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    Au musée Carnavalet

     

    <o:p></o:p>La vie des prisons

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    Présent du 13 mars 2010<o:p></o:p>

    Unique prison parisienne, la Santé est en partie désaffectée. Est-elle appelée à disparaître ? Le processus paraît inéluctable : elle est la dernière de la douzaine de prisons inscrites dans le tissu urbain de la capitale aux XIX et XXe siècles. En sélectionnant dans les fonds publics et privés 340 photographies, le musée Carnavalet nous invite à pénétrer dans les prisons parisiennes entre 1851, date des premiers clichés connus (trois calotypes d’Henri Le Secq) et 2009 (reportages réalisés à l’instigation du musée). <o:p></o:p>

    Cependant l’intrusion est limitée. Photographier la prison est un acte en général commandité par les Administrations : les clichés ne sont pas destinés au public et, lorsque celui-ci y a enfin accès, l’image est caduque. De plus, l’être humain en est souvent absent : le détenu n’y apparaît qu’en silhouette au bout d’un corridor. La cellule se présente vide, porte ouverte, pas encore occupée, ou préparée pour la venue du photographe ; ou parce que la prison va être démolie. La vision est biaisée et fragmentaire.<o:p></o:p>

    La Santé date des années 1860. Son siècle et demi d’existence représente la durée maximale d’une prison : la Petite Roquette, construite en 1836, a été démolie en 1973. D’autres ont eu une vie encore plus courte : 62 ans pour la Grande Roquette, 48 ans pour Mazas. Celle-ci a été détruite en 1898 pour raisons sanitaires, mais aussi urbaines. Sa démolition dégageait la perspective de la gare de Lyon pour l’Exposition Universelle de 1900. Les établissements pénitentiaires vieillissent mal : leur conception dépend étroitement de l’idée qu’on se fait à une époque de la détention, du détenu et des conditions de vie à lui accorder, toujours en-deçà de celles qui ont cours. <o:p></o:p>

    La détention est une idée moderne, dans l’acception temporelle du mot ; et, au sens « moral », avec ce que cet adjectif peut comporter d’inhumain. Comme mode punitif, la prison date de 1791. Il est issu de la croyance en un enfermement systématique, protégeant la société et salvateur pour le prisonnier. Au XVIIe il existe toutes sortes de peine, fouet, galères, mort, mais « les tribunaux français ne prononcent jamais de condamnation à la prison. » La prison, ajoute René Pillorget dans sa notice du France baroque France classique, est alors un lieu de sûreté. On y garde les personnes en attente de jugement, les condamnés en attente de galère. Peu de gens concernés, donc pas de bâtiments spécialisés. Quelques cachots suffisent. Au besoin on aménage tant bien que mal des bâtiments déjà existants, sans rapport avec la question : dans le Marais l’hôtel de Lauzun devient la Grande Force (1780-1850). <o:p></o:p>

    La Révolution adopte le même principe : les communs de l’hôtel Lamoignon sont transformés en Petite Force (1792-1850). Avec l’entrée en vigueur du Code pénal de 1791, la détention doit s’organiser. Pour accueillir les prisonniers de droit commun – et les mauvais citoyens en transit –, on transforme les couvents en prison. Trois prisons parisiennes naissent de cette façon, qui dureront au-delà de la Révolution : Saint-Lazare (1791-1940), Sainte-Pélagie (1792-1898), les Madelonnettes (1793-1867). <o:p></o:p>

    Il serait intéressant de déterminer dans quelle mesure l’architecture pénitentiaire, née au XIXe, dérive de l’utilisation du plan conventuel pour ce qui est de la partition maximale d’un espace en cellules, l’aménagement de parloirs, d’une clôture… Très vite apparaît le plan rayonnant, spécificité du plan carcéral. La Santé est ainsi construite. Une vue aérienne de la Petite Roquette (1949) montre son plan : un hexagone à tour centrale, de laquelle partent six bâtiments rayonnants. Six tours d’angle font penser à un château fort, mais sous un autre angle l’assemblage de longs bâtiments bas lui donne l’aspect de barres HLM (cliché de Charles Lansiaux, 1920) ; idem pour la prison Mazas (illustration). <o:p></o:p>

