• Au Musée du Louvre<o:p></o:p>

    Traits espagnols

    Présent du 25 août 07<o:p></o:p>

    Le Louvre en août a un aspect « Châtelet-Les Halles à 18 heures » : hall grouillant, escaliers bondés, couloirs embouteillés. On y voit toutes sortes de scènes insolites, comme des femmes voilées être photographiées devant La Nymphe de Fontainebleau. Les salles des dessins espagnols, par lesquelles transitent les visiteurs pour la Joconde, ne sont pas à l’abri de l’agitation. <o:p></o:p>

    Est-ce la turbulence qui gâte l’exposition ? Celle-ci veut nous convaincre que le désintérêt et le mépris pour le dessin espagnol qui ont cours chez les historiens de l’art ne sont pas justifiés. Le fait est que, hormis les dessins de Goya, l’ensemble n’excite pas l’enthousiasme. Troisième session sur le sujet, les dessins espagnols ayant déjà été présentés par le Louvre en 1991 et 2002, une quatrième sera peut-être nécessaire.<o:p></o:p>

    Deux salles : une pour le XVIIe, une pour le XVIIIe, « les incertitudes du savoir et l’absence de fondement de la notion d’école ne permettant pas de division moins sommaire. » Mais les dessins de Goya n’appartiennent-ils pas, en plein, au XIXe ? <o:p></o:p>

    Bien sûr, on aime la série des Anges de <st1:personname productid="la Passion">la Passion</st1:personname> de Murillo (1617-1682), presque complète (le Louvre possède dix dessins). Chacun porte un ou plusieurs des instruments de <st1:personname productid="la Passion">la Passion</st1:personname>, jusqu’à la lanterne des gardes venus arrêter le Christ, jusqu’au sabre ayant servi à saint Pierre pour trancher l’oreille de Malchus. La délicatesse du modelé au lavis est remarquable. Autrement dure et contrastée est <st1:personname productid="la Derni│re">la Dernière</st1:personname> communion d’un moine moribond (artiste anonyme).<o:p></o:p>

    Six études de tête de vieillards par Del Castillo (1616-1668), à la plume, évoquent tout à fait les études de vieillards de Jordaens. Les Anciens aimaient les têtes de vieillards, souvent études préparatoires à des apôtres ou des philosophes. En voici huit autres, non signées et inférieures à celles de Del Castillo : la plume n’ose pas s’affirmer, elle picore le papier au lieu de le sabrer. Reproche qu’on ne saurait faire à De Ribera (1591-1652), dont un croquis, Vieillard les mains liées derrière le dos, rappelle Rembrandt par la sûreté du trait.<o:p></o:p>

    Puis vient Goya (1756-1828). Sa seule présence justifie une visite (ill.). Après une formation traditionnelle, un voyage en Italie, une abondante production de cartons pour les tapisseries royales et la gravure des œuvres de Vélasquez à qui il vouait un respect profond, il fut nommé peintre du Roi en 1786. Une grande carrière semblait s’annoncer mais Goya fut éloigné de la cour en 1790 à cause de ses liens avec les ilustrados, intellectuels marqués par les idées des Lumières, dont s’inquiétait le pouvoir royal au vu de <st1:personname productid="la R←volution">la Révolution</st1:personname> française. <o:p></o:p>

    En 1792, une maladie (vraisemblablement une méningite) le laissa sourd et affaibli. Apparurent alors les dessins noirs, tourmentés, puis les gravures : la série des Caprices, où grotesque préromantique et satire anti-cléricale se mélangent fut publiée en 1799 mais, jugée scandaleuse, aussitôt retirée de la vente. <o:p></o:p>

    L’invasion française de 1808, avec ses exactions, donna Les désastres de la guerre ; au-delà de la dénonciation, ces gravures exprimaient une désillusion politique personnelle, les guerres napoléoniennes étant le prolongement de cette Révolution dont Goya avait cru qu’elle apporterait la liberté. L’expédition française de 1823, réactionnaire cette fois, et le rétablissement de Ferdinand VII qui s’ensuivit le poussèrent à s’exiler à Bordeaux, lieu de refuge des libéraux espagnols, où il mourut en 1828. <o:p></o:p>

