• Mauvaises ondes

    Mobilisation pour Skyrock et son directeur

    La radio Skyrock, spécialisée dans la musique rap, première radio de France des moins de 25 ans, radio des « jeunes », donc, est dans la tourmente depuis que, mardi, a été annoncée l’éviction du poste de directeur général de son fondateur Pierre Bellanger. Désormais cantonné à la présidence du conseil d’administration, il se retrouve sans fonction opérationnelle.

    Le soir même, Difool, emblématique animateur de la station après avoir été celui de Fun Radio en compagnie du « Doc », appelait les auditeurs à manifester leur soutien à Pierre Bellanger et à se mobiliser pour défendre la liberté d’expression et l’« esprit Skyrock », menacés selon lui par ce départ.

    La personnalité de Pierre Bellanger n’est pas anodine. Ecologiste de la première heure (il a été secrétaire général de Génération Ecologie au début des années 1990), pionnier des radios libres, impliqué dans le développement de la blogosphère avec la plateforme Skyblog, il a également été impliqué dans une sordide affaire de corruption de mineure, qui lui a valu, en appel l’année dernière, trois ans de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende. Il avait fait entrer dans sa « communauté d’Halcyon », dont il se disait « le maître », une fille de 17 ans, sœur d’une femme avec laquelle il vivait en compagnie de deux autres femmes. Cette jeune fille avait alors « bénéficié » d’une initiation à la sexualité de groupe, à l’homosexualité, au sado-masochisme, et autres pratiques accompagnées de sévices et humiliations (voir l’article de Caroline Parmentier du 24 novembre 2009).

    Cette affaire n’avait pas défrayé la chronique médiatique. Un silence respectueux avait été observé. L’homme appartient au système, ses positions « iconoclastes » sont elles-mêmes un signe de cette appartenance. Bellanger est d’abord un « fils de » : fils de Claude Bellanger, co-fondateur du Parisien libéré et de la romancière Christine Arnothy. Deux proches de François Mitterrand.

    Le soutien du PS a d’ailleurs été immédiat. « Le Parti socialiste exprime sa préoccupation, son attachement à l’identité et à l’offre artistique de Skyrock, et sa solidarité à l’égard des amateurs et des créateurs de rap et de r’n’b [un mélange de soul, de hip-hop] qui manifestent aujourd’hui leur inquiétude. » François Hollande s’est rendu dans les locaux de la radio mercredi, et jeudi ce fut le tour de Benoît Hamon et de Jack Lang. Celui-ci, interviewé par le JDD.fr mercredi, se dit « ulcéré » et « scandalisé ». Lui qui adore Pierre Bellanger, et qui admire son combat pour les radios libres, estime que sa mise à l’écart par le groupe AXA, actionnaire majoritaire, est « une expropriation morale » : « des capitalistes veulent changer l’identité de Skyrock ! ».

    Mais Bellanger veut-il être soutenu ? C’est toute la question, puisque si AXA, actionnaire à 70 %, vend ses parts, il semble que Bellanger, actionnaire à 30 %, vende aussi les siennes… Le limogeage n’est peut-être qu’une façon de quitter son poste, dans le rôle de la victime. N’en déplaise à Jack Lang, l’homme a des convictions sociologiques, sexuelles, mais aussi capitalistes : dans les années 1980, il investissait dans le minitel rose.

    Outre ce soutien politique, la radio a reçu le soutien « culturel » des chanteurs de rap français, dont elle promeut assidûment les rengaines : Sexion d’assaut, Rohff, La Fouine, Sinik, le 113, Soprano, la crème de tout ce qui éructe dans sa capuche contre les flics, les Blancs. « Skyrock représente cette France multiculturelle qui a toute sa place et sa liberté », a pris la peine de rappeler Laurent Bouneau, directeur général des programmes. Les auditeurs, multiculturels eux aussi, ont réagi massivement aux appels de Difool : manifestation devant la radio située près des Halles, création d’une page Facebook ; des pétitions circulent dans les collèges et les lycées. La France « jeune » et « métissée », musulmane et dhimmi, se mobilise pour défendre sa culture. Cela aboutira-t-il à des nuits chaudes en banlieue ?

    Martin Schwa

    Présent, Article extrait du n° 7329
    du Vendredi 15 avril 2011

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  • Monnaie verte

    3 francs, 6 sous

    Constatant que 98 % de la monnaie est capitalisée, la Mairie de Toulouse s’apprête à battre une monnaie alternative qui ne sera pas rémunérée et ne gardera sa valeur qu’à condition d’être utilisée. Revenir au franc est une pensée économique suspecte d’arriérisme et de repli sur soi, mettre en circulation une monnaie verte autre que le dollar est un acte des plus vertueux. « L’idée d’une monnaie complémentaire est d’empêcher la spéculation en rémunérant des biens et des services éthiques, d’utilité écologique, sociale et collective », expliquait en novembre 2010 le Conseil de développement de la grande agglomération toulousaine.