    La Conciergerie n’est pas un lieu de détention, c’est un dépôt. Lieu emblématique de la justice parisienne, il a souvent été photographié. L’année passée, l’état des geôles du Palais de Justice a rappelé aux citoyens l’étrange gabegie française en ce domaine, déjà signalée par Véronique Vasseur en l’an 2000 (Médecin-Chef à la prison de la Santé). Les peines corporelles, la peine de mort sont taboues : mais la torture psychologique de l’isolement et de la promiscuité, avec ce que cette dernière entraîne comme peines corporelles diverses et ignobles, rien de cette indignité ne semble vraiment choquer la République – tant qu’il y a un quartier VIP… « La Santé, écrit le Dr Vasseur, c’est une ville dans la ville où règnent la saleté, la détresse, la maladie, la perversité… C’est comme un grand couvent, sale et sans spiritualité. »<o:p></o:p>

     

    Samuel<o:p></o:p>

    L’impossible photographie : Prisons parisiennes, 1851-2010. <o:p></o:p>

    Jusqu’au 4 juillet 2010, Musée Carnavalet.<o:p></o:p>

    illustration : Prison Mazas, 1898, cliché Pierre Emonts © Musée Carnavalet / Roger-Viollet<o:p></o:p>


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  • Aux Beaux-Arts
    Baroques et Flamands<o:p></o:p>

    Présent du 6 mars 2010<o:p></o:p>

    Il a été récemment parlé de l’ENSBA pour une ridicule histoire de calicots installés en façade, ôtés avant d’être remis en place. Travailler plus pour gagner moins : variations sur un thème présidentiel, l’artiste se croyant provocatrice, la direction prétendant à la neutralité – c’est Guignol. En fait, l’événement artistique est à l’intérieur. Rien d’inconnu dans ces dessins baroques flamands, mais le Beau, depuis l’Expulsion, est une provocation.<o:p></o:p>

    Au XVIIe siècle en Flandres tout le monde gravite autour de Rubens (1577-1640). Il fonde son atelier en 1609 à Anvers ; en 1611 c’est près d’une centaine d’élèves possibles qu’il refuse. Le Maître distingue et encourage tout homme talentueux qui croise sa route. <o:p></o:p>

    Parmi les artistes qui ont fréquenté son atelier, on trouve Schut, poète, peintre et graveur un peu froid ; Soutman, aux beaux lavis encore humides (L’enlèvement de Proserpine) ; Van Thulden, qui vint avec Rubens à Paris et collabora aux tableaux du palais du Luxembourg ; Van Diepenbeck, entré à son retour de Rome chez Rubens qui sut développer son talent de coloriste. Et il y a le grand Van Dyck (1599-1641).<o:p></o:p>

    Jean-Baptiste Descamps, dans sa Vie des peintres flamands, allemands et hollandais, rapporte une anecdote qui illustre la reconnaissance précoce du talent d’Antoine van Dyck. Rubens étant sorti prendre l’air après une journée de travail, quelques élèves pénétrèrent dans son cabinet afin d’ « observer sa manière d’ébaucher et de finir ». Le susnommé Diepenbeck trébucha, tomba sur le tableau : effacé, le bras de la Madeleine ! Effacés, la joue et le menton de la Vierge ! Le travail de la journée était perdu. Les élèves s’apprêtaient à s’enfuir lorsque l’un d’entre eux proposa qu’on essayât de repeindre la partie perdue ; et d’ajouter que Van Dyck était l’unique qualifié pour cela, ce à quoi les autres opinèrent. Van Dyck tergiversa puis s’y résolut : perdu pour perdu… Le lendemain matin, Rubens, « en présence de ses Elèves qui tremblaient », examina son tableau et dit : « Voilà un bras et une tête qui ne sont pas ce que j’ai fait hier de moins bien. » Certains prétendent que, mis au courant, Rubens effaça la partie incriminée ; d’autres qu’il la laissa telle quelle. On parle là de la Descente de la Croix de la cathédrale d’Anvers.<o:p></o:p>

