophète Mahomet nu, ses parties génitales exposées pendant le ramadan», a rétorqué l’association.

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  • Urbain.

    - La «Nuit vitaminée» du 26 mai prochain, organisée par le «Service Jeunes du diocèse d’Angers» s’annonce chaude et tendance (voir ci-contre). On saura enfin ce qu’il y a de plus mou, un concert de reggae ou une catéchèse de Mgr Brugiès? Quoi qu’il en soit, cette soirée paraîtra sûrement fade en comparaison de celle de la Gare du Nord le 28 mars dernier, où les jeunes s’en sont donnés à coeur joie.


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