    Le « Sol-violette » – sol comme « solidaire », et violette, la récompense des Jeux floraux – sera testé à partir du mois de mai dans une zone limitée. Il faudra débourser 15 euros d’adhésion à l’association Sol-violette, le FMI local. L’adhérent changera alors des euros contre des sols, chargés sur une carte à puce, et les dépensera chez les commerçants et en services « respectueux de l’homme et de la nature », une quarantaine pour commencer : commerce équitable, épicerie solidaire, autopartage, mode éthique, cinéma d’art et d’essai… Le fisc, entreprise dont la durabilité et l’éthique ne sont pas à démontrer, ne participe pas. Ni les revendeurs d’herbe, ni les marchandes d’amour. A moins d’un succès dépassant toutes les espérances !

    Un élu décrit le fonctionnement du circuit. « Vous achetez un produit en sols dans un magasin Biocoop. Avec ses sols, le magasin pourra aller faire réparer son véhicule dans un garage associatif. Et le garagiste pourra aller voir un film au cinéma Utopia. » Si le véhicule est en état de marche, le garagiste regardera TF1 chez lui et ne s’en portera pas plus mal. Et si, par réflexe capitaliste, il ne dépense pas ses sols, ils seront dévalués de 2 % au bout d’un trimestre et ce « pour favoriser les échanges », version moralisée de l’incitation à la consommation.

    Cette expérimentation régressive ramènera-t-elle l’humanité au troc ? Les monnaies parallèles solidaires tentées dans quelques villes françaises, allemandes ou argentines, ont échoué. Au bout de quelques mois, les clients échangeaient, comme au retour d’un voyage, une monnaie de singe contre un euro trébuchant mais encore sonnant. A Toulouse, échanger ses sols contre des euros sera possible en s’acquittant d’une taxe de 5 %, a précisé Mme Caro, l’une des Strauss-Kahn de l’association Sol-violette. Cette taxe alimentera un fonds en faveur des projets d’économie solidaire, c’est vague, mais en euros – ça l’est moins. D’ailleurs les édiles toulousains, socialistes et apparentés, ne seront pas rémunérés en sols. Ils désapprouvent le Monopoly, mais pas la Bonne Paye.

    Martin Schwa

    Présent
    Article extrait du n° 7326
    du Mardi 12 avril 2011

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  • Prohibition sournoise

    La scène se passe dans une brasserie parisienne, à l’heure du déjeuner. Audrey boit du vin blanc pour accompagner son poisson. Ce soir elle fêtera un anniversaire, au champagne. Sébastien aime les soirées entre amis, il doit penser à acheter bières et whisky. Jacques boit une bière au comptoir, avec son sandwich, et au dîner il ouvrira une bonne bouteille. Alors cette question angoissante se pose : « Etes-vous sûr de tout connaître sur les risques liés à l’alcool ? »

    Tous coupables ! proclame le film de l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé), dont le titre est explicite : « Boire un peu trop tous les jours, c’est mettre sa vie en danger ». Le Rapport mondial de l’OMS sur l’alcool (Présent du 15 février) incitait les gouvernants à renforcer la lutte. L’INPES se conforme à l’incitation en lançant cette campagne télévisée, qui vise surtout les plus de 40 ans, les hommes en priorité, et blancs, tant qu’à faire : ici pas de métissage, pas de minorités ethniques, pas de quotas : en scène, Audrey, Sébastien et Jacques, vous et moi, Olivier et Pierre, abominables alcooliques en devenir, épaves futures, Titanic en quête de glaçons.

    Pourquoi cette stigmatisation ? Les quadragénaires et autres quinquas auraient tendance à sous-estimer les risques liés à leur consommation, qui leur paraît anodine mais est en réalité « excessive » : supérieure à 3 verres par jour, pour… 15 % de la classe d’âge. Autant dire qu’en réalité très peu de gens sont concernés par une soif qui reste au fond légitime, mais peu importe c’est un mode de vie alimentaire et social qui est visé, une culture. Il est vrai qu’on prétend nous terroriser avec cet autre chiffre, celui des habitudes de consommation ponctuelle importante : les hommes de plus de 40 ans déclarent (avouent ?) avoir bu au moins 6 verres ou plus, en une même occasion, au cours des 12 derniers mois. Ça paraît raisonnable et festif.

    A la suite du film, un test est proposé pour tester vos connaissances et visualiser la quantité d’alcool que vous, Audrey, Jacques ou Sébastien, consommez en une semaine, en équivalent whisky, vin et bière. N’allez pas parler à l’INPES de mojito, de caïpirinha ou de Bloody Mary, ce serait abuser de sa tolérance. La campagne télévisée, visible sur internet, vous renvoie, buveur pénitent, à un site où assistance médicale et psychologique vous sera prodiguée (alcoolinfoservice.fr), ainsi qu’à un numéro : 0 811 91 30 30. Vous pouvez aussi téléphoner à un ami et l’inviter à boire un verre en terrasse – avec modération, bien sûr.