    Ces tourments expliquent assez, même s’ils n’épuisent pas l’interprétation, la violence et le ricanement des dessins de Goya. Les psychanalystes s’épuisent à comprendre ces dessins de sarcasme et de malédiction, et la lecture de leurs analyses nous épuisent aussi : « On  assiste à l’émergence conjointe du non-sens et du non-être, du faux-semblant d’être et du trop d’être ; la béance s’y donne comme être du désordre ». Quelle chanson !<o:p></o:p>

    La mairie du Ve arrondissement avait donné, l’été dernier, une quasi intégrale des gravures du maître : Les Caprices, Les Désastres de la guerre, <st1:personname productid="La Tauromachie">La Tauromachie</st1:personname> et Les Disparates. Les dessins que possède le Louvre en sont une annonce, un écho. Quelques mots négligemment écrits permettent d’identifier le sujet sans pour autant ôter tout mystère à la caricature et au cauchemar : Mauvaise femme, La petite vieille qui pense au mariage, Ils coupent la vieille, L’enfant difforme… Le portefaix (illustration), est plus qu’un croquis de métier, il dépasse toute observation sur le vif et devient l’expression d’un accablement tragique. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Siècle d’Or, Siècle des Lumières, dessins espagnols,<o:p></o:p>

     jusqu’au 15 octobre, Musée du Louvre<o:p></o:p>

    illustration : Goya, Le Portefaix, Louvre © RMN / M. Bellot<o:p></o:p>


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  • Le lovendrin 19 (septembre-octobre)... un numéro exceptionnel de 16 pages!

    Il reprend en intégralité un discours de Léon Daudet prononcé à la Chambre des Députés en juin 1922:

    Défense des Humanités Gréco-Latines

    Un texte riche, un débat autour de la formation intellectuelle, d'une réelle actualité. Des caricatures de Sennep illustrent le texte.

    Et bien sûr, en dernière page, la rubrique Idées et langages.

    prix de ce numéro: 3,50 euros

    par chèque à l'ordre de Samuel Martin

    LOVENDRIN - 41 rue Vieille du Temple - Paris 4e

     


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  • A l’Institut du Monde arabe<o:p></o:p>

    Au fil des épées

    Présent du 18 août 07<o:p></o:p>

    Furûsiyya est le terme arabe qui désigne les connaissances et pratiques se rapportant au cheval, dans les domaines de la guerre, de la chasse et du jeu. L’exposition ne se limite pas aux territoires arabes, mais s’étend « aux pays d’Islam ». La cavalerie arabe doit beaucoup aux savoirs turcs et perses, de même qu’on constate la supériorité artistique des panoplies turques et persanes, qui témoignent d’un artisanat pré-islamique dont l’Islam saura se prévaloir par la suite.<o:p></o:p>

    Plus que les chanfreins et les étriers, les lames, qui forment l’essentiel du fonds, intéressent vivement. Elles datent du VIIIe au XVIIIe siècle, et proviennent, puisque de terre d’Islam, de contrées aussi variées que l’Inde, l’Iran, le Caucase, l’Egypte, la Syrie, le Maghreb, la Turquie et l’Afghanistan.<o:p></o:p>

    Difficile de les détailler, tant factures et allures sont diverses. L’épée courte, héritée des Romains et propre aux fantassins, a fait place à l’épée longue et au sabre (d’origine perse et byzantine). Aciers bruts où la beauté réside dans la seule courbure plus ou moins prononcée, lames en argent niellées décorées d’animaux, de fleurs ou d’inscriptions, poignées ornées de pierres précieuses… A chacun d’apprécier la particularité des unes et des autres. Une lame en acier damassé, technique pratiquée à Damas mais d’origine celte, était censée briller deux fois plus au contact du sang ennemi. De curieuses épées à lame bifide (elle se sépare en deux sur les quinze derniers centimètres), sont le souvenir, paraît-il, d’une des neuf épées du Prophète.<o:p></o:p>