    Le martyre de sainte Catherine date des années 1618-1621, années où Van Dyck se dégage de l’influence de Rubens. Tant de mouvement, tant de lumières heurtées : le sujet ne se dégage que lentement. Il semble que Van Dyck ait choisi de représenter l’instant où un ange fait éclater les roues prévues pour le supplice de la jeune fille qui, non contente de refuser de sacrifier aux idoles, avait converti le général, l’impératrice, les soldats. L’explosion tua 4000 païens.<o:p></o:p>

    Le portrait du peintre Gérard Seghers, son ami et contemporain (1591-1651) est un admirable dessin à la plume, au lavis brun et encre de Chine (illustration). Drapé dans son manteau, les cheveux en désordre, l’homme montre le caractère doux et aimable qui était le sien. C’est une esquisse pour une gravure de l’Iconographie des hommes illustres.<o:p></o:p>

    Franz Snyders (1579-1657) n’est pas un élève de Rubens mais un collaborateur occasionnel. Excellent dans les fruits et les animaux, il se chargea de ces parties dans certaines toiles de Rubens, tandis que celui-ci peignit des personnages pour les tableaux de Snyders. Les Anciens ne voyaient aucune difficulté morale ni technique à procéder ainsi. De Snyders, l’Ecole possède des ricordi, dessins secs à la plume, relevés de trois peintures afin de garder trace des compositions.<o:p></o:p>

    Une dizaine de dessins de Jacob Jordaens (1594-1678), autre collaborateur du Maître, témoigne d’une facilité aimable et de la tendance vulgaire de son trait. Il utilise le lavis brun relevé de tons de gouache qui colorisent l’ensemble. La Scène de cuisine, mélange de scène de genre et de nature morte, est assez typique de sa manière. Elle était destinée à devenir un carton en vue d’être tissée. D’autres dessins également, Jordaens ayant transcrit en carton nombre de dessins de Rubens. <o:p></o:p>

    Un grand dessin, intitulé La fabrication et l’adoration des idoles, daté du 20 mars 1658, représente un atelier où un sculpteur achève la statue d’une femme nue portant une corne d’abondance, devant laquelle se pressent déjà des adorateurs. Il s’agit vraisemblablement d’une allusion à l’Eglise catholique. Jordaens devait quelques années plus tard se convertir au calvinisme.<o:p></o:p>

    Je ne terminerai pas sans mentionner les petits paysages de Gillis Neyts, plume, encre et aquarelle, délicats et sensibles. Le Louvre en possède également une série, ainsi que des figures pour lesquelles il n’était pas moins doué.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Le Baroque en Flandres : Rubens, Van Dyck, Jordaens

    Jusqu’au 7 mai 2010, ENSBA, 14 rue Bonaparte, Paris VIe.

    illustration : Anton van Dyck, Portrait de Gérard SeghersInv. n° E.B.A. 1712 (van Dyck)<o:p></o:p>


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  • Au musée de Cluny<o:p></o:p>

    Paris au XIIIe siècle<o:p></o:p>

    Présent  du 27 février 2010<o:p></o:p>

    Paris doit beaucoup à Philippe-Auguste. Les années 1190-1200 sont à cet égard essentielles. Le roi décide de faire de la ville le lieu d’assemblée de ses assesseurs tant qu’il sera à la Croisade. Il dote Paris d’une enceinte et d’une forteresse nommée Louvre. Il rassemble de façon permanente les archives royales, à l’abri, sur l’île de la Cité. Jusque-là ville du domaine royale sans plus d’importance politique que Compiègne, qu’Orléans, Paris devient capitale. <o:p></o:p>