    Martin Schwa

    Article extrait de Présent
    du Samedi 12 mars 2011

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  • L’islam au Puy-en-Velay

    Dans son discours du Puy-en-Velay (voir Présent de samedi), Nicolas Sarkozy a présenté le soin du patrimoine comme clef du « vivre-ensemble » ; rappelé avoir salué les « racines juives de la France » ; s’est extasié devant la Vierge noire, « dont la peau n’avait pas la même couleur que celle des fidèles qui venaient la vénérer au Moyen-âge ». C’est tout lui.

    Retournons aux portes sculptées. « Il est difficile de passer devant les antiques portes de cèdre de la Cathédrale et leurs inscriptions en langue soufique sans être impressionné et ému de cette rencontre entre la langue de l’Islam et l’architecture romane ! » Que Sarkozy ait dit « langue soufique » ou « langue soufi », l’expression est absurde, il faut comprendre « écriture coufique », c’est-à-dire : graphie arabe. Certains prétendent que ces inscriptions proclament que « la souveraineté est à Allah ». Ce serait alors, en effet, plus qu’une rencontre, un véritable cas de syncrétisme religieux.

    Certains proposent d’autres lectures, dans le même esprit, mais qui se discréditent les unes les autres et l’incertitude confirme l’avis plus communément partagé : les inscriptions ne signifient rien. C’est du pseudo-coufique. La calligraphie arabe a inspiré un motif décoratif. L’influence orientale sur l’art roman est forte, l’influence musulmane est occasionnelle. Même si elles se recoupent parfois, ce sont deux influences bien différentes.

    L’Orient, au Moyen Age, était une réalité et une féérie, et l’islam une partie de la réalité et, de temps à autre, un élément de la féérie. Réalité des pèlerinages, des croisades, du commerce ; féérie des légendes et des récits des voyageurs. L’Orient se confondait moins qu’aujourd’hui avec l’islam : la reconquête comme les croisades, comme l’établissement de royaumes chrétiens, avaient permis la reprise des échanges commerciaux et culturels entre Orient et Occident, auxquels l’extension de l’islam avait été le pire obstacle.

    Qu’il ait subi une influence mozarabe, c’est-à-dire chrétienne, ou qu’il se soit inspiré d’un texte arabe, rapporté comme document et motif exploitable, l’artiste n’a probablement voulu autre chose qu’évoquer cet Orient fabuleux, qu’évoque aussi l’allure générale de la cathédrale. Les inscriptions pseudo-coufiques du Puy-en-Velay témoignent de l’extraordinaire curiosité intellectuelle de l’Occident médiéval, de l’appropriation des mondes les plus exotiques au nom de l’universel : le catholicisme. Et non d’une rencontre métissée, interreligieuse.

    SAMUEL

    Présent du 8 mars 2011

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  • Galliano aux enfers

    Une semaine ne s’est pas écoulée depuis l’altercation, dans un café parisien, de John Galliano avec d’autres consommateurs (Présent des 1er et 2 mars), qu’il est déjà licencié de la maison Dior et convoqué, courant deuxième trimestre 2011, devant le tribunal correctionnel de Paris pour injures publiques concernant les origines et l’appartenance à une religion.

    L’amende, pour le moment, est honorable : « L’antisémitisme et le racisme n’ont pas de place dans notre société. Je présente mes excuses sans réserve si ma conduite a pu choquer », a déclaré le couturier qui nie les faits. Avant d’ajouter : « Toute ma vie, je me suis battu contre les préjugés, l’intolérance et les discriminations, auxquels j’ai moi-même été confronté. »

    Galliano, que peu songeaient à défendre, est rapidement devenu indéfendable après qu’une vidéo a été mise en ligne. On le voit, à la terrasse du même café La Perle, en décembre dernier, déclarer adorer Adolf Hitler et regretter que les parents des clientes voisines n’aient pas été gazés. On y voit surtout une viande saoule qui, manifestement, n’a pas ingéré que de l’alcool, mais d’autres substances.

    C’est d’ailleurs la défense adoptée par Galliano. Sous pression professionnelle, déprimé dans sa vie personnelle, il aurait recours aux paradis artificiels. L’enfer où il est tombé est, par contre, bien réel, quoiqu’on puisse disserter dans quel cercle dantesque il a atteri : le 5e, où l’on trouve les mélancoliques ? Le 7e, où courent les sodomites ? Aucun cercle n’est prévu pour les antisémites.

    Pour l’UEJF, partie plaignante dans l’affaire, l’alcool n’excuse rien, pas plus que la notoriété de Galliano, qui « ne l’autorise pas à se laisser aller à une telle violence verbale raciste et antisémite ». Marine Le Pen s’est quant à elle félicitée de son licenciement, jugeant ce comportement inadmissible.

    Martin Schwa

    Article extrait de Présent n° 7299
    du Vendredi 4 mars 2011

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