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    Au musée du Louvre

    <o:p></o:p>Une collection de qualité

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    Présent du 15 mai 2010<o:p></o:p>

    Ancien président de l’Omnium Nord-Africain, M. Guy Motais de Narbonne appartient aujourd’hui à la Société de l’histoire de l’art français, aux Amis de Carnavalet, aux Amis du Louvre. Son épouse et lui ont constitué une collection de peinture française et italienne. Quarante-quatre pièces sont à l’honneur au Louvre. L’ensemble est du meilleur goût.<o:p></o:p>

    Les Français<o:p></o:p>

    Le peintre nancéen Claude Déruet, maître de Claude Gellée, fera enfin son entrée au Louvre avec une épique bataille entre Grecs et Amazones, sur un pont étroit, mêlée digne du Seigneur des Anneaux. Parmi les noms du XVIIe, Stella, Poërson, Baugin, Chaperon… Jacques Blanchard, dont la Madeleine pénitente paraît enfumée. Mauvais éclairage ? Elle ne rend pas palpable le talent de celui qui fut surnommé, avec quelque emballement, « le Titien français ». Mort jeune (1600-1638), il avait voyagé à Rome et Venise. On préfèrera une belle réduction de l’Assomption de la Vierge de La Hyre.<o:p></o:p>

    Charles Le Brun ne saurait être absent. Mucius Scaevola devant Porsenna est une ébauche. Son rival Pierre Mignard n’est pas loin : Le Temps coupant les ailes à l’Amour, tableautin. Le deuxième Mignard, Nicolas, prit lui parti pour Le Brun. Son Saint Jean-Baptiste s’inscrit dans la lignée des Baptiste douceâtres à force d’être tranquilles. <o:p></o:p>

    François Lemoyne (1688-1737) fait preuve d’un talent sûr de soi mais limité dans le domaine religieux. Jacob et Rachel au puits : le sujet est biblique, la scène anecdotique. Lemoyne était plus à l’aise avec les personnages de la mythologie. Ils eurent raison de lui. Après quatre années passées à peindre l’Apothéose d’Hercule (Versailles), il devint, une fois le plafond achevé, sombrement mélancolique. Il se transperça de neuf coups d’épée et mourut.<o:p></o:p>

    Il avait transmis le gène mythologique aimable à son élève François Boucher (1703-1770). Sous la brosse de celui-ci, un épisode tiré des Antiquités juives de Flavius Josèphe est inattendu (Le prêtre Joshuah offrant les trésors du Temple à Titus). Cette incursion dans l’histoire antique est le signe d’un changement de goût aux alentours de 1760. Cochin, pour la galerie de Choisy, avait proposé des sujets tirés des vies des empereurs romains à quatre peintres : Boucher, Deshays (son gendre), Vanloo et Vien. Le projet n’aboutit pas. Vanloo et Vien exposèrent leurs tableaux en 1765 mais Boucher, rien. Il n’alla pas plus loin que cette esquisse, une grisaille jaune pleine d’aisance : son talent ne serait pas mis en difficulté par un rabbin et un empereur.<o:p></o:p>

    A côté du tableau de Vien (Marc-Aurèle faisant distribuer du pain, musée d’Amiens), un tableau de Boucher aurait paru suranné. Car Joseph-Marie Vien (1716-1809), dépourvu de la grâce Louis XV, annonce la peinture d’histoire qui, nécessairement, procède d’une autre inspiration et réclame un autre faire. Ce « sage imitateur de Poussin et de Le Sueur, bien éloigné de leur génie » (dixit Louis Gillet) sera le maître de David. L’inspiration de Vien est assez courte. Le Saint Jérôme en prière en manque. La tête sent le modèle, le bon vieillard à barbe blanche – Santa Klaus.<o:p></o:p>

    Les Italiens<o:p></o:p>

    Nous avons vu le Temps couper les ailes de l’Amour ; pour Francesco Boti, il démasque le Mensonge. Les deux opérations sont parfois simultanées.<o:p></o:p>