    Rien d’étonnant donc à ce que sous les successeurs de Philippe-Auguste, Paris bâtisse ou mette au goût du jour près d’une soixantaine d’édifices civils et religieux. Des pans d’églises, des fragments d’abbayes témoignent discrètement, dans le Paris moderne, de cette vitalité. Au 44 de la rue François-Miron se visite le cellier de la résidence des abbés d’Ourscamp, cave austère voûtée d’ogives. Deux bâtiments emblématiques subsistent : la Sainte-Chapelle (1242-1248) ; Notre-Dame qui est retouchée et achevée entre 1230 et 1270. Auxquels s’ajoute Saint-Denis dont la nef est reconstruite à partir de 1231. <o:p></o:p>

    Du fait des roses qui, à partir de Saint-Denis, fleurissent à Notre-Dame, à Laon, à Reims, à Amiens, jusqu’à Strasbourg, le nouveau style a pour nom gothique rayonnant. Les roses ont de neuf à quatorze mètres de diamètre. Il fallait du culot et de l’intelligence autant pratique que théorique pour établir ces réseaux de pierre en tension, suffisamment épais pour résister et assez fins pour, du sol, paraître dentelle.<o:p></o:p>

    Le terme de rayonnant n’éclaire qu’un aspect de ce développement de l’architecture gothique. Au XIIe l’ogive se développe dans des volumes encore romans ; au siècle suivant les masses ont disparues et l’église est dessinée par des lignes. Les architectes du XIIIe siècle poussent la logique gothique à son terme : l’ogive et les arcs-boutants permettent de se passer de murs, remplacés par roses et vastes verrières. La Sainte-Chapelle en est le meilleur exemple. Lorsque le mur existe, il sert de fond à une résille : l’appareillage n’apparaît plus.<o:p></o:p>

    Autres moyens, autres fins : la sculpture ornementale et la statuaire confirment que l’esprit a changé. L’art roman, c’est la foi sous son aspect surnaturel ; l’art gothique, sous son aspect humain. Aussi est-il globalement plus naturaliste. Non dans l’acception d’un réalisme à la Zola, mais parce qu’il procède d’une observation de la nature, à laquelle il reste fidèle.<o:p></o:p>

    Sur les chapiteaux ou le long des cordons décoratifs, se développent les feuilles d’érable, de chêne, d’églantier ; poussent le trèfle et le lierre. Les grands sculpteurs du XIIIe – écrit Emile Mâle – « ne méprisèrent rien ; au fond de leur art, comme au fond de tout art vrai, on trouve la sympathie, l’amour. Ils pensèrent que les plantes des prés et des bois de la Champagne et de l’Ile-de-France avaient assez de noblesse pour orner la maison de Dieu. La Sainte-Chapelle est pleine de renoncules… Le plantain, le cresson, la chélidoine enguirlandent Notre-Dame de Paris. »<o:p></o:p>

    La statuaire est paisible. L’homme se tient debout, signe non d’orgueil mais de dignité. Le musée de Cluny a rassemblé de belles rondes bosses qui rappellent des bâtiments disparus : sainte Geneviève, qui occupait le trumeau du portail de son église ; le roi Childebert 1er, la Vierge à l’Enfant (déterrée lors de travaux en 1990) proviennent de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Trois apôtres de la Sainte-Chapelle sont des originaux déposés : saint Jean, et deux autres mal identifiés, l’un dit « mélancolique » et l’autre « à tête de philosophe » (illustration). <o:p></o:p>

    La galerie des vingt-huit rois, à Notre-Dame était terminée avant 1220. Elle a connu un grand succès. Les rois de Juda sont repris à Chartres, Amiens, Reims. La Révolution les a décapités car depuis longtemps on croyait qu’il s’agissait des rois de France ; leur statut de roi eût suffi à ce qu’ils soient maltraités. Le musée de Cluny héberge quelques unes des têtes originales, découvertes lors de travaux dans les sous-sols d’un hôtel parisien du IXe arr. (1977). Postérieur puisqu’il date de 1260, l’Adam, beau et grand nu, exprime la perfection de la Création telle que l’a ressentie l’époque.<o:p></o:p>