    Commentaire d’un visiteur : « C’est curieux de penser comment on pouvait s’appliquer à rendre beau un objet destiné à tuer. » Ce n’est curieux que pour des Modernes, car, outre que certaines armes étaient destinées à l’apparat, les Anciens aimaient à faire que tout objet soit beau, quelque soit son rang ou sa destination. Notre époque, à essayer de distinguer beau et utile, a fini par ne produire que du moche.<o:p></o:p>

    Suivent des masses d’armes à ailettes, des haches d’arçons (comme la splendide hache moghole du XVIIIe, en acier, or, rubis – photo), des fers de lance, des poignards aux lames plus ou moins sinueuses.<o:p></o:p>

    L’ensemble de ces armes et équipements splendides a un défaut, celui d’être désincarné. On s’attendait à voir mentionné le grand Saladin, d’autant plus qu’il jouit d’une réputation d’homme tolérant et respectueux de l’inter culturalité. <o:p></o:p>

    Ne l’a-t-on pas vu, dans Kingdom of Heaven (de Ridley Scott), ramasser pieusement un crucifix jeté à terre ? Certes, Saladin n’était pas le premier monarque venu, et loin de moi l’idée de rabaisser ce fin politique. Sa grandeur d’âme et sa courtoisie sont indéniables. Mais, enfin, une part de la réputation de Saladin est mythique et présente l’originalité de s’être développée dans l’imaginaire occidental. <o:p></o:p>

    En effet, la troisième croisade terminée, tout au long du XIIIe siècle, naquit en Europe l’idée d’un Saladin dont les vertus – générosité, bravoure, loyauté – faisaient de lui l’égal d’un chevalier chrétien, s’expliquaient par une ascendance franque et trouvaient leur fin dans sa conversion chrétienne au moment de sa mort. Belle histoire, belle rêverie médiévale sur fond d’Orient lointain merveilleux. <o:p></o:p>

    On trouve trace de cette indulgence dans l’Enfer du Dante (tout début XIVe) : Saladin figure dans les limbes, un peu à l’écart de héros et héroïnes de l’Antiquité. D’autres musulmans y sont : Avicenne et Averroès, en compagnie de scientifiques grecs. Leur fausse religion ne saurait les sauver mais leur haute valeur humaine et morale les place à un rang privilégié.<o:p></o:p>

    Quand un cinéaste campe Saladin comme un homme de parfaite tolérance, en cela supérieur aux Chrétiens, c’est une erreur caractéristique de cet esprit d’autophobie actuelle, qui consiste à donner à l’extra-européen le rang supérieur. C’est aussi continuer le mythe médiéval en lui ôtant sa raison d’être (chrétienne).<o:p></o:p>

    L’exposition s’achève par un documentaire, tourné en Jordanie dans une école où s’apprend la furûsiyya traditionnelle. Extrême habileté des cavaliers, que ce soit dans l’évolution en groupe suivant diverses figures tactiques ou dans le maniement, au galop, des armes. Une des spécialités des Sarrasins, à l’époque des Croisades, était le tir à l’arc en pleine course ; ils harcelaient ainsi les troupes chrétiennes qui, souvent, se désorganisaient en les poursuivant et devenaient des proies faciles. Richard Cœur de Lion le comprit, qui put avancer sans dommage d’Acre vers Jérusalem après avoir interdit à ses hommes de courir après les Arabes. Les soldats se contentant de se protéger des flèches avec les boucliers, il maintint l’unité de sa colonne et put battre Saladin à Arsouf.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Furûsiyya, Chevaliers en pays d’Islam, <o:p></o:p>

    jusqu’au 21 octobre 2007, Institut du Monde arabe<o:p></o:p>

    illustration : Hache, Inde moghole © Furûsiyya Art Foundation<o:p></o:p>


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  • Au Centre Pompidou<o:p></o:p>