    Des deux David et Goliath que compte la collection Motais, celui de Francesco Cairo est le meilleur (illustration). Ce peintre né et mort à Milan (1607-1665), travailla dans sa ville natale, à Rome aussi, et à Turin. L’influence du Caravage est évidente. Ce clair-obscur qui n’est pas un truc mais un moyen d’expression, Cairo ne l’emprunte pas, il l’adopte pleinement.<o:p></o:p>

    Encore une tête coupée lorsque Mattia Pretti peint Thomyris faisant plonger la tête de Cyrus dans le sang, une histoire de féminine vengeance. Ce n’est pas un chapitre de Kill Bill mais des Histoires d’Hérodote. Une violence plus rentrée : Le Christ devant Caïphe de Luca Giordano est une forte peinture. La composition ne laisse aucun recul, nous oblige à participer. A l’inverse, la peinture élégante et lumineuse de Domenico Maria Viani donne un aspect théâtral au retour du Fils prodigue, de bonne famille.<o:p></o:p>

    Un Docteur de l’Eglise orientale autrefois attribué à Vélasquez – c’est dire la puissance de l’œuvre – revient aujourd’hui à Antonio Galli, dit Spadarino, peintre sur lequel on est peu renseigné. Les étoffes lourdes, aux blancs riches et aux noirs profonds mis en rapport par un rouge assourdi, sont dans sa manière. Comme Francesco Cairo, comme tant d’autres, il s’approprie le Caravage ; mais, comme peu ont su le faire, il le renouvelle. Son Docteur a de la présence et de la douceur.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    La collection Motais de Narbonne, Tableaux français et italiens des XVIIe et XVIIIe siècles.<o:p></o:p>

    Jusqu’au 21 juin, Musée du Louvre. <o:p></o:p>

    illustration : Francesco Cairo, David vainqueur de Goliath, collection Motais de Narbonne

     

    © Musée du Louvre / Pierre Ballif<o:p></o:p>


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    Au musée d’Orsay

     

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    Un de Pont-Aven<o:p></o:p>

    Présent du 8 mai 2010<o:p></o:p>

    Meijer De Haan est un peintre de l’entourage de Paul Gauguin, à la fin des années 1880. Né à Amsterdam en 1852, il est issu d’une famille juive conservatrice aisée. Ses premières toiles sont marquées par l’héritage du XVIIe hollandais, Rembrandt et autres maîtres : Nature morte avec homard et citron. Beaucoup portent sur des thèmes juifs : Portrait d’une vieille israélite, Portrait d’une jeune femme. La Discussion théologique (encore appelée Un passage difficile du Talmud) est un intérieur, une scène de genre qui peut évoluer vers la satire discrète : dans l’Anatomie talmudique, trois rabbins observent gravement un poulet pas encore rôti.<o:p></o:p>

    En 1888 il expose Uriël Acosta devant ses juges, grande toile qui l’occupe depuis huit ans. Ce tableau perdu, ou détruit, provoque le scandale. Les artistes avancés le trouvent honteusement passéiste. Le sujet lui-même est-il bien reçu de la communauté juive ? Peut-être est-il utile de rappeler qui était cet Acosta, ou Da Costa.<o:p></o:p>

    Acosta naquit à Porto vers 1585, dans une famille juive convertie au catholicisme, qui, ayant décidé de revenir au judaïsme, s’installa à Amsterdam. Cependant Acosta s’aperçut qu’entre le Livre et la pratique rabbinique un abîme existait. Il publia Propositions contre la tradition (Hambourg, 1616) qui entraîna son excommunication, confirmée lorsqu’il donna Examen de la Tradition des Pharisiens(1624). Son scepticisme rationaliste agaça la communauté. Il reçut les 39 coups de fouet dans la synagogue. Il prit le temps d’écrire son autobiographie  avant de se suicider (Exemplar Humanae Vitae, 1640). Destin plus tragique que celui de Spinoza, mais préfiguration. <o:p></o:p>

    En butte à l’hostilité du milieu artistique et vraisemblablement à celle de ses coreligionnaires, De Haan s’expatrie à Paris, où il a déjà exposé deux fois (1879, 1880). Il projette peut-être d’y acquérir une manière plus moderne. Pensionné par sa famille, il loge dans un premier temps chez Théo Van Gogh. Il découvre la peinture de Vincent, se lie avec Pissaro et Gauguin. <o:p></o:p>