    L’architecture parisienne du XIIIe a été définie comme un style de cour. C’est plus largement l’art de la ville tout entière, qui s’est répandu au-delà de ses faubourgs et banlieues – jusqu’à Cologne. Ses éléments architecturaux ont dessiné une silhouette caractéristique qui marque encore notre imaginaire. Les artistes de l’époque en étaient imprégnés. Les arcatures brisées, les gâbles et les pinacles hérissés de crochets deviennent autant de motifs décoratifs dans le mobilier, les ivoires, les manuscrits, où ils servent de cadre aux personnages historiés. Les reliquaires eux-mêmes deviennent de petites églises précieuses.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Paris, ville rayonnante. Jusqu’au 24 mai 2010, Musée de Cluny. <o:p></o:p>

    illustration : Apôtre, Sainte-Chapelle, Paris @ RMN / Jean-Gilles Berizzi<o:p></o:p>


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    Au musée Maillol<o:p></o:p>

    Les Vanités<o:p></o:p>

    Présent du 20 février 2010<o:p></o:p>

    Au XVIIe naît la vanité, nature morte au crâne. Celui-ci est associé au sablier ; aux objets de divertissement, dont il rappelle le caractère vain : le verre, la pipe, les cartes, les instruments de musique. La vanité est un genre du Nord. Le Sud préfère placer le crâne, support de méditation, entre les mains de saint François d’Assise, en prière ou en extase (le Caravage, Zurbaran…). Le crâne accompagne saint Jérôme (Pietro Paolini), la Madeleine pénitente (Francisco Trevisani).<o:p></o:p>

    La vanité tire son origine du moyen âge. Les danses macabres sont collectives. Elles entraînent riches et pauvres vers la fin unique. C’est un lieu commun, mais puissamment exprimé. Selon un des commissaires de l’exposition du musée Maillol, cette égalité devant la mort est à l’époque « la seule forme de pensée démocratique… la seule véritable consolation à tant de peuples écrasés sous le joug de la servitude constante imposée par les pouvoirs constitués » (lol !). Est-il indispensable d’être « Directeur général du Ministère de la Culture italien » pour écrire pareille ânerie ? <o:p></o:p>

    Au XVe siècle, la représentation s’individualise. Au gisant succède ou s’ajoute le transi, figuration cadavérique. Tel était le programme iconographique du tombeau du roi René dans la cathédrale d’Angers, établi par ses soins.<o:p></o:p>

    Le cadavre en putréfaction, en proie à la vermine, plut à une époque et rebuta par la suite. Le goût explique qu’on ait fini par ne garder que le crâne. Le goût, et l’art : le squelette entier se prête aussi mal à la peinture qu’à la sculpture. L’intérêt plastique du crâne est indéniable. Par ses volumes, ses arrêtes, ses saillies et ses ombres, il attire l’attention de l’artiste, pour qui il reste, malgré tout, un visage : c’est encore un portrait. (Tout portraitiste se surprend de temps à autre à « deviner » le crâne sous les chairs. C’est technique.) En tant qu’objet d’étude, le crâne appartient au matériel d’atelier. Géricault en peint trois, Braque en pose un à côté de la palette, parmi les brosses. La vanité réapparaît épisodiquement, chez Cézanne, Hélion, Buffet, Picasso… <o:p></o:p>

    Le paganisme antique a pratiqué la vanité. La mosaïque pompéienne ci-dessus (illustration) est célèbre. La Roue de Fortune peut faire d’un homme, à vie ou tour à tour, un riche (vêtements à gauche) ou un mendiant (haillons et besace à droite), la fin sera la même, comme le rappelle le crâne sous lequel les ailes, nœud papillon, représentent l’âme. L’essentiel est de trouver son équilibre, exprimé par l’équerre à fil – ancêtre du niveau à bulle – qui couronne comme un toit cet édifice symbolique. Cette image rassemble deux thèmes que la chrétienté traitera distinctement : la vanité et la Fortune.<o:p></o:p>

    L’Antiquité a connu un autre squelette, celui qui circulait pendant les banquets. Chez Trimalcion, c’était un petit squelette en argent, « si bien pensé que ses articulations et ses vertèbres flexibles pouvaient se mouvoir en tous sens. » Son rôle était tout autre, invitation à jouir avant qu’il ne soit trop tard (« Ergo vivamus, dum licet esse, bene »), attitude impie que dénonçait en son temps Salomon. <o:p></o:p>

    Qu’en est-il du paganisme post-chrétien ? L’exposition permet de s’en faire une idée puisque les 2/3 des œuvres appartiennent à l’art « contemporain ». Le crâne y est un sujet de choix. Mais crâne signifie-t-il vanité ? Le drapeau pirate ni la casquette SS n’en sont. Il ne faut pas sous-estimer, dans cette obsession du crâne, le rôle de la communauté underground new-yorkaise confrontée au sida dans les années quatre-vingts. Keith Haring, décédé à l’âge de vingt-huit ans, est l’artiste phare de cette mouvance. Ici le crâne représente la force d’attraction du néant.<o:p></o:p>

    Les plasticiens actuels sont en bonne santé, plus florissants que les arts. Le crâne est exploité en tant que petite provoc’ facile. Il est moins Néant que Vide : la médiocrité est celle de l’époque, dont la conception de l’humanité, particulièrement basse, est perceptible dans l’art funéraire actuel, débile (1), et dans cet art débilo-ludique ou blasphématoire.<o:p></o:p>

    Confiez à Erik Dietman des crânes, des fémurs, un socle en bois et un capot en fer : il réalise La Sainte famille à poil, nature morte pour Carême (sic, 1990). A Damien Hirst, un crâne, une toile, de la laque, des couteaux et des coquillages : The Death of God (La mort de Dieu, 2006). Annette Messager compose un crâne géant au moyen de gants et de crayons de couleur (Gants-tête, 1999). Chacun y va de son crâne, l’essentiel étant de surprendre par l’utilisation et l’association de matériaux inattendus. L’inspiration quincaillière tient lieu d’originalité.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    (1) Cf. « La fosse très commune », Lovendrin n°5, mai-juin 2005.<o:p></o:p>

    C’est la vie ! Vanités, de Caravage à Damien Hirst.

    Jusqu’au 28 juin 2010, Musée Maillol. <o:p></o:p>

    illustration : Mosaïque polychrome de Pompéi, Ier siècle

    © Archives surintendance spéciale Beni et archologici Naples et Pompéi<o:p></o:p>


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    Gavarni, Robe de chambre d’Humann © Maison de Balzac / Roger-Viollet.

    Maison de Balzac<o:p></o:p>

    Balzac en dandy<o:p></o:p>

    Présent  du 13 février 2010<o:p></o:p>

    « A l’incroyable, au merveilleux, à l’élégant, ces trois héritiers des petits maîtres, […] ont succédé le dandy, puis le lion », écrit Balzac. Dandy est resté en usage ; lion, dans ce sens spécial, a disparu. Le lion est un dandy, avec une nuance : c’est un dandy pour lequel le vestimentaire n’est pas une fin, mais un moyen. Le lion est un arriviste dont la meilleure arme est la fatuité.<o:p></o:p>

    Laissons la parole à Félicien Marceau. « Ce que veulent les lions, c’est vaincre le monde. Prendre des femmes ? Oui. Mais pour pouvoir, grâce à elles, triompher dans le monde, dominer, s’enrichir. Les lions de Balzac sont les frères cadets de ces colonels de trente ans qui, derrière Napoléon, ont dérangé toute l’Europe. » (Balzac et son monde, chap. III) Condamnée à l’inactivité par une Restauration gérontocratique, certaine jeunesse trouve à s’employer en intriguant, en tirant des ficelles qui peuvent être des lacets. Parmi les personnages froids de cœur que sont les lions, on trouve Rastignac, Rubembré, Raphaël de Valentin et, le pire de tous, Henri de Marsay, le « corrupteur dogmatique ». <o:p></o:p>

    D’autres tentent d’être des lions, sans arriver à la cheville joliment bottée des susnommés. Puis vient « la touchante cohorte des lions qui n’étaient qu’agneaux déguisés. Voici les dandys écrasés. » (Victurnien d’Esgrignon, Savinien de Portenduère…)<o:p></o:p>

    Les années 1830 ont été les belles années du dandysme. Empruntés à l’Angleterre (qui nous avait emprunté façon), les mots fashion, fashionable reviennent souvent chez Balzac sans lui être propres. Ils appartiennent à l’époque, aux écrivains comme aux caricaturistes. Gavarni dessine trois « Fashionables ». Son œil observateur, son crayon tour à tour sec et moelleux saisissent et restituent ce mélange d’élégance et de ridicule. Deux gandins qui n’assument pas leur mise traversent un groupe de bourgeois communs : « Passons vite », dit l’un. Les créations du tailleur Humann sont parfois le sujet même de l’estampe, costumes, chapeaux. Une robe de chambre cossue, damassée, enveloppe un être mollet avachi sur un sofa (illustration, lithographie coloriée). <o:p></o:p>

    Le peintre Delacroix, le duc de Fitz-James ont eu une réputation de dandy, comme les gravures nous le rappellent. Balzac lui-même s’est laissé aller à jouer les muscadins. On a entre autres le témoignage de Léon Gozlan, l’auteur du Balzac en pantoufles (1856). « Il fut le lion de la quinzaine, mettons de l’année, puis [les journaux] le laissèrent après l’avoir grossi, exagéré et démesurément enflé. » Il est vrai que les apparitions de Balzac ne furent pas discrètes, facile matière à copie pour les journaux. Le romancier, « demeuré jusque-là caché dans les mines de la méditation, revêt tout à coup l’habit d’Humann, endosse le gilet blanc, hausse le carcan de sa cravate, saisit une canne d’or, et vient, en pleine lumière d’Opéra, se carrer dans la belle loge d’avant-scène, à côté de M. Véron. » (Il s’agit du docteur Véron, fondateur de la Revue de Paris.) <o:p></o:p>

    La canne à pomme d’or incrustée d’une ébullition de turquoises a été commandée au joaillier Lecointe en 1834. Elle a « plus de succès en France que toutes mes œuvres », assure Balzac à Mme Hanska, à qui il précise qu’il a créé « la secte des Cannophiles dans le monde élégant. » A la fois trop voyante par sa taille, trop féminine par ses pierres, elle attire l’attention mais déclenche les moqueries. Balzac feint-il de ne pas s’en apercevoir ?<o:p></o:p>

    Delphine de Girardin publie en 1836 un petit roman sous le titre de La Canne de M. de Balzac, prêtant à l’accessoire une vertu magique – à défaut de lui reconnaître de la distinction. Le plâtre de Dantan, portrait-charge, représente le romancier avec cette canne comme une massue, de même qu’une vignette par Lorentz, laquelle met en évidence la silhouette rondouillarde déjà profilée par Théophile Gautier. Car Balzac n’avait pas ni le tempérament du dandy, ni le physique de l’emploi. Le Charivari moque ce « Chérubin hydropique ». Des toilettes recherchées, sur un tel mannequin, prêtaient à sourire. Aussi, continue Gozlan, « après cette violente explosion […] il pendit son habit au clou, jeta sa cravate blanche dans un coin et cacha sa ridicule canne d’Alcibiade. »<o:p></o:p>

    Cet attribut brille encore dans une vitrine de la maison de Passy. Il n’émeut pas autant que la cafetière du romancier, moins dérisoire puisqu’une partie de l’œuvre y a passé. Une partie seulement. Lorsque la boisson n’eut plus l’effet escompté, Balzac essaya l’ingestion d’une cuillerée de café en poudre, froid et sec. « Dès lors tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain d’une bataille, et la bataille a lieu. » On reconnaît mieux notre romancier en tacticien cérébral qu’en dandy compassé.<o:p></o:p>

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    Samuel<o:p></o:p>

    Les dandys dans l’œuvre de Balzac.

    Jusqu’au 28 mars 2010, Maison de Balzac (47 rue Raynouard, Paris XVI). <o:p></o:p>


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