    Une artiste officielle<o:p></o:p>

    Présent du 11 août 2007<o:p></o:p>

    Entrer dans une exposition d’art moderne est aussi déplaisant qu’assister à une messe Paul VI ou déjeuner au McDonald, mais permet, de temps à autre, de se rappeler que nos goûts et nos engagements ont une réelle valeur et un sens, même si la routine les oblitère parfois. Je ne voudrais pas cependant marquer de l’irrespect envers une artiste aussi peu petite bière qu’Annette Messager, « figure majeure de la scène internationale contemporaine » qui « a représenté la France à la Biennale de Venise de 2005 où elle a obtenu le Lion d’Or ». <o:p></o:p>

    Avec Louise Bourgeois, qui représente l’aspect pervers de l’Art contemporain (on connaît d’elle de l’art « sacré » ouvertement blasphématoire), avec Sophie Calle, qui représente, elle, son aspect débilo-ludique (sa fausse cabine téléphonique du pont Garigliano, par exemple, ou son projet pour le métro de Toulouse[1]), elle est l’une des trois grandes créatrices françaises, ne laisserait-elle à la postérité que le ticket conçu pour l’anniversaire du Centre Pompidou cette année, Laissez-passer/laissez pisser – je m’en excuse ; mais je crois qu’à ce stade il est d’un intérêt intellectuel de dire sans périphrase de quoi il retourne. Son œuvre combine les deux aspects, le ludique servant la perversité du propos.<o:p></o:p>

    Vous êtes – nous sommes – en présence de ce qui se fait de plus officiel en matière d’art. Il y a cent cinquante ans, Annette Messager eût été Prix de Rome, eût peint pompier, et son œuvre encombrante noircirait aujourd’hui dans les chapelles latérales d’une église néo-gothique, ou dans un musée de province oublié par les subventions. L’heure n’étant pas encore venue de cet ajustement, le Centre Pompidou lui consacre une rétrospective : des fragments de corps humain en skaï rembourré (La balade de Pinocchio à Beaubourg), des rangées de moineaux vêtus d’une petite laine (Le repos des pensionnaires), des oiseaux naturalisés dont la tête est remplacée par celle d’une peluche ou d’une poupée, le tout plus ou moins suspendu, balancé par la brise ou mû par des filins. Quelques allusions à la sexualité ne déparent pas l’ensemble.<o:p></o:p>

    Le caractère officiel de son œuvre est repérable à la sémantique incontournable (quand l’art est déficient, le verbal le soutient) : « principe de transgression », « attraction et répulsion », « dérogation à la règle et déni des convenances ». Ces termes se retrouvent dans toute présentation, tout catalogue de tout plasticien à la mode. Ils ont valeur de règle à laquelle il ne sera pas dérogé[2]. <o:p></o:p>

    Sa démarche est si peu radicale qu’elle a recours au préfixe : ses œuvres s’intitulent Gonflés –Dégonflés, ou Dépendance –Indépendance, ou Articulés –Désarticulés (illustration)… Cela sent le truc. Son œuvre suscite chez les critiques des logorrhées analogues à celles des clercs dans les périodes de basse inspiration : « Le ‘je’ et le ‘jeu’ dans leur occurrence et leur récurrence, innervent l’œuvre d’Annette Messager. Le ‘je’, qui se décline en ‘Mes’, en ‘Mon’, en ‘Ma’, en autoportraits avoués ou non, en diverses incarnations, est celui d’une entité à définir et qui, pour ce faire, n’en finit pas de chercher refuge dans les formes. »<o:p></o:p>