    Pour ce dernier, la Bretagne est une terre primitive, habitée par des sauvages. C’est encore la Martinique et déjà Tahiti. On y vit à bon marché, on y trouve à peindre. De Haan l’y rejoint en 1889. <o:p></o:p>

    Sa manière évolue. Les natures mortes sont peintes plus largement. Elles manquent parfois d’unité et de nerf. Face à la Nature morte aux oignons de Gauguin, sa Nature morte avec pot, oignons, pain et pommes vertes témoigne de son embarras face au synthétisme. Plus simples de composition, plus belles de touche, certaines sortent du lot, comme Pommes et vase de fleurs ou cette branche de lilas (illustration). <o:p></o:p>

    Les mêmes remarques s’appliquent aux paysages de Pont-Aven puis du Pouldu où ils s’installent en 1890. De la vallée de Kerzellec, De Haan donne une version tributaire de la réalité du lieu tandis que Gauguin simplifie les plans, recompose les éléments à son idée. De Haan est plus personnel avec son paysage « à l’arbre bleu ».<o:p></o:p>

    De concert, Gauguin et De Haan décorent l’auberge où ils sont logés. Il reste des fragments, comme une belle oie par Gauguin (huile sur plâtre), comme une Maternité par De Haan. On peint, on fait des projets. Ce serait un atelier à Anvers, où travailleraient Van Gogh, Gauguin et De Haan. Ou bien De Haan accompagnerait Gauguin à Tahiti, il y commercerait les perles avec les marchands de Hollande. Rêves d’artistes dans la déche ! Cependant sa famille restreint sa pension, il quitte le Pouldu, confiant à Marie Henry, leur aubergiste, la majorité de ses tableaux bretons. Il ignore qu’il lui laisse également une fille à venir.<o:p></o:p>

    Théo Van Gogh meurt quelques mois après Vincent (janvier 1891). La situation de beaucoup d’artistes s’en trouve fragilisée. De Haan est présent au banquet d’adieu donné pour le départ de Gauguin (mars 1891). La fin de sa vie est obscure. Il reste un certain temps à Paris, rentre aux Pays-Bas où il se traîne, malade et isolé. Il y meurt en octobre 1895. <o:p></o:p>

    Gauguin a peint plusieurs fois son portrait et a utilisé à deux reprises sa figure. Au premier plan d’une gravure sur bois insérée dans le manuscrit de Noa Noa (1893) ; au second plan des Contes barbares (1902) : sur fond bleu lilas, il est l’inquiétant personnage roux aux yeux glauques qui se tient près des deux Tahitiennes. Gauguin, en lui prêtant un aspect diabolique, interprète sa physionomie. Les autoportraits montrent un visage moins poétique, qu’il se représente en costume breton ou sur fond japonisant. Cette participation involontaire à l’œuvre de Gauguin est ce qui a maintenu, maigrement, son nom hors de l’Oubli. Si De Haan n’est pas, loin s’en faut, « un maître caché », sa place dans l’Ecole de Pont-Aven justifie cette exposition.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Meijer De Haan (1852-1895). Jusqu’au 20 juin 2010, Musée d’Orsay.

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    illustration : Branche de lilas dans un verre, 1889-1890, collection particulière (D. R.)

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  • Au musée du Louvre<o:p></o:p>

    Un peintre du roi<o:p></o:p>

    Présent du 3 mai 2010

    Toussaint Dubreuil est l’un des principaux peintres de la seconde Ecole de Fontainebleau. La première du nom regroupe les artistes italiens (le Rosso, le Primatice, Dell’Abbate) qui, sous François Ier, ont décoré le château de Fontainebleau. Quarante ans plus tard, sous Henri IV, les travaux d’embellissements reprennent : la 2nde Ecole est composée de Français et de Flamands, mais l’influence italienne demeure.<o:p></o:p>