    Plus simplement, tout tourne autour du corps. Le jeu de mots vulgaire cité supra est censé « souligné le lien entre le bâtiment et les fonctions corporelles, le flux et les fluides. Il condense dans un registre minuscule des préoccupations fondamentales dans le travail de l’artiste, centré sur la question du corps. » Les morceaux de bras, de jambes, les yeux, les seins « donnent à ces membres un statut d’ex-voto » ; les fragments d’organes renvoient « le spectateur à la somme dérisoire de ses constituants ». Etc. <o:p></o:p>

    Par cette obsession de la chair et du corps blessé, l’art d’Annette Messager a une autre dimension officielle, épiscopale cette fois. Il appartient au mouvement spirituel de Mgr Rouet, dont l’essentiel a été exprimé dans L’Eglise et l’art d’avant-garde (La Chair et Dieu), paru en 2002. Ceux qui ont lu cet ouvrage ont mesuré d’une part la niaiserie d’un lyrisme qui souvent pouvait être pris dans un sens graveleux, d’autre part la confusion d’une intelligence qui partait de la chair et y retournait aussi vite, tout en se réclamant de l’Incarnation. <o:p></o:p>

    Le peuple en redemande, si j’en juge aux commentaires laissés dans le livre d’or : fabuleux, enchanteur, etc. Une dame, qui vient pour la troisième fois, demande qu’il y ait davantage de gardiens car, signale-t-elle, elle a vu des gens toucher aux œuvres d’Annette Messager – profanation ! La réflexion de cette femme, que je ne voudrais pas avoir comme voisine, montre à sa manière combien l’art contemporain est intouchable, ce que confirme le procès fait à Présent par M. Henry-Claude Cousseau. On sait que les plasticiens ne parlent plus d’œuvres mais d’installations ; ils sont eux-mêmes des gens très installés.<o:p></o:p>

    Samuel

    cf expo Présumés innocents

     

    Annette Messager, Les Messagers, <o:p></o:p>

    jusqu’au 17 septembre 2007, Centre Pompidou<o:p></o:p>

    illustration : articulés-désarticulés, 2002, Coll. MNAM © André Morin/Adagp<o:p></o:p>



    [1] Il consiste en un système de messages personnels rédigés par les usagers sur Internet et lisibles sur des écrans dans la station. C’est son œuvre.<o:p></o:p>

    [2] Je reviens à l’œuvre toulousaine de Sophie Calle : il est précisé que les messages à caractères racistes seront censurés. Comme quoi la transgression trouve rapidement ses limites.<o:p></o:p>


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  • A l’Hôtel de Sully<o:p></o:p>

    Des Arméniens

    à la cour du Négus<o:p></o:p>

    Présent du 4 août 07<o:p></o:p>

    Il y eut des Arméniens en Ethiopie dès les années 1870, période où le pays s’ouvrit au monde après deux siècles de repli ; leur nombre augmenta lors des massacres hamidiens puis lors du génocide de 1915, jusque vers 1930. L’occupation italienne, la révolution de 1974 leur firent chercher des cieux plus tranquilles. <o:p></o:p>

    Servis par une remarquable faculté d’adaptation, ils apportèrent leur sens du négoce, leur savoir-faire d’artisans, de techniciens, toutes choses qui avaient fait leur réussite dans l’Empire ottoman. Bédros Boyadjian s’installa à Addis-Abeba en 1905 et devint photographe officiel de la cour impériale de Ménélik II l’année suivante. Son fils aîné Haigaz lui succèda, puis son fils cadet Tony, jusqu’à la Révolution. Leurs photographies valent moins sur le plan artistique que sur le plan documentaire et par le contexte auquel elles appartiennent.<o:p></o:p>

    Des portraits officiels émane une grande dignité : Ménélik II, l’impératrice Menen, le beau négus Mikaël (illustration), le ras Makonen. Un ras est le gouverneur d’une province, celui-ci était le père de ras Tafari, lequel allait devenir Hailé Sélassié lors de son sacre en novembre 1930 : le couple impérial pose sous un dais à l’emblème de la Trinité accolé de lions symbolisant la royauté ; le négus tient le sceptre et l’orbe surmonté d’une croix. <o:p></o:p>