    Le Temps et ses acolytes se sont employés à détruire les ensembles qui auraient plaidé pour ces artistes accusés de nullité par la postérité que l’admiration sans bornes pour les années « versaillaises » de l’art français a aveuglée. Aucune exposition n’avait été consacrée à Dubreuil. Il y a pourtant matière. <o:p></o:p>

    Né en 1558 ou 1561, Dubreuil commence sa carrière sous Henri III. Ses plus anciens travaux connus sont les dessins pour la Masse de l’Ordre du Saint-Esprit, réalisée en argent doré début des années 1580. Dessins d’un Dubreuil encore timide.<o:p></o:p>

    Il apprend l’anatomie en disséquant chez un barbier, mais c’est de l’Italie que vient l’éclosion. Par Fontainebleau : il dessine d’après les décors du Primatice, consulte les dessins que possède Ruggiero de’ Ruggieri. Celui-ci, héritier de la charge du Primatice, plus âgé que Dubreuil, le prend sous son aile. Dubreuil épouse une de ses parentes, peut-être sa fille. Ils collaborent aux 27 scènes de l’histoire de l’Hercule pour Fontainebleau. Un seul tableau subsiste, peint par Dubreuil : Hercule apprend à tirer à l’arc. <o:p></o:p>

    Le contact avec l’Italie n’a-t-il pas été plus direct ? Absent des documents entre 1585 et 1593, Dubreuil pourrait avoir voyagé en Italie ces années-là, à Bologne particulièrement. Les rapprochements entre certains de ses dessins et ceux du bolognais Passarotti sont frappants. Les analogies entre son Martyre de saint Christophe, Apollon comme soleil par Jacob Matham et Aman supplicié par Rubens (d’après Michel-Ange), sont fortes. <o:p></o:p>

    Dubreuil est de son époque quand il prend pour sujet le Roland furieux (peinture, Angélique et Médor) ou le conte de Psyché (lavis, la célèbre scène où Psyché éclaire l’Amour endormi). Ces œuvres montrent l’habileté de l’artiste à modeler le nu féminin, délicat et de bonne tenue. <o:p></o:p>

    Le thème de la Franciade, par contre, est une rareté. Le poème épique de Ronsard relate l’histoire de Francus, fils d’Hector et d’Andromaque, ancêtre des rois Francs. Bien qu’il eût lui-même proposé au roi Henri II ce sujet d’épopée, Ronsard peina à la tâche. De Rome, Du Bellay lui écrivait, montrant ses doutes quant au progrès de la rédaction et quant à la réalité des faits : ton Francus, « Il a le vent en gré, il est en équipage, / Il est encor pourtant sur le troyen rivage, / Aussi crois-je, Ronsard, qu’il n’en partit jamais. »<o:p></o:p>

    Ronsard ne publia, sous Charles IX, que 4 des 24 chants prévus. Le poème fut choisi pour la décoration du Château-Neuf. Dubreuil et ses aides travaillent à 78 peintures. L’ensemble a été détruit ou dispersé en 1777. Restent 6 peintures et 18 dessins. Hyante et Climène à leur toilette s’inscrit dans les habituelles compositions du siècle « à la toilette ». Dicé offre un banquet à Francus est une peinture ambitieuse : multiples personnages, plusieurs sources de lumière. Les moyens du peintre sont globalement à la hauteur de son ambition.

    Les dessins à la plume et au lavis ne sont pas moins remarquables. Le lavis, léger, confère une indéniable poésie aux compositions variées. De nobles attitudes, mais naturelles, des paysages à échappées, à horizon : il couve du La Hyre et du Poussin dans cet art. D’un poème ingrat – « pesante Franciade » pour Guth, « monument glacé » pour Kleber Haedens –, Dubreuil a tiré une noble matière.<o:p></o:p>

    Son activité de décorateur apparaît dans des projets de plafonds (Histoire de Prométhée). A l’encre et à l’aquarelle, ils présentent de très jolies nuances. On ignore la destination de ces projets, qui s’inspirent des plafonds du Primatice. En 1601, Dubreuil est en pleine activité. Il présente des dessins pour des lambris (Saint-Germain-en-Laye), des dessins pour la galerie des Chevreuils (Fontainebleau), des dessins pour la Petite Galerie (Louvre). Une chute de cheval met fin à sa carrière. Il meurt le 22 novembre 1602. <o:p></o:p>