    Evelyn Waugh assista au sacre en tant qu’envoyé spécial. Ses souvenirs sont consignés dans Hiver africain. Description d’un sacre interminable et incompréhensible pour des Occidentaux, vision caustique d’un pays qui vit affluer de partout des délégations pour l’accueil desquelles le peu qui avait été prévu ne se déroula jamais comme prévu. Les pérégrinations de Waugh à Addis-Abeba et dans la région confirment l’implantation arménienne à divers niveaux de la société : chauffeurs de taxis, hôteliers, etc. Il reconnaît aux Arméniens, plus qu’à tout autres – et surtout pas aux « odieux petits Français » – « un talent rare et une extrême délicatesse de sentiments ».<o:p></o:p>

    Hailé Sélassié, dont le nom signifie : puissance, ou pouvoir de la Trinité, se créa un personnage mythique en prétendant descendre de Ménélik, fils qu’auraient eu le Roi Salomon et la Reine de Saba. Il eut une destinée malgré lui dans le rastafarisme (de ras Tafari), mouvement protestant noir jamaïcain, pour les membres duquel le Négus était « le roi noir devant libérer les noirs » qui ramènerait dans la terre promise (l’Ethiopie) tous les descendants des Africains déplacés par l’esclavage. Ce délire s’accompagnait d’une interprétation afro-centrée de la Bible, selon laquelle Moïse et Jésus auraient été noirs. Le reggae – je ne connais pas musique plus insupportable – a été la version chantée de ces revendications raciales, religieuses et politiques. <o:p></o:p>

    Aussi mégalomane qu’il ait pu être, le Négus n’a jamais donné dans le rôle de personnage divin que les rastas jamaïcains auraient aimé lui voir jouer. Il s’est borné à leur accorder quelques arpents de terres pris aux Falachas, ces juifs éthiopiens qui, lorsqu’ils émigrèrent en Israël, furent victimes d’un racisme quasi officiel de la part de leurs pourtant frères dans la foi. <o:p></o:p>

    Les fêtes religieuses constituent un autre aspect du travail officiel des Boyadjian. La série de photographies prises lors de la consécration de quatre évêques en juillet 1947 est remarquable. Les nouveaux évêques, Mikaël, Théophilos, Jacob et Timotheos, en belle tenue noire, ont une prestance et une gueule magnifiques. Placez-en un au milieu de notre conférence épiscopale, parmi nos évêques à face molle et pulls acryliques, et vous obtiendrez le plus frappant des contrastes. <o:p></o:p>

    Les Boyadjian travaillaient aussi pour les particuliers. Portraits d’anonymes, photos de mariages, de remises de prix… L’Ethiopie des années 1950 apparaît comme une société relativement florissante et européanisée avec discrétion, époque bénie dont Tony Boyadjian vit la fin. <o:p></o:p>

    L’affrontement que Hailé Sélassié avait eu à mener contre les troupes italiennes lui conféra aux yeux des Européens le statut de grand opposant au fascisme (c’est encore Waugh qu’il faut lire sur cette guerre : Waugh en Abyssinie), qui les rendit aveuglément indulgents à l’égard de son despotisme et de son incapacité à gérer le développement du pays. Une famine entraîna la révolution de 1974 d’où sortit, après quelques péripéties, Hailé Mariam Mengistu dit le Négus rouge : il pratiqua comme tout bon marxiste le déplacement de populations, la famine planifiée et le massacre de masse. Hailé Sélassié finit vraisemblablement étouffé entre deux matelas en 1975, mais les rastas prétendent qu’il n’est pas mort et attendent l’affrètement du charter qui les ramènera en Afrique.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Les Boyadjian, photographes officiels à la cour du Négus,

    jusqu’au 2 septembre 2007,

    Hôtel de Sully, 62 rue Saint-Antoine, Paris IVe

    illustration : Le négus Mikaël, 1915, par Bedros Boyadjian (coll. Abebe Berhanu)<o:p></o:p>


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