    La Petite Galerie est achevée d’après son projet. Elle émerveilla tous les connaisseurs jusqu’à sa disparition dans les flammes en 1661. Le Sort était cruel pour Dubreuil, précipitant dans l’oubli ce peintre auquel Vouet, La Hyre et Poussin doivent quelque chose. Comme l’écrit Dominique Cordellier, auteur du catalogue, « ce n’est pas la moindre des forces de Dubreuil que d’avoir fait passer tout un pan de l’art français de Primatice à Poussin. »<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Toussaint Dubreuil, Premier peintre de Henri IV.

    Jusqu’au 21 juin 2010, Musée du Louvre.<o:p></o:p>

    illustration : Hyante montre à Francus le vallon où elle lui montrera sa descendance © RMN / Jean-Gilles Berizzi<o:p></o:p>


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    Au Grand Palais

    Lumières

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    Présent du 24 avril 2010<o:p></o:p>

    De Turner, vous ne verrez pas les mirifiques aquarelles, subtiles et rutilantes. « Turner et ses peintres » est une exposition à l’huile, avec ce que ce médium a parfois de peu frais. Les toiles sont de grand format. De nos jours on se contenterait aisément des esquisses, des notes de travail. Il importe de rendre à Turner l’importante partie de son œuvre dans laquelle il se confronte aux maîtres sur leur terrain, qui est l’huile.<o:p></o:p>

    Turner (1775-1851) s’est formé à la Royal Academy où il est rentré à l’âge de 14 ans. Le travail par l’imitation des maîtres, la hiérarchie des genres, l’approche intellectuelle de l’art : Turner ne récuse rien de cet enseignement. Les premières influences sont d’emblée paysagères et européennes, la peinture du Suisse Ducros, les eaux-fortes de l’Italien Piranèse, les Français Poussin et Claude, l’Anglais Wilson. L’Intérieur de la cathédrale de Durham (aquarelle, 1798) relève le défi des nuances chromatiques des voûtes et des faisceaux de colonnes, des reflets dans la pénombre.<o:p></o:p>

    Turner séjourne à Paris de 1802. Il consacre son temps à annoter le Louvre. Armé de son aquarelle, il croque toutes les Ecoles. Le Titien l’arrête particulièrement. Une page de son carnet est consacrée à La Mise au tombeau, aquarelle hâtive mais précise.<o:p></o:p>

    Le Louvre est l’occasion de mieux connaître Poussin et le Lorrain. Du premier, la rigoureuse construction ; du second, la lumière : Turner a tôt remarqué ce que chacun lui apportera, ainsi que ce qu’il n’en prendra pas, ce dessin de Poussin qui lui semble sec. Il donne sa version du Déluge (1805, ill.), les corps s’amassent, l’atmosphère se sature d’humidité. Une leçon que Géricault, que Delacroix comprendront lorsqu’ils feront le voyage d’Angleterre. <o:p></o:p>

    La même année (1802), il visite le Salon. L’époque est au paysage historique, un paysage reconstitué dans lequel se déroule une action morale. Pierre Henri de Valenciennes est le théoricien du genre, issu d’une tradition française qui prétend continuer Poussin. Ce que le trait de celui-ci pouvait avoir de sec aux yeux d’un romantique est devenu, chez les néo-classiques, une sécheresse de l’ensemble. Aussi Turner est-il critique vis-à-vis de cette tendance où la sensation est si étroitement muselée. Valenciennes a d’excellentes études romaines (au Louvre), qui s’apparentent, par la spontanéité et la justesse, aux aquarelles de Turner. Les grandes machines ne gardent pas grand-chose de cette fraîcheur. <o:p></o:p>

    Turner ne dédaigne pas l’équilibre des toiles néo-classiques. Mercure et Hersé (1805-1811) est un bon exemple de composition équilibrée « à la française ». Il peint sa version, d’après Claude, du Paysage avec Jacob, Laban et ses filles. Il en change le thème, mais les personnages sont des fourmis dans le paysage dont il garde la composition (1814). Le Passage du ruisseau (1815) est une synthèse de ce qu’il a appris du Lorrain, avant qu’il y revienne les années suivantes dans la série consacrée aux ports.<o:p></o:p>

    Apport français, apport italien, l’apport nordique est moindre mais il existe. Turner s’essaye aux scènes de genre, sans convaincre. Rembrandt le marque, mais ce qu’il en tire est limité. Le paysagiste Albert Cuyp a quelque chose à lui apprendre, ou à lui rappeler : la simplicité, la proximité avec son sujet. Une barque, quelques vaches les pattes dans l’eau : la leçon hollandaise corrige la leçon française de l’élévation, vaine à force d’être systématique. Grâce à elle, Turner ne s’engonce point.<o:p></o:p>

    Au contraire, il tâte du paysage sublime. Le sublime, tel que le définit le romantisme, est ce qui donne le frisson. La beauté tranquille et mesurable du paysage classique cède le pas au chaos, dût-on recourir aux catastrophes naturelles, se jeter au milieu d’une bataille navale. Strasbourgeois qui fait carrière en Angleterre, Loutherbourg est représentatif de ce courant. L’originalité de Turner est de ne pas perpétuer une touche raisonnable : il s’empare du couteau et aplatit la matière (Avalanche dans les Grisons, 1810). Plus tard il plantera son chevalet, si je puis dire, au milieu d’une tempête de neige maritime : les toiles de la maturité peu à peu se dématérialisent. Le sujet se dissout dans l’atmosphère, mélange de lumière et d’humidité, unique et passager, confusion des eaux d’en-bas et d’en-haut. <o:p></o:p>

    Quand Turner se confronte à ses contemporains, il dialogue avec ses pairs comme avec les anciens. Son confrère Thomas Girtin est mort prématurément (1775-1802) : La maison blanche à Chelsea est une aquarelle merveilleuse. Restent, essentiellement, Bonington et Constable. Aux Pêcheurs de Bonington (1826), Turner répond par La plage de Calais à marée basse (1830) : la lumière est ici diffuse, là miroitée, toujours aqueuse.<o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Turner et ses peintres. Jusqu’au 24 mai 2010, Grand Palais.<o:p></o:p>

    illustration : J. M. W. Turner, Le Déluge, vers 1805 © Londres, Tate Gallery<o:p></o:p>


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    Au musée Jacquemart-André<o:p></o:p>

    De l’Espagne<o:p></o:p>

    Présent du 17 avril 2010<o:p></o:p>

    La peinture espagnole a moins la cote que la peinture italienne. Les expositions générales ou particulières sont en comparaison fort rares. La collection de Pérez Simon, homme d’affaires, né dans une famille espagnole installée au Mexique – un cousin de Carlos Solis ? – n’a pas la prétention d’offrir un panorama complet de la peinture espagnole. Vélasquez, pour ne citer que lui, est absent. Les coups de cœur en dictent la constitution, également les disponibilités du marché. L’Espagne est, quant aux œuvres d’art, un pays des plus restrictifs en matière de sortie du territoire. La présentation est thématique et non chronologique, malgré le titre : Du Gréco à Dali. Celui-ci n’est pas un peintre intéressant. Son inspiration est aussi maigre que sa brosse, qui continue une manière ingresque. <o:p></o:p>

    Le Greco est bien plus mystérieux. Cette tête de Christ est une miniature peinte vers 1600 (illustration, 10 cm de haut) : c’est fait avec rien et c’est prenant. Le Greco s’est formé en Crète, à Venise, à Rome, avant de s’installer en Espagne. Il vécut et mourut à Tolède après le rejet d’une première commande par Philippe II. Celui-ci ne retrouvait pas dans le retable réalisé la raison, le respect des lois de la nature. Ni vénitien ni romain, ni espagnol, le Greco restait byzantin, un byzantin « libéré » de l’icône mais non convaincu par les « acquis » de la Renaissance occidentale.<o:p></o:p>

    Philippe II a une fort mauvaise réputation. Verlaine a écrit, sur son agonie, des quatrains où le trait est noirci à plaisir. Le roi aimait l’art mais son esprit tatillon ne s’accommodait pas du besoin d’indépendance qui travaille les chats et les artistes. Charles Quint, d’une meilleure nature, avait entretenu avec les peintres des rapports plus épanouis. Philippe II lui ressemblait au moins physiquement, on le constate dans deux beaux portraits, réalisés non d’après nature mais à partir d’autres tableaux (celui de Philippe II d’après Moro).<o:p></o:p>

    Au siècle suivant, Murillo développe un art savant et moelleux. Les tons mordorés de L’Immaculée Conception, les tons bleu et blanc des habits ne font pas oublier la tête de la Vierge, qui n’est pas à la hauteur. Le sfumato nuit à son Jean-Baptiste adolescent et à ses suiveurs (Miguel de Tovar, La divine bergère).<o:p></o:p>

    Ribera, lui, pratique une mâle peinture qui ne se soucie pas de plaire. Formé à Naples, d’où il travaille pour Philipe IV, il révèle le réalisme caravagesque à l’Espagne, toute disposée à le recevoir : le Saint Jérôme est abrupte, la Sainte Marie l’Egyptienne en lévitation est rude. Elle s’élève sous les yeux dubitatifs de l’abbé Zosime, à qui l’intention de la lévitation paraît suspecte. Le phénomène ne serait-il pas démoniaque ? La sainte, qui lit dans ses pensées, le rassurera. Elle est vêtue du manteau que l’abbé lui a donné alors qu’elle errait nue, un manteau d’une insupportable teinte chocolat – et pourtant ça passe. Fidèle globalement au récit de la Légende dorée, le peintre n’a pas osé représenter Marie l’Egyptienne noire et brûlée par vingt ans de vie dans le désert.<o:p></o:p>

    Apparu à l’époque romantique, le costumbrisme perdure au-delà. Littéraire, musical et pictural, le costumbrisme s’attache à dépeindre les coutumes nationales populaires. Inspiration de la terre natale qui peut tomber dans le folklore, la couleur locale. Relèvent du costumbrisme, aussi bien la désuète peinture de Barron y Castillo (Figures élégantes dans Séville, début XIXe), le fauvisme distingué d’Anglada-Camarasa (Feria de Valence, 1907), que le pesant réalisme social de Zuloaga y Zabalata (Les vendangeurs, 1905).<o:p></o:p>

    Car au naturalisme, l’Espagne paye son tribut, pas moins qu’un autre pays. La collection de M. Pérez Simon également. Le susdit Zuloaga peint une femme jaunâtre, à mantille et en prière, au regard vicieux. Madrazo y Kuntz fait le portrait d’une femme du monde ou d’une catin, on hésite. Tout le naturalisme est dans ces bassesses. <o:p></o:p>

    Aux alentours de 1900, les peintres se provoquent aux jeux d’eau et de lumière. Ils rivalisent de virtuosité en matière de reflets. Une baigneuse de Buñol se tient dans la moyenne académique. Au miroitement, à l’aveuglement, Joaquim Sorolla excelle, dans un registre élevé (Soleil du matin ; Enfants dans les rochers). Gordoy y Castro fait jouer une balançoire dans le soleil : grande toile vulgaire. <o:p></o:p>

    Comment ne pas la comparer à une autre balançoire, par Goya (dans une autre collection particulière espagnole) ? Il y aura une horreur goyesque, mais d’abord il y a la grâce. Le portrait de Doña Maria Teresa de Vallabriga y Rozas, peint par Goya au début des années 1780, nous la montre toute proche, les yeux surpris et ne demandant qu’à nous croire. <o:p></o:p>

    Samuel<o:p></o:p>

    Du Greco à Dali – Les grands maîtres espagnols de la collection Pérez Simon. <o:p></o:p>

    Jusqu’au 1er août 2010, Musée Jacquemart-André.<o:p></o:p>

    illustration : Le Greco, Tête du Christ, Collection Pérez Simón, Mexico © Fundación JAPS © Studio Sébert photographes<o:p></o:p